Enseigner la géographie au primaire avec Xavier Leroux 

"C'est la très vaste question de l'habiter qui domine les textes de 2016. Des grandes migrations à l'échelle mondiale à la micro échelle du quartier en passant par de nombreux espaces intermédiaires, la question du vivre ensemble des populations peut constituer un vrai sujet d'étude pertinent". Intervenant lors de l'Université d'automne du Snuipp, Xavier Leroux, professeur des écoles à Tourcoing et membre associé au Laboratoire « Discontinuités » de l'Université d'Artois, fait un point sur l'enseignement de la géographie à partir des nouveaux programmes.

 

Quelles implications spatiales dans les pratiques du quotidien ?

 

L'introduction, dans les nouveaux programmes de géographie du primaire bouleverse fortement la façon dont peut être enseignée la discipline. Habiter signifie ici se loger, travailler, consommer, se déplacer, autant de pratiques du quotidien qui ont leur implications spatiales. L'échelle de l'habiter convoque une approche par thèmes qu'il conviendra de cerner à des échelles variées puisque l'être humain organise sa vie autour de plusieurs lieux. Dans sa conférence, Xavier Leroux aborde la spécificité de l'échelle locale, la construction de l'outillage méthodologique sans oublier la question de la temporalité dans l'espace qui constitue un prisme nécessaire pour appréhender la manière dont sont organisés les territoires mais également dont ils se développent.

 

Après ce petit détour qui précise les contours de la discipline, Xavier Leroux va, tout au long de sa conférence, illustrer cette présentation par des situations didactiques qu'il met en œuvre dans sa classe.

 

Ma petite géographie

 

On demande aux élèves de citer 10 lieux importants pour eux, soit par la fréquentation, soit par l'attache affective. Puis, ils doivent, pour chaque lieu, écrire en une ou deux phrases, un commentaire sur le pourquoi de ce choix. Enfin, ils illustrent chaque lieu choisi en mobilisant pour cela les outils géographiques à leur disposition. Ce travail débouche sur la constitution d'un petit livre avec onglets qui classent les lieux par échelles.

 

De ce travail, les enseignants tirent trois leçons sur le rapport de leurs élèves à la géographie. D'abord, cette proposition de géographie personnalisée a provoqué un  intérêt massif auprès des élèves. Ensuite, c'est un vif étonnement qui les a animés quand ils ont compris que « ma chambre » ou « la maison de ma grand-mère » pouvait faire partie de ces lieux, la mobilisation de « l'intime » étant relativement inhabituelle en géographie. Cette variété de choix dans les lieux permet d'appréhender la diversité de toutes les échelles spatiales, chacun ayant les siennes. Il n'y a pas de « réponse fausse » mais des choix personnels. Enfin, les professeurs ont pu observer comment les élèves s'approprient les outils de la discipline (cartes, dessins, graphiques). On voit que la construction se fait difficilement et le résultat est davantage un décor qu'une illustration personnalisée.

 

Cette idée de personnaliser l'espace peut se décliner de diverses façons.

En travaillant sur les lieux de vacances des élèves, on construit des tableaux qui conjuguent lieu et temps de trajet.

La liaison domicile/école avec carte et compas détermine l'éloignement de chacun, permettant une personnalisation facile à mettre en œuvre.

Il faut aussi travailler sur le trajet, l'itinéraire, relation à l'espace avec point de départ et point d'arrivée, traversée par trois questions : Comment ? quel moyen de transport, quelle organisation ? Quand ? Combien ? Pourquoi ? Quelle motivation ? Ai-je le choix ?

 

Dans un souci de mettre en œuvre des situations suffisamment modélisantes pour être utilisées dans d'autres circonstances, ce schéma peut être utilisé pour d'autres trajets. Pour travailler sur ces échelons locaux demander par le thème de « l'habiter », il est important de connaître le terrain où l'on travaille.

 

Beaucoup d'enseignants se demandent comment parler une année entière de la région. La question est de savoir comment on range les choses. La programmation des échelles renvoie les échelles mondiales aux élèves les plus grands. Mais on peut faire l'inverse : les grands étant autonomes dans leur quartier, on peut leur confier l'échelle de l'espace proche.

