L'Etat veut contrôler davantage les écoles hors contrat et la scolarisation à domicile 

"Neutre", "dissuasif pour les ennemis des libertés républicaines", "sécurisant pour les familles", "permettant le dialogue"... Le nouveau régime prévu pour les écoles hors contrat et l'enseignement à domicile serait, à en croire la ministre qui l'a présenté le 9 juin, un vrai enrichissement des libertés publiques. Pourtant  les textes annoncés renforcent la périodicité et la force des contrôles administratifs sur les écoles privées hors contrat  et sur l'instruction à domicile. Ils mettront en place un régime d'autorisation d'ouverture pour les écoles hors contrat. Pour N Vallaud-Belkacem c'est nécessaire pour assurer le respect du droit à l'éducation qu'elle veut concilier avec la liberté de l'enseignement dans un nouvel équilibre.

 

"La liberté de l'enseignement est protégée par la constitution et demeurera", promet N Vallaud Belkacem le 9 juin en présentant les textes qui vont modifier le régime d'ouverture des écoles hors contrat et celui de l'instruction à domicile. Pourtant il sera plus difficile d'ouvrir une école hors contrat et d'instruire soi même ses enfants à la maison. Sans aller aussi loin que la proposition de loi d'Eric Ciotti (Les Républicains) qui soumet l'ouverture d'une école et l'instruction à domicile à l'autorisation de l'inspecteur d'académie, les textes présentés par N Vallaud Belkacem le 9 juin vont bien dans le sens d'une réduction de la liberté de l'enseignement et des droits des parents. Ils tentent de déplacer un équilibre ancien , suscitant dès maintenant des oppositions.

 

Une croissance qui inquiète

 

Comment la ministre justifie-t-elle ces textes ? "Le ministère est préoccupé par la croissance des établissements hors contrat", explique la ministre. Effectivement ils scolarisaient environ 40 000 élèves en 2004. Dix ans plus tard on est proche des 60 000. Autre raison : les inspections surprises diligentées par la ministre dans une vingtaine d'établissements hors contrat n'ont pas montré d'atteintes aux valeurs de la République mais "des lacunes pédagogiques". La ministre a d'ailleurs annoncé que 5 établissements font l'objet d'un signalement à la justice . Le ministère demande leur fermeture "pour protéger les droits des enfants à l'éducation".

 

La ministre déplore "qu'il soit plus facile d'ouvrir une école qu'un bar" et nettement plus difficile pour la faire fermer. Surtout, pour elle, les nouveaux textes vont permettre de concilier le droit à l'instruction de chaque enfant et la liberté de l'enseignement. "Tout enfant de notre pays doit pouvoir accéder au socle commun", dit -elle. "La liberté de l'enseignement comme le droit à l'instruction sont au coeur du pacte républicain et nous n'accepterons aucune exception, aucun accommodement".

 

Même croissance "préoccupante" pour l'instruction donnée en famille. Là les chiffres sont encore plus faibles. 13 000 enfants en 2007, 25 000 en 2014. Là aussi les inspections n'ont pas montré de radicalisation , ni de croissance forte dans certains quartiers, ni de déséquilibre entre les genres. Par contre l'Education nationale se plaint de la difficulté des contrôles voire de l'obstruction des familles.

 

Mais, tout cumulé, hors contrat et instruction à domicile,  on atteint moins de 1% des enfants scolarisés. Mais le ministère semble craindre une croissance rapide dans l'avenir. Les mesures proposées devraient bloquer ces croissances.

 

L'ouverture des écoles hors contrat soumise à autorisation

 

"On va mettre un terme au fait accompli lors d'ouverture des écoles hors contrat", annonce N Vallaud-Belkacem. Dans le régime actuel , l'ouverture d'une école est soumise à une déclaration. Le maire à 8 jours pour s'y opposer, l'Etat un mois et les motifs valables sont rares : nationalité, âge du directeur, bonnes moeurs, sécurité de l'établissement. Pour le ministère le délai est trop court pour que la puissance publique ait le temps de réagir.

