Face au numérique les enseignants feraient de la résistance. Celle ci résulterait de l'esprit de routine, voire de la paresse ou du conservatisme enseignant. Voilà ce qu'on entend souvent quand on ne le lit pas en filigrane dans des rapports officiels. Mais le numérique ne fait pas "que" peser sur l'identité professionnelle de enseignants. Il participe du sentiment d'affaissement de l'institution scolaire. C'est une des conclusions émises par Thérèse Pérez-Roux, professeure à l'Université de Montpellier. A l'occasion du Printemps de la recherche en ESPE qui s'est tenu à Paris les 20 et 21 mars, elle a présenté une étude originale, quasi ethnographique. T Pérez-Roux a reconstitué les dynamiques entretenues avec l'arrivée d'un ENT dans un lycée. Elle nous offre une plongée au coeur de l'école...
Pour étudier en finesse l'impact du développement du numérique, Thérèse Pérez-Roux a réduit l'horizon de l'étude en la limitant à un lycée de la périphérie nantaise. Dans ce lycée elle a suivi l'arrivée de l'ENT régional grâce à des entretiens avec le proviseur adjoint, des CPE et des enseignants.
De nouveaux usages
Avec l'ENT, ce sont de nouveaux usages qui se développent dans l'établissement. T Pérez-Roux mentionne par exemple la messagerie de l'ENT qui peut être utilisée pour étendre le cours : les enseignants complètent le cours grâce aux messages. Les élèves de leur coté tentent d'y échapper (elle n'amène que du travail) et les enseignants développent des parades. L'ENT est utilisé aussi pour gérer les notes. Les enseignants sont assez critiques sur le logiciel de notes. Pour T Pérez-Roux ils craignent d'être jugés sur le nombre de devoirs donnés. Mais l'élément le plus critiqué de l'ENT c'est le cahier de textes jugé très chronophage.
Le numérique dans les enseignements
L'arrivée de l'ENT s'accompagne aussi de l'entrée du numérique dans les enseignements. T Pérez-Roux montre que cela prend plusieurs formes. Le professeur de philosophie se sert d'Internet pour préparer ses cours et est très critique sur le numérique. Mais ça ne l'empêche pas d'envoyer aussi en aval du cours des compléments à certains élèves. La professeure d'histoire-géographie utilise beaucoup les animations. Le professeur de maths utilise des logiciels de maths an amont et pendant le cours. La plus enthousiaste est la professeure d'anglais qui n'imagine pas se passer de la balado diffusion. "Je ne vois plus les élèves de la même façon" dit-elle.
L'ENT touche aussi aux pratiques des CPE et du proviseur. Ce dernier se plaint de la pression accrue qu'exerce le rectorat grâce aux messages et aux logiciels des examens. Les CPE craignent une certaine déshumanisation du rapport avec les élèves, les messages étant utilisés pour éviter les contacts personnels.
Montée de la charge de travail et contrôle accru
Mais ce que met parfaitement en évidence l'étude ce sont les pressions exercées sur la profession enseignante. D'abord le numérique s'accompagne d'une montée de la charge de travail sans que celle ci soit indemnisée. Le cahier d etextes numériques est le symbole de cette nouvelle pression. Un enseignant estime que c'est "une heure de travail par jour non rémunérée". C'est aussi une transformation du temps, le travail débordant sur le temps libre ou plutôt celui ci perdant définitivement cette qualité. Un enseignant se plaint de "l'envahissement par le courriel". Les enseignants doivent refixer les limites avec les élèves.
Un autre thème revient régulièrement : celui du contrôle accru. Le cahier de textes , par le dévoilement des pratiques enseignantes, expose au contrôle des parents, de l'administration, de l'inspection le travail de chaque enseignant, expliquent des enseignants du lycée. Le carnet de notes expose le travail enseignant de la même façon avec une forte crainte des parents.
Une résistance, mais à quoi ?
L'arrivée du numérique bouleverse aussi le coeur de métier. Le savoir est accessible en dehors du professeur. Le cours peut se prolonger en dehors de la classe avec des élèves différenciés. Le coeur du métier de CPE est aussi affecté par le numérique comme nous l'avons vu, le élèves abusant des messages pour échapper au contact. Pour le CPE il s'agit plus de gérer et moins de dialoguer avec les jeunes.
C'est finalement l'identité professionnelle qui est atteinte. Et elle l'est pour des outils qui, explique T Pérez-Roux, ne donnent pas de légitimité professionnelle. Celle-ci tient dans le rapport construit avec les élèves et pour lequel les TICE ont peu d'importance.
Aussi pour T Pérez-Roux, on ne doit pas parler de résistance au numérique mais de résistance à l'affaissement de l'institution scolaire.
Le dernier apport de l'étude c'est ce qu'il apprend de la bonne gestion de l'établissement. Au final, T Pérez Roux explique que l'ENT s'installe dans l'établissement sans que la résistance prenne des proportions importantes. Pour elle cela tient à la qualité du proviseur adjoint qui a su déléguer et s'entourer d'u conseil numérique sur qui il s'appuie. A ce niveau là aussi, le numérique touche à l'identité professionnelle et à l'institutionnel.
François Jarraud
L'étude de T Pérez Roux sera publiée dans l'ouvrage "Le lycée en régime numérique", dirigé par P Cottier et F Burban, à paraitre chez Octares.
Le programme du Printemps