Quel devenir scolaire pour les descendants d'immigrés ? 

" Longtemps, les sciences sociales françaises ont considéré que le destin social et scolaire des migrants et de leurs descendants n’était que le résultat de leur niveau socioéconomique, de leur « position de classe »". Georges Felouzis et Barbara Fouquet Chauprade, qui coordonnent ce numéro de la Revue Française de pédagogie (n°191) posent la question de l'origine des inégalités scolaires des enfants d'immigrés dans un numéro qui fait date. En effet, la question des facteurs d'inégalités scolaires divise les chercheurs et il faut rendre hommage aux coordonnateurs d'avoir su aller au-delà de leur propre thèse pour ce numéro qui fait date.

 

C'est ce que marque le choix des termes "descendants d'immigrés" , là où d'autres auraient inscrit "inégalités ethniques". Car c'est bien cette question de la discrimination ethnique qui est posée dans ce numéro. Le choix de termes neutres ne doit pas gommer le fait qu'il n'y a pas de discrimination à l'égard des descendants d'immigrés ouest européens ou nord américains. Celle ci s'adresse, on le sait bien, aux dépens des enfants d'immigrés africains (principalement en France), Turcs ou asiatiques.  Et il faut rendre hommage aux chercheurs qui traitent cette question malgré la rareté des sources en  France. La France se singularise par son refus obstiné de prendre en compte la dimension ethnique dans les enquêtes internationales, tout comme elle refuse les comparaisons d'établissements...

 

Une discrimination particulièrement forte en France

 

Que sait-on de cette discrimination ? Pisa montre que la France se situe dans les pays où elle est la plus forte. Les écarts entre les élèves natifs et les migrants en fonction de leur date d'arrivée sont particulièrement élevés. Le score moyen en mathématiques de l’ensemble des pays de l’OCDE est de 482 pour les élèves arrivés avant 5 ans, 455 pour ceux arrivés entre 6 et 12 ans et de 449 pour ceux arrivés après 12 ans. Dans le contexte français, les moyennes sont respectivement de 455, 411 et 374. Rappelons que dans certains pays l'écart est nul ou très faible entre natifs et descendants d'immigrés.

 

Ecart social, culturel ou discrimination systémique ?

 



Comment expliquer cela ? La revue donne bien sur la parole à Georges Felouzis, Barbara Fouquet-Chauprade et Sébastien Charmillot qui défendent la thèse de la discrimination systémique. Ils rappellent la thèse classique selon laquelle " le handicap scolaire observé des élèves migrants ou directement issus de l’immigration serait à la fois le résultat de leur origine socioéconomique globalement plus défavorisée et de leur éloignement culturel lié à la migration". Dans cette thèse, "l’école est pensée  comme « indifférente aux différences ». En offrant le même enseignement à des élèves au départ inégaux, l’école produirait donc les inégalités d’acquis observées".

 

Or ce qu'ont apporté les travaux de G Felouzis au début du siècle c'est une autre thèse. L'article relève que au niveau socio économique les élèves natifs et non natifs tendent à se rapprocher entre 2003 et 2012 (éditions de Pisa). " On devrait observer une amélioration de leurs résultats tant il est vrai qu’au plan du statut socioéconomique et du niveau d’études de leurs parents, la distance sociale entre ces élèves et l’école tend plutôt à se réduire". Or il n'en est rien. " Pour les mathématiques : alors que les natifs perdent en moyenne 13 points entre 2003 et 2012, les élèves de 2e génération en perdent 24 et les 1re génération 20. Il en est de même en sciences pour les élèves de 2e génération : ils perdent 23 points alors que les natifs n’en perdent que 10 dans la même période.. Les élèves non natifs tendent à être moins performants quelque soit leur statut socio économique et ce phénomène est plus marqué pour les élèves de la 2ème génération...  La distance s’est accrue entre élèves natifs et non natifs, notamment pour les plus favorisés, comme si la frontière migratoire s’était renforcée pour limiter les acquis scolaires des élèves de 1re et 2e génération".

 

" Ces résultats suggèrent que d’autres facteurs que ceux liés aux conditions familiales de ces élèves interviennent dans le renforcement notable des inégalités de compétence entre natifs et non-natifs d’une part, et pour les élèves dont le capital culturel hérité est très faible d’autre part", notent les auteurs. " Or, ces deux types d’élèves ont un point commun. Ils sont scolarisés dans les mêmes types d’établissements, ceux de la « périphérie » pour reprendre l’expression d’Agnès van Zanten (2012) ou encore ceux dont la ségrégation sociale se cumule avec la ségrégation ethnique et scolaire (Felouzis, 2003). Notre hypothèse est que ces transformations des inégalités relèvent d’inégales opportunités d’apprentissage car la nature de l’offre de formation proposée aux élèves en fonction de leur parcours migratoire et de leur capital culturel est elle-même inégale".

 

Les descendants d'immigrés sont victimes d'une discrimination systémique, c'est à dire qui résulte " de l’ensemble des conduites des acteurs dont les effets convergent vers un phénomène discriminatoire. La discrimination systémique ne suppose donc pas de volonté explicite, volontaire et consciente de discriminer".

 

La part des parcours familiaux

 

 

 

D'autres articles, comparatifs, viennent nuancer cette thèse. Ainsi l'étude de Mathieu Ichou qui compare les parcours scolaires des élèves issus de l’immigration en France et en Angleterre "met en lumière que, comparés aux élèves natifs, les descendants d’immigrés s’en sortent mieux en Angleterre qu’en France". Il l'explique par le parcours familial des immigrés anglais. "La prise en compte de la position éducative relative des familles dans leur pays d’origine explique presque entièrement les inégalités scolaires entre élèves issus de l’immigration et natifs".

 

Une autre comparaison, cette fois-ci avec l'Allemagne, est menée par Ingrid Tucci. Elle montre que "l’origine sociale des élèves explique presque entièrement les inégalités scolaires en Allemagne, mais ce n’est pas le cas en France". Et cela alors que "les inégalités de parcours scolaires sont plus fortes en Allemagne qu’en France où le premier palier d’orientation est plus tardif".

 

Un troisième éclairage est apporté par Marion Dutrévis qui met en évidence le poids des stéréotypes sur les groupes minoritaires eux-mêmes. Cette dimension psychosociale vient finalement en appui des travaux antérieurs.

 

Un numéro qui fait date

 

En conclusion, on peut dire que ce numéro de la Revue française de pédagogie fait date. D'abord par la richesse des contributions qui présentent une vision nuancée de la ségrégation scolaire. D'autre part parce que la thèse de la ségrégation ethnique systémique, toujours combattue au sein du système éducatif, trouve enfin sa place dans une revue officielle. Enfin parce que ce numéro qui pointe le fonctionnement du système éducatif nous appelle à le transformer en profondeur. Il fait de la mixité sociale et ethnique un impératif national.

 

François Jarraud

Revue française de pédagogie, n°191 avril-mai-juin 2015, Les descendants d’immigrés à l’école. ISBN 978-2-84788-772-3

 

Revue française de pédagogie : le sommaire

Félouzis sur les inégalités scolaires

Ségrégation : le DOSSIER de la Journée d ela fraternité à l'Ecole

Comment lutter contre la ségrégation dans son établissement

La ségrégation scolaire c'est bien ou pas ?

 

 

Par fjarraud , le mercredi 13 avril 2016.

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