 

L'Education nationale prépare un décret qui soumettra l'ouverture d'une école hors contrat à une autorisation. L'Etat aura 4 mois pour réagir. Si au bout de 4 mois il n'a pas manifesté son opposition, l'ouverture est autorisée. Ce principe "silence vaut accord" adoucit le régime d'autorisation et  laisse de la marge de manoeuvre pour les négociations à venir... Le refus est administratif, alors qu'aujourd'hui la fermeture doit passer devant un juge. Mais il doit être motivé.

 

Pour la ministre, "le passage du régime de déclaration a une autorisation est neutre pour la liberté de l'enseignement mais a des conséquences bénéfiques sur le droit à l'instruction et le respect des libertés publiques. Il sera dissuasif pour les ennemis des libertés républicaines et les porteurs de projets méconnaissant l'obligation du socle commun. Il sera sécurisant pour les familles".

 

Le socle commun imposé au hors contrat, cycle par cycle..

 

Le ministère va aussi renforcer les inspections des écoles hors contrat pour vérifier qu'elles appliquent bien le socle commun. Un projet de "Vademecum des inspections d'établissement hors contrat" est en cours de rédaction. Nous avons pu le voir. Il s'agit d'un document d'une trentaine de pages qui liste une longue série de points de contrôle en rapport avec le socle. Autrement dit, après l'autorisation à priori d'ouverture, il y aura des contrôles à posteriori nettement plus contraignants qu'aujourd'hui.

 

C'est ce qui inquiète les établissements hors contrat. Le projet de décret écrit que "l'acquisition des connaissances et compétences est progressive et continue dans chaque domaine de formation du socle commun.. et doit avoir pour objet d'amener l'enfant ... à la maitrise de l'ensemble des exigences du socle commun... Le controle est fait au regard des objectifs de formation attendus à la fin de chaque cycle". Or, comme l'écrit Espérances banlieue, une association d'établissements très proche de la droite identitaire, "certaines matières secondaires dites d'éveil ne sont pas ou peu enseignées dans certains cycles" de ses écoles. Pour A Coffinier, la fondatrice de la Fondation pour l'école, qui multiplie les écoles catholiques traditionalistes, "si les inspecteurs évaluent le niveau des élèves à chaque fin de cycle.. cela conduira les écoles hors contrat à s'aligner sur les programmes de l'école publique". Une perspective que ces écoles repoussent.

 

Sur ces aspects l'entourage de la ministre se veut rassurant. Le vademecum sera une garantie pour les écoles, explique-t-il , car il encadrera le travail des inspecteurs. Les associations d'écoles hors contrat devraient être reçus au ministère.

 

Enfin le gouvernement entend faire passer ces modifications par ordonnances. Il espère ainsi pouvoir publier les textes avant les présidentielles pour une mise en oeuvre à la rentrée.

 

 

Contrôles renforcés et menaces sur les parents

 

La ministre a aussi annoncé un renforcement des contrôles sur les parents donnant l'instruction à domicile. Une circulaire devrait paraitre cet été , là aussi après une rencontre  avec les associations qui ont déjà été reçues fin mai.

 

Le ministère va d'abord renforcer le nombre de contrôles en faisant appel à des enseignants du 1er et du 2d degré qui bénéficieront d'IMF (indemnité de mission). Le texte fixera que l'autorité académique a le droit de fixer le lieu du contrôle, ce qui devrait pasr exemple, limiter les déplacements.  

 

" Afin de vérifier la progressivité des apprentissages, dans le plein respect des choix éducatifs effectués par les familles, les inspecteurs pourront désormais se référer aux objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle de la scolarité obligatoire. Les inspecteurs et les familles disposeront ainsi de références pédagogiques communes pour apprécier la progression de l’enfant vers l’acquisition des compétences et connaissances du socle commun", précise le ministère. Et les inspecteurs pourront faire réaliser des exercices oraux ou écrits aux enfants.