 

Les nouveaux programmes proposent un rangement par thèmes

CM1

Thème 1 : découvrir le(s) lieu(x) où j'habite.

Thème 2 : se loger, travailler, se cultiver, avoir des loisirs en france

Thème 3 : consommer en France

CM2

Thème 1 : se déplacer

Thème 2 : communiquer d'un bout à l'autre du monde grâce à internet

Thème 3 : mieux habiter

 

La coloration très urbaine du concept d'habiter est à relier à la revue « Tous Urbains » dirigée par Michel Dussault, qui établit que le rural n'existe plus comme mode d'organisation de société.

 

Quelles propositions concrètes à mettre en œuvre dans les classe pour faire vivre ces thèmes ?

 

Le constat est fait qu'il y a encore beaucoup à faire pour que les élèves s'approprient l'outillage géographique. Il est intéressant pour cela d'aller au-delà de la lecture de ces outils et de les faire construire par les élèves pour qu'ils les comprennent mieux.

 

Déplacer les visions centrées sur l'Europe sur les planisphères.

Construire dans la durée avec des documents qui tiennent en haleine sur plusieurs séances.  Une situation fictive est proposée aux élèves : la visite de la France en cinq sites par des touristes étrangers dont on trace le trajet que l'on complète au fur et à mesure. Cela permet de découvrir la méthodologie de la cartographie basée sur le point qui évoque un lieu, la ligne, épaisse ou non, continue ou discontinue et la surface, espace fermé qui représente des zones.

Passer du paysage à la carte et ce qu'elle représente en passant par les photos de sol, aériennes obliques puis verticales pour arriver à la carte.

 

Se servir de supports facilement réutilisables : le thème du sport avec ses manifestations récurrentes se prête bien à ces utilisations multiples et permet de comprendre  la méthodologie, le dosage de l'information pour ne pas la surcharger. Mettre sur une même carte, les pays participant aux différentes étapes d'un même événement sportif pose très vite le problème de la clarté et de la surcharge d'informations.

 

 

Quelles dénominations pour la temporalité dans l'espace et comment faire rentrer la prospective dans la programmation géographique ?

 

On est sur un temps plus bref que le temps historique. La liaison temps/espace peut se faire en comparant les moyens de transport, en montrant les lieux avant et après une transformation.

 

Si l'on s'attache à la dénomination de ces lieux espace/temps, on s'aperçoit que ce sont les temps qui déterminent les espaces et leur occupation et que très souvent les mêmes temps croisent plusieurs lieux. Le temps professionnel n'est pas que sur le lieu de travail, de même que le temps des impératifs peut aussi se faire à domicile. Le loisir n'est pas toujours affecté à un lieu, il peut être mobile ou au domicile.

 

Le temps dans l'espace, c'est aussi l'aménagement du territoire, beaucoup moins binaire que « l'avant-après ». Il peut y avoir démolition/reconstruction ou réhabilitation avec des éléments que l'on conserve. La notion à comprendre est que le temps est long entre l'avant et l'après et que les points de vue de réhabilitation changent en cours de route pour des raisons financières, techniques, sociales. On peut inventer avec les élèves des scénarii : trois familles se font construire une maison et pour chacune, on imagine comment et pourquoi le projet de départ peut être modifié.

 

Pour la prospective à grande échelle, on entre dans l'avenir incertain du développement durable et les questions qui se posent sont à l'échelle de la planète : que vont faire les populations concernées par la montée des eaux ? A qui reviendront les territoires devenus liquides ?

 

C'est la très vaste question de l'habiter qui domine les textes de 2016. Des grandes migrations à l'échelle mondiale au regroupement de communautés à la micro échelle du quartier en passant par de nombreux espaces intermédiaires, la question du vivre ensemble des populations peut constituer un vrai sujet d'étude pertinent.

 

Propos recueillis par Michèle Vannini

 

 

Par fjarraud , le mercredi 02 novembre 2016.

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