Un espace pédagogique innovant au collège JP Rameau (69) 

Comment adapter la salle de classe à l’ère du numérique ? Comment travaille-t-on dans un espace de 160m² modulable et adaptée à la différenciation pédagogique ? Le projet Ecole de l’Avenir (ECLA) est piloté par Caroline Brottet-Aiello, enseignante de SVT au collège Jean-Philippe Rameau de Champagne-au-Mont-d'Or. La nouvelle salle de classe veut être en cohérence avec les nouvelles pratiques pédagogiques. Découvrons les secrets de cette salle qui permet « d’enseigner avec plaisir, de nourrir la réflexion et d’apaiser les tensions. »

 

Qu'est ce que le projet ECLA ?

 

Ecla est l’acronyme pour Ecole de l’Avenir. Ce projet qui a débuté fin 2013 concerne la création et l’expérimentation d’un espace de pédagogie innovant à l’ère du numérique, dans un nouveau concept d’établissement plus collaboratif. C’est un nouvel espace de travail où l’environnement a été repensé pour accueillir toutes les séquences pédagogiques atypiques, devenir un lieu d’étonnement, de création et d’expérimentation élargissant le champ des possibles. Nous avons aussi voulu impulser un changement de posture professionnelle en lien avec la performance scolaire et le bien-être de nos élèves. Il s’agissait de passer de l’enseignement frontal à une autre relation élève/enseignant plus bienveillante et accompagnante et remotiver un certain nombre d’élèves plus réfractaire à l’enseignement classique.

 

Nous voulions également qu’ECLA soit un lieu de partage et de mutualisation des savoirs et des pratiques. C’est pourquoi ce lieu est également un lieu d’accueil de formations externes et internes. Il sert également à nos réunions internes avec la direction, comme le conseil pédagogique qui ne ressemble plus du tout au format traditionnel en u ou face à face, dont nous avons tous eu l’habitude. La salle permet de faire ensemble, nourrir la réflexion et apaiser les tensions.

 

La salle de 160 m² est le fruit d’une réflexion collective. Comment s’est organisée cette concertation ? Finalement, quel est le matériel choisi pour la salle ?

 

L’établissement entrait en restructuration pour 3 ans et certains d’entre nous (collègues et direction) voulaient utiliser le levier de l’expérimentation pour impulser un changement de culture et de posture professionnelle en lien avec les évolutions sociétales de nos élèves (dans un monde de plus en plus connecté). Ce projet a nécessité le changement de plans architecturaux (et pas seulement pour Ecla) alors même que tout était déjà finalisé et que nous faisions les cartons de déménagement. Le challenge a été de convaincre les décideurs (collectivité territoriale et autorité de tutelle) de prendre le risque de faire confiance à une équipe de terrain totalement inconnue, pour valider et financer un concept qui n’existait pas et en plus dans un temps record : 2 mois.  Le travail partagé avec la direction, en particulier V. Lincot, nous a immédiatement fait passer du concept d’“établissement collaboratif” à la pratique.  Moins d’un an après la validation du projet, le lieu était créé et les meubles livrés.  Ce sont nos convictions et notre travail collectif qui ont permis la réussite de ce projet qui reste une sacrée aventure.

 

Nous avons voulu créer des espaces de travail collaboratifs, lieux de rencontre et d’échanges pour optimiser le travail et le bien-être de nos élèves. Cette réflexion collective a été menée avec des collègues volontaires mais également des parents et des élèves que nous avons rencontrés lors d’un après-midi de travail. Nous avons pu alors établir des éléments de diagnostique sur le rôle de l’enseignant, la motivation, la concentration et les activités pratiques, la notion de réussite et d’échec scolaire et l’ergonomie.

 

Nous avons ensuite mené une réflexion plus globale sur le design et l’ergonomie en créant des plans de salle, du mobilier (dessiné avec le logiciel Sketchup), en travaillant sur l’impact des couleurs et l’utilisation d’un matériel atypique en milieu scolaire. Inspirés par nos visites au Learning Lab de l’Ecole Centrale de Lyon, nous avons installé dans cette salle des cloisons phoniques, un mur à écriture Velleda, des sièges de réunion mobiles et pivotants (Nodes de chez Steelcase ) et des coussins déformables type Fatboy.

 

Cet espace a évidemment intégré du matériel numérique, utilisé non comme une solution mais comme un levier au plaisir d’apprendre. Nous nous sommes équipés d’un TBI multi-tactile Promethean et de tablettes individuelles permettant l’utilisation des outils numériques comme les padlets, prezi, cartes mentales, framapad, socrative... Cette envie de créer d’autres espaces décloisonnés (il en existe 3 de plus et bientôt toute la nouvelle Vie Scolaire) a permis au collège Jean-Philippe Rameau, grâce à la visibilité d’Ecla, de recevoir le prix des établissements innovants à Paris en mars 2016.

 

En quoi cette pièce est une salle de pédagogie active ? Quels sont les changements dans votre pratique ? Et dans le ressenti des collégiens ?

