Le film de la semaine : « Ma vie de courgette » de Claude Barras 

Enfin une bonne nouvelle ! Plébiscité à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, primé aux festivals d’Annecy et d’Angoulême, « Ma vie de Courgette », magnifique film d’animation, merveille de grâce et d’intelligence, arrive sur les écrans, prêt à bouleverser petits et grands. Pour son premier long métrage, Claude Barras surmonte tous les obstacles jusqu’à l’aboutissement d’un projet d’animation a priori insensé : raconter l’histoire d’un petit garçon solitaire qui provoque accidentellement la mort de sa mère alcoolique et se retrouve placé dans un orphelinat. Outre l’adaptation scénarisée par Céline Sciamma d’un roman de Gilles Paris, le réalisateur conçoit de tourner en ‘stop motion’ c’est-à-dire en faisant évoluer des figurines dans des décors peints construits à leur échelle. A la vision du résultat éblouissant de maîtrise, mêlant réalisme et poésie, nous comprenons aisément ce qui a emporté l’adhésion des partenaires financiers et techniques de cette production franco-suisse d’exception, fruit d’un travail collectif titanesque. Cœurs de pierre, prenez garde !  Vous allez tomber sous le charme du farouche Icare, dit Courgette, avec ses immenses yeux grands ouverts et sa mèche de cheveux couleur de nuit. Et vous craquerez devant sa bande bariolée et remuante de copains orphelins, cabossés et résilients, capables de tisser de nouveaux liens et de rêver à d’autres familles.

                                                                                                                                  

Courgette seul au monde

 

Icare a 10 ans et déjà un surnom qui lui colle à la peau. Courgette, c’est ainsi que sa mère, criarde et grande buveuse de bière, l’appelle. Il vit seul avec elle depuis que son père est parti avec une ‘poule’, selon la terminologie maternelle, à laquelle l’enfant associe, sans comprendre, un drôle d’oiseau. Au premier étage, dans la pénombre de sa chambre aux murs sombres, il entend la vocifération de sa mère lui demandant de descendre. Pris de peur, il rabat la trappe de l’escalier provoquant la chute de sa mère en pleine montée titubante. Cette dernière trouve la mort à l’issue de sa dégringolade. Et en un rien de temps, Courgette se retrouve orphelin. Son unique trésor, un petit cerf-volant triangulaire, qu’il conserve précieusement avec lui.  Questionné par Raymond, policier débonnaire, il ne comprend pas ce qui s’est passé et formule le souhait de rentrer chez lui. On lui fait comprendre que sa mère est partie. Qu’il ne la reverra plus. Raymond le conduit finalement dans un foyer pour enfants en souffrance, parfois abandonnés ou maltraités par leurs parents, souvent orphelins. Et Courgette, le cœur triste, accepte en silence cette nouvelle épreuve.

 

Nouvelle vie, nouveaux foyers

 

Une fois passée la barrière entourant un petit jardin, à l’entrée d’une maison aux couleurs pimpantes, Madame Papineau, la directrice,-apparence stricte, air avenant derrière ses petites lunettes rondes-, l’accueille et lui montre sa chambre. Le nouveau fait bientôt la connaissance des autres pensionnaires, Simon, Jujube, Alice, Béatrice…Sous l’impulsion de Simon, le casse-cou à la houppette rouquine, il subit même un bizutage en règle, prélude à la découverte de sentiments forts comme l’amitié, la solidarité, les farces et la rigolade. Il partage aussi le goût de l’étude auprès du bon professeur Paul (également encadrant d’une classe de neige) et de Roy, l’éducatrice enjouée et affectueuse. Il y aussi, dans cette vie remplie d’amitiés et de joies inédites, les visites régulières du fidèle Raymond. Il y a surtout l’arrivée de Camille, une fille de caractère, joueuse de foot, et qui ne s’en laisse pas conter. Le cœur de Courgette bat à toute vitesse et d’autres signes physiques d’un bouleversement émotionnel attestent d’un état amoureux, inconnu jusqu’alors. Camille, sous la menace d’une tante cupide qui veut la prendre chez elle pour toucher la pension, retrouvera-t-elle amour et foyer ? Et si l’orphelinat, devenu un doux cocon, n’était qu’une étape dans le parcours initiatique de Courgette, avant l’appartenance à une autre famille d’adoption ?

 

Une animation pétillante d’intelligence

 

Doté d’une formation d’illustrateur et de sculpteur, aguerri par l’expérience de nombreux courts-métrages d’animation, le réalisateur réussit un coup de maître en s’appuyant également sur un script nourri par le roman de Gilles Paris ‘Autobiographie d’une courgette’, finement adapté par la scénariste et cinéaste, Céline Sciamma. Entre le jaillissement de l’idée et la finalisation, sept ans se sont écoulés. Tournage  de scènes image par image (3 secondes par jour et par animateur des 15 plateaux) avec les diverses figurines (54 marionnettes et 3 déclinaisons de costumes) dans des décors peints et construits aux dimensions des personnages, assemblage avec des images numériques de ciels, de nuages et autres arrière-plans, sonorisation (enregistrement des voix des enfants, acteurs amateurs, et adultes, comédiens professionnels, bruits divers et partition musicale de Sophie Hunger…). Autant d’étapes d’un travail d’équipe alliant l’artisanat et l’ingéniosité des studios (Aardman et Laïka) pour donner naissance à une œuvre originale et inspirée.

 

« Ma vie de Courgette » ne nous offre pas seulement le spectacle, plein de vérité, des mille et un ressorts d’enfants privés d’affection, maltraités par l’existence. Nous les voyons surmonter leurs chagrins et leurs peurs, découvrir les joies de la vie, choisir leurs amitiés et leurs amours, former de nouvelles familles. Pour ce portrait de groupe d’où émerge la figure héroïque du petit Icare dit Courgette, nous trouvons traces d’empreintes multiples, du destin de Bambi chez Disney aux dernières frasques de Wallace et Gromit en passant par les aventures de Tintin. Mais la fiction animée renoue aussi avec le vieux fonds des contes et autres récits d’initiation pour enfants tout en s’inscrivant dans la modernité. 

 

Entre la mythologie cruelle de « La nuit du chasseur », la liberté rebelle des « Quatre cents coups » et la poésie inquiète de « Ma vie de Courgette » se nouent des correspondances secrètes. Ces enfants de cinéma sauvent leur peau, assument leur destin et nous touchent profondément, toutes générations confondues.

 

Samra Bonvoisin

 

« Ma vie de Courgette », film de Claude Barras-sortie en salle le mercredi 19 octobre 2016

Sélection ‘Quinzaine des réalisateurs’, Cannes 2016 ; primé aux festivals d’Annecy et d’Angoulême 2016

 

 

Par fjarraud , le mercredi 19 octobre 2016.

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