La Refondation vue du terrain 

Comment la refondation est-elle perçue sur le terrain ? Impossible de le savoir aux Journées organisées par le ministère où les enseignants de terrain sont aussi rares que les vrais débats. Autant le demander là où la refondation aurait du porter ses effets en priorité, en suivant les « fils rouges » définis le 2 mai par N Vallaud-Belkacem : l’éducation prioritaire et le primaire. Nous avons sollicité trois grands témoins. Rachel Schneider , professeure des écoles et secrétaire départementale du Snuipp 93, Véronique Vinas , directrice d’une école maternelle dans le quartier populaire parisien de la Goutte d’Or et Rodrigo Arenas Munoz, président de la Fcpe 93. Trois témoins qui évoquent des espérances déçues, de l’ignorance du terrain et aussi des progrès.

 

Où sont passés les moyens ?

 

 « Il faut se rappeler ce qu’ont été les années Sarkozy dans le 93 », nous dit Rachel Schneider. « On a eu 12 000 élèves en plus et quelques enseignants en moins. Il a fallu ouvrir 500 classes et pour cela on a supprimé des postes de remplaçants et 190 postes de Rased. En même temps l’école s’ouvrait aux élèves handicapés. Dans ces conditions, alors que les enseignants sont pour l‘école inclusive, cela s’est fait avec de la souffrance pour tout le monde ».

 

« On s’attendait à l’arrivée rapide de postes avec ce gouvernement qui faisait du primaire sa priorité », poursuit Rachel Schneider.  « En fait c’est seulement à la rentrée 2016 que l’on va retrouver des créations de postes à la hauteur des besoins grâce au concours spécial que le ministère a finalement mis en place. En attendant, à raison de 2 à 3 000 élèves supplémentaires chaque année, les enseignants ont connu une dégradation de leurs conditions de travail ».

 

A Paris, Véronique Vinas évoque les problèmes de remplacement depuis deux ans, le retour des contractuels dans les classes. Là aussi l’effort en création de postes n’est pas perceptible sur le terrain. « On n’a pas l‘impression d’un changement ».

 

Une école désorganisée de Sarkozy à Hollande

 

 « Le gouvernement n’a pas perçu l’impact des mesures Darcos sur l’identité professionnelle », confie R. Schneider. « La plus grave a été la suppression des samedis matin. On a perdu les temps de concertation (un samedi sur trois) qui permettaient de faire vivre l’équipe. Or c’est cela l’identité des professeurs du premier degré. C’est venir à l’école et pas seulement en classe, pour faire vivre une équipe et une école ». Véronique Vinas décrit aussi des enseignants « qui appliquent les programmes, qui font équipe en ce qui concerne les taches matérielles mais qui ne réfléchissent plus ensemble ». Elle rattache cela aussi à la masterisation et au changement social qu’elle a entraîné dans le recrutement des enseignants. « Ils sont plus individualistes ».

 

« Là-dessus sont arrivés les rythmes scolaires. Cela a achevé la désorganisation dans les écoles », estime R Schneider. « On ne s’en remet pas ».  Pour V.Vinas, les rythmes « ont occulté tout le reste, alors qu’il aurait fallu commencer par la refonte des programmes ».

 

Des réussites trop tardives ?

 

Il y aussi les réussites. R Schneider et V Vinas évoquent le retour de la formation initiale, même si les maitres formateurs, une spécificité du primaire qui permet la formation par les pairs, peinent à trouver place dans les Espé. Il y a les nouveaux programmes, accueillis positivement mais qu’il va falloir accompagner pour les faire vivre. « On a un quart des enseignants du 93 qui n’ont pas eu de formation initiale », rappelle R Schneider. « Ils n’ont connu que les programmes de 2008 dont ils apprécient la simplicité », explique V Vinas. Faire passer les nouveaux programmes sera plus difficile dans les quartiers populaire qu'ailleurs.

 

Des enseignants sceptiques

 

« Il y a de la colère par rapport aux attentes », dit R Schneider.  Mais les enseignants sont aussi épuisés selon elle. Et inquiets : « on craint le retour des suppressions de postes après 2017 alors que les effets de la refondation devraient être perceptibles à la rentrée 2016 ».

 

« Les enseignants sont des fonctionnaires qui  appliquent les programmes. Mais ils sont sceptiques et dubitatifs. Ils se sont désintéressés d’une refondation dont ils ne voyaient pas  les effets par rapport aux promesses », explique V Vinas.

 

Comment expliquer cette situation ?

 

 « Au démarrage, le gouvernement a été à coté de la plaque », pense R Schneider. « Il a sous estimé les effets des 5 années sous Sarkozy. Il n’a pas vu l’effet que ferait la réforme des rythmes dans ce contexte là ». Pour elle, les cadres connaissent mal le primaire et ne perçoivent pas assez ses spécificités.

 

Rodrigo Arenas Munoz, président de la Fcpe 93, a une autre explication. Pour lui les difficultés de la refondation tiennent aussi à la culture de l’école. « L’élève devrait être au centre. L’école et les familles devraient se faire confiance. Or ce n’est pas le cas », dit-il.

 

Il dénonce  le « monolithisme » de l’Education nationale dans un département où ce sont les expérimentations qui permettent de progresser. « Le frein est dans les têtes. Ce n’est pas qu’une question de moyens ». La refondation devrait aussi être une nouvelle mentalité ?

 

François Jarraud

 

 

Par fjarraud , le mercredi 04 mai 2016.

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