 

Nous avons finalement créé deux lieux de pédagogie active qui développe un travail entre pairs et la dynamique de projet en tant que situation d’apprentissage. Dans ECLA, élèves et enseignants n’ont plus de bureau.

 

Cet espace se veut être entièrement modulable pour une reconfiguration rapide et silencieuse en fonction des besoins pédagogiques. L’organisation différente de l’espace physique permet de développer la complémentarité des compétences entre élèves, la créativité, l’esprit critique, une autonomie plus ou moins encadrée et l’esprit d’initiative... Ce sont autant d’objectifs que l’équipe essaie de poursuivre dans ce projet. L’enseignant devient plus accompagnant et les élèves deviennent des apprenants en activité, à leur rythme quel que soit leur handicap cognitif.

 

Effets sur les pratiques des enseignants : Je dirais que cette salle a permis de développer de nouvelles formes de pédagogie comme le travail en îlots bonifiés, la classe inversée, la scénarisation pédagogique. Elle met les équipes dans un contexte d’ingénierie pédagogique. La rupture avec l’enseignement frontal permet d’apporter une aide plus individualisée aux élèves en difficulté. Ces lieux autorisent les enseignants à prendre des risques pédagogiques ! Si une séance ne se passe pas comme prévu, il n’y a rien de grave : c’est de l’expérimentation. Ce sera mieux la prochaine fois. Globalement, la préparation des séances est plus longue mais leur vécu est beaucoup moins fatiguant pour l’enseignant. Les élèves travaillent tout seuls. C’est d’autant plus flagrant que nous avons de nombreuses visites du lieu,  qui ne les perturbent absolument pas. Ils sont dans l’activité et peu importe qui est dans la salle.

 

Pour les élèves : c’est un espace de travail agréable qui propose des outils de formes variées qui améliorent leur concentration, leur engagement et leur motivation. Grâce au changement de posture de l’enseignant, celui-ci peut continuer à faire performer les meilleurs élèves avec des activités plus complexes et devient disponible pour de la différenciation pédagogique. Les élèves à besoins particuliers peuvent vivre leur inclusion scolaire sans stigmatisation aucune lors de séquences de travail adaptées. On ressent tous un vrai plaisir à travailler dans cette salle.

 

La salle est utilisée depuis maintenant 2 ans, quels enseignants la fréquentent ? Quelles disciplines ? Avez-vous des exemples de projets ou démarches vécus dans la salle ?

 

Il s’agit d’une équipe de 11 collègues (2 en SVT, 1 en physique chimie, 1 en anglais et 1 en allemand, 1 en histoire géographie, 2 en français et latin, 1 en éducation musicale, 1 en mathématiques, 1 collègue de SEGPA). Comme tout projet expérimental, nous avons créé un protocole d’utilisation de la salle et une grille commune pour les retours d’expériences. Les collègues s’engagent avec beaucoup de créativité dans cette salle malgré les problèmes techniques que nous rencontrons souvent avec la connexion internet et les tablettes. D’autres collègues, plus craintifs et/ou peu adhérents au départ commencent à réserver l’espace et à changer leurs pratiques pédagogiques, sans forcément utiliser le numérique.

 

Quelques projets vécus dans ce lieu : J’ai réalisé plusieurs séances de scénarisation pédagogique comme « le réveil de la chaîne des Puys » où mes élèves deviennent des géologues sondant la structure interne du globe et dont l’objectif était de savoir s’il fallait ou non évacuer Clermont Ferrand. Il y a eu aussi la rencontre de 3 chercheurs vivant à 3 époques différentes, qui grâce à une machine à remonter le temps ont pu se retrouver et échanger sur leurs recherches respectives concernant la transformation de la fleur en fruit (consultable sur mon site Ramsciences.fr ou sur ecla-education.fr)… Je retiens la première expérience que j’ai expérimentée dans cette salle et qui m’a laissé entrevoir toutes les potentialités de scenarii pédagogiques construits et me permet encore maintenant de prendre beaucoup de plaisir à enseigner. Il s’agit d’une séquence sur le rein où mes élèves sont devenus une équipe de médecins qui doit collaborer pour résoudre un cas clinique (et nous voici les acteurs principaux de la série télévisées DC House dont je mets la photo pour la motivation). Ils se mettent en groupe de travail libre (2 à 4 élèves) et ont accès à un padlet créé en amont par le professeur et accessible sur les tablettes avec des radiographies, vidéos etc… La mise en œuvre des actions collaboratives et la construction d’une intelligence collective a été permise par l’espace et les outils numériques associés. Quant aux élèves, ils montrent un grand enthousiasme à travailler ainsi, en consultant leurs documents à leur rythme, en interagissant et en demandant des explications à leurs camarades. L’ensemble du groupe a compris le fonctionnement du rein. Pendant ces séances, les élèves oublient quasiment leur professeur et sont transportés par le fait de trouver la solution au problème.

