La chronique de Véronique Soulé : Le lycée Langevin-Wallon demande plus pour ceux qui ont moins 

Après une violente bagarre devant le lycée le 13 mai dernier, l'équipe enseignante de Langevin-Wallon à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) a fait jouer son droit de retrait et cessé de faire cours. Elle demande plus de moyens pour un établissement qui accueille un public fragile. Plus largement, elle met en cause la décision de sortir les lycées des politiques d'éducation prioritaire permettant de donner plus (de moyens) à ceux qui ont moins. Sophie Ernst, qui enseigne la philo dans l'établissement, explique cette mobilisation.

 

 

Où en êtes-vous de votre mobilisation ?

 



A l’approche du bac, BTS et autres échéances, nous avons décidé, vendredi dernier, de reprendre le fonctionnement « normal » du lycée. Nous avions assuré une sorte de service minimum, avec le maintien des examens de contrôle continu, ou le bouclage de certains travaux à évaluer. Mais nous ne faisions pas cours. Une fois le traumatisme reconnu, il fallait amorcer une dynamique de travail et de reconstruction.

 

Avant la bagarre du 13 mai, il y avait eu des violences ?

 

Les bagarres, c’est toute l’année, dans la cour, dans le minuscule espace surpeuplé qui sert à la fois de préau, de salle d’études, de salle de permanence et de foyer des élèves. C’est dans les classes, parfois.

 

Le 13 mai, il s’agissait d’autre chose : d’un raid très violent d’une trentaine de jeunes cagoulés et armés de barres de fer, clés à molette, grenades lacrymogènes, venant de l’extérieur en expédition punitive pour cueillir à la porte du lycée des jeunes du quartier « ennemi ». Il y a eu des blessés.

 

Le climat du lycée avait eu tendance à se dégrader tout au long de l’année - agitations, tensions, absences démultipliées. Les collègues du secteur professionnel, notamment, sont plus exposés à des insultes ou des explosions de fureur.

 

Nous nous sommes plusieurs fois réunis pour constater les tensions. Nous sommes alors arrivés à la conclusion que l’équipe de direction était dépassée et devait être renforcée, notamment la proviseure nouvellement arrivée.

 

Langevin-Wallon est un gros lycée cumulant les difficultés sociales et scolaires. Il reçoit et porte à bout de bras les élèves les plus fragiles du secteur, ce qui exige beaucoup de rigueur et la capacité à mobiliser une équipe.

 

C'est un établissement particulièrement difficile ?

 

Pour donner un exemple, le lycée tout proche Louise Michel est tout à fait différent dans son recrutement d’élèves. Son Lycée des métiers du sanitaire et du social attire les filles. Nous, nous concentrons les garçons dans les sections professionnelles du numérique. Cette spécialité permet certes de belles réussites. Mais beaucoup de nos élèves subissent les contrecoups de la grande pauvreté. S’ajoute une maitrise insuffisante de la langue, et le « numérique » ne réussit pas à les motiver au delà de l’usage excessif des téléphones portables.

 

Le lycée avait perdu le label "Prévention violence" : pourquoi  ?

 

Ce sont les effets d’une décision lourde : celle d’exclure les lycées des politiques d’attribution prioritaire de moyens. La décision de concentrer les moyens supplémentaires sur le primaire et le collège, en tant qu’ancienne prof d’Ecole Normale d’Instituteurs, je la conçois. Mais elle a entraîné la sortie automatique des lycées.

 

Pour le nôtre, cela a pour conséquence la perte d'une panoplie, d'ailleurs assez modeste, de dotations en personnel notamment, qui permettait un encadrement plus différentié des élèves, avec des effectifs plafonnés.

 

Vous évoquez un sentiment d'impuissance : pourquoi ?

 

On nous demande dans le même temps de nous mobiliser pour éviter les radicalisations religieuses, les décrochages… Sans aide, nous nous enfonçons dans l’impuissance. Le résultat est un taux de renouvellement des personnels de 52% cette année.