 

Enfin pour réduire les cas d'obstruction à la visite, le texte précisera des sanctions dissuasives : au bout du 2ème report non motivé la scolarisation dans un établissement d'enseignement pourra être décidée par l'administration.

 

"Je veux témoigner de mon respect vis à vis des choix des familles " assure la ministre. Elle entend respecter "leur pleine liberté pédagogique". Ce n'est pas l'avis de la principale association de parents qui instruisent à la maison, Les enfants d'abord, pour qui " les modifications prévues par décret anéantissent la liberté d’enseignement. Les enfants sont ainsi privés de leur liberté et de leur autonomie alors qu’actuellement toutes les découvertes et les avancées dans le domaine des sciences de l’éducation montrent que la motivation intrinsèque de l’enfant et son enthousiasme sont primordiaux".

 

Le virage identitaire utilisé par la gauche...

 

Pourtant le ministère a pris soin de présenter ses textes au nom de la liberté de l'enseignement. Le nouveau régime d'ouverture des écoles hors contrat est celui appliqué depuis 1873 en Alsace Moselle , explique la ministre, une région où personne ne contesterait l'existence de la liberté de l'enseignement...

 

Les mesures  sont aussi mises au crédit de l'opposition. N Vallaud Belkacem rappelle le rapport Grosperrin qui avait mis en avant le risque de radicalisation. Elle cite la proposition de loi Ciotti qui est plus dure que ses textes. Elle interprète l'article L131-1 du Code de l'éducation pour présenter le droit de l'enfant à l'instruction comme l'obligation de respecter le socle commun... mis en place par F Fillon en 2005...

 

A moins d'un an de l'élection présidentielle, le gouvernement ouvre ainsi un nouveau thème de campagne qui reprend habilement des propositions de l'opposition pour alimenter un débat école libre / école publique qui normalement fédère à gauche. Dans un pays obsédé par l'identitaire, les nouveaux textes peuvent apparaitre comme un barrage contre le risque de radicalisation. Enfin il pose d'une certaine façon une réponse au débat sur le chèque éducation qui commence à apparaitre à droite.

 

L'église catholique contre le projet

 

L'opposition, par la voix d'Annie Genevard, déléguée à l'éducation de Les Républicains, n'a réagi que pour dénoncer un "parlement muselé" par les ordonnances.

 

En dehors des associations d'écoles "libres" et de parents, seule l'église catholique s'oppose nettement au projet. Dans un communiqué du 9 juin le secrétaire général de l'enseignement catholique fait savoir que " pour répondre aux objectifs visés par la ministre, il n'est nul besoin de passer à un régime d'autorisation. Le régime de la déclaration permet tout aussi bien de garantir le droit à l'éducation des enfants et la qualité de l'instruction obligatoire".

 

François Jarraud

 

 

Dossier de presse du ministère

Le blog traditionaliste hostile au projet

La proposition de loi Ciotti

Avis de Les enfants d'abord

Les obligations actuelles (code d el'éducation)

La définition légale du droit à l'instruction actuellement

Le controle du privé hors contrat actuellement

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 10 juin 2016.

Commentaires

  • thais8026, le 15/06/2016 à 08:04
    Je ne comprends pas cette levée de bouclier. Il me parait normal que l'Etat vérifie que l'instruction, qui est obligatoire, soit effectivement bien donnée aux enfants. Or c'est l'Etat qui décide du minimum d'instruction à transmettre et non les familles et cela aussi me semble normal.
    De plus, une vérification cycle par cycle signifie qu'il y aura 4 contrôles de cette instruction sur le primaire et le collège. De quoi laisser une grande marge d'autonomie aux familles ou aux écoles hors contrat.
    On ne peut pas faire n'importe quoi en terme d'instruction et je trouve même que les contrôles ne sont pas assez fréquents : en effet que va-t-on faire si on découvre au bout de 3 ans que la famille ou l'école hors contrat n'a pas respecté l'instruction obligatoire des enfants ? Et je ne parle pas de sanctions, je parle des enfants : que vont-ils devenir ?
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