L'évaluation par compétences : Une solution pour lutter contre les inégalités sociales à l'école ? 

"On livre des pistes intéressantes. Je suis convaincu qu'il faut sortir du système de notation dont on connait les biais". Pour Pascal Huguet, directeur de recherches au CNRS - Sciences cognitives), qui a livré de premiers résultats d'une enquête menée dans l'académie d'Orléans Tours, il n'y a pas de doute : l'évaluation par compétences doit s'imposer pour faire reculer les inégalités sociales à l'école. Interrogé par le Café pédagogique, il partage les conclusions de ses travaux qui