 

En arrivant cette année, j’ai pourtant découvert avec plaisir cette équipe mixte, avec des « anciens » très mobilisés, des « nouveaux » très inventifs et solidaires, bref, une équipe généreuse et compétente. Je ne comprends pas que l’administration soit à ce point incapable de tirer parti de cette richesse humaine.

 

Quelles sont vos demandes ? Que vous répond-on ?

 

Nous demandons un peu plus de personnel de surveillance, de prévention, un renforcement de l’équipe de direction, et le retour à des effectifs plafonnés d'élèves. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur les modalités d’organisation du lycée et sur des projets à long terme. Nous voulons coopérer avec la Ville et les associations, sur l’axe de la violence et sur celui de la culture.

 

Le Rectorat, reconnaissant la gravité des faits, a dépêché une cellule psychologique d’écoute. Quant à nos propositions, il a adopté une démarche classique, avec l’envoi de négociateurs affables et compréhensifs, mais sans pouvoir de décision, et sans autre perspective que de « calmer le jeu ».

 

Lors d'un entretien avec le directeur de cabinet de la Rectrice, l’attitude bureaucratique s’est crispée. Nous n'avons obtenu que le maintien d'un demi poste de surveillant l'an prochain qui devait initialement être supprimé. C’est très déprimant, et cela nous met en colère.

 

Vous avez fait venir un sociologue: en quoi cela vous a-t-il été utile ?

 

Sociologue à l’EHESS et rattaché au laboratoire de l’ENS-ULM, Marwan Mohamed, a écrit un livre sur le phénomène de violence urbaine et de rivalité entre cités. Il nous a fait de nombreuses recommandations quant à la prévention, nous a expliqué la logique des bandes de quartiers, la culture de la violence banalisée et le découragement de l’énorme majorité des jeunes opposés à cette violence.

 

C’est à la suite de cela que nous avons décliné ces recommandations à notre échelle. Nous avons pris contact avec la Mairie, avec les acteurs associatifs, avec les lycées environnants.

 

Mais nous sommes professeurs. Il nous faut du personnel dédié et un pilotage par la direction pour mener ces actions de coopération, d’information.

 

Le bulletin du lycée évoque un problème plus général ?

 

C’est celui de l’éducation prioritaire. Alors même que la situation sociale empire dans les populations que nous scolarisons, les lycées en sont exclus. C’est le problème aussi d’une bureaucratie inadaptée qui nous gère, avec un déficit notoire de considération, une méconnaissance de notre travail et un déni de nos réalités.

 

Malgré cela, vous continuez à y croire ? 

 

Je vous ai décrit un lycée en proie à la peur et aux désordres. Mais il ne faudrait pas en rester à cette vision. Langevin-Wallon reçoit régulièrement des récompenses pour son engagement dans des projets comme le prix de Poésie en liberté, une action sur l’égalité femmes-hommes, ou un travail sur la laïcité…

 

Il y a toujours eu dans ce lycée une grande solidarité entre collègues, et une mobilisation pour des conditions de travail motivantes pour les élèves et pour nous-mêmes. C’est plus que jamais le cas. C’est parce que nous avons une vraie ambition en termes d’éducation, de culture, de civisme et d’ouverture au monde que nous sommes déterminés à en obtenir les moyens.

 

Paradoxalement, le choc subi aura peut-être provoqué une remobilisation des élèves. Par exemple, j’ai proposé un devoir sur le sujet : « La culture peut-elle refuser la violence ? ». Et mes élèves en ont sérieusement discuté entre eux…

 

Tous les collègues l’ont remarqué : nos élèves nous expriment qu’ils ont besoin de nous, qu’ils comptent sur nous. Nous voulons travailler autrement, mieux, construire un projet d’établissement riche en propositions en matière de culture et d’implication des élèves. Ils le méritent. Nous aussi.

 

Véronique Soulé

 

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Par fjarraud , le lundi 30 mai 2016.

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