 

Cette salle a également été l’objet d’un travail sur la laïcité avec une classe de 4ème autour du grand mur écritoire par ma collègue Véronique Julien, professeur d’histoire géographie

 

Elle s’est également appuyée sur la création de cet espace pour réfléchir à  de nouvelles approches pédagogiques en lien avec le numérique et produire grâce à cet espace un mémoire : “ Cultures scolaires à l’ère du numérique : des mythes, des enjeux, des réalités - ECLA, un espace-temps scolaire à l’ère du numérique ». D’autres séances ont eu lieu comme en physique autour de l’éclipse du 20 mars, ou des séances de formation des délégués où les élèves ont pu profiter des différents espaces pour créer des groupes de réflexions collaboratifs.

 

Vous créez des capsules pour vos cours de SVT. De quoi parlent-elles ? En quoi ces productions aident vos élèves ? Quels usages faites-vous des vidéos ?

 

Plusieurs objectifs : je les utilise dans un travail de remédiation en petits groupes de travail. Les élèves retravaillent un point du cours comme par exemple la circulation du sang puis propose une modélisation que nous mettons en ligne sur notre site Ramsciences ou sur Youtube à l’intention des élèves du collège. Ils s’enregistrent en train de légender et commenter un document. Cela motive leur engagement dans ce travail, le rend à leurs yeux plus utile et il est de ce fait plus efficace. Nous l’avons fait sur les séismes en 4ème et certains élèves qui se sont pris au « jeu » m’ont proposé leur capsule vidéo faite à la maison.

Je fais également des tutoriels de fiches méthodes comme l’étude de courbe et des corrections d’exercices. Certaines vidéos sont utilisées dans l’expérimentation de la classe inversée.

 

L’ensemble de ces captures leur permet de retrouver tous les outils nécessaires en ligne et en lien avec le travail fait en classe. Cela convient autant aux élèves en difficulté scolaire qui vont travailler à leur rythme que ceux à haut potentiel qui trouvent aussi un moyen ludique de redonner du sens à ce qu’ils font. Ces capsules vidéos sont aussi souvent appréciées par les parents, premiers éducateurs de leurs enfants, qui peuvent ainsi retrouver les éléments travaillés en classe.

 

Vous êtes à l’origine de Ramsciences, un site internet consacré aux SVT. Quels usages en font les élèves ?

 

J’ai eu le sentiment à un moment donné de devoir créer un espace commun et en ligne pour mes élèves et moi. J’avais besoin de pouvoir partager avec eux des vidéos ou des articles que nous avions évoqués au moment de nos échanges en classe. Ils ont souvent d’ailleurs des lectures, des reportages, des photos à me présenter.

 

Les élèves peuvent retrouver les supports de cours travaillés en classe comme les prezi de scénarisation et surtout les padlets, c’est à dire les murs où sont épinglés les documents et vidéos travaillés en classe. Evidemment, tout cela est chronophage et le site n’a qu’un an d’existence pour le moment et est encore en construction.

 

 

Enfin, dans un futur proche, vous prévoyez l’utilisation d’un robot pour une téléprésence. Quelques mots sur ce projet.

 

Pour continuer à alimenter notre concept, nous souhaitons utiliser un robot de téléprésence Beam. Nous avons déjà fait des tests avec C. Batier de l’Université Lyon 1. Dans le cadre du projet e-fran, nous serions le lieu d’expérimentation pour le Learning Lab de l’Ecole Centrale d’Ecully mais pour l’instant ce projet est en suspens. En attendant, grâce à Erasme (Métropole de Lyon) qui va nous en prêter un, nous allons pouvoir avancer. Notre expérience avec Ecla nous a montré qu’il ne faut pas attendre un consensus de tous les acteurs institutionnels sur votre envie, votre idée. Il faut informer, bien s’assurer qu’il n’y a pas d’opposition institutionnelle et commencer à tester. Sur ce point, l’aval des parents d’élèves dans votre conseil d’administration est déterminant pour mener ce type de projet à bien.

 

Nous souhaitons dépasser l’utilisation du robot se substituant à la présence d’un enfant malade (déjà expérimenté en lycée et dans l’académie de Dijon). Nous voulons tester d’autres utilisations : visite de l’établissement, assister à des cours en Ecla, suivre des cours au collège pour nos élèves des écoles du secteur et développer ainsi la liaison école-collège dans le cadre du cycle 3 de la réforme du collège. Nous voudrions également valoriser l’enseignement multi-site et favoriser la liaison collège-lycée-université : visites des laboratoires de biotechnologies ou interaction avec les expériences faites dans les laboratoires de l’université. Pour cela, il faut de solides liaisons Wifi.

Et enfin partager les savoirs : dans le cadre du projet européen FuturClassroomLab (FCL) dont je suis devenue la représentante à Lyon, nous allons pouvoir partager nos expériences, nos créations pédagogiques et nos réflexions avec l’ensemble des acteurs de ce projet répartis partout en France et en Europe.

 

Entretien par Julien Cabioch

 

Site du projet Ecla

Présentation Prezi du projet

Site Ramsciences

Chaîne YouTube

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 24 mai 2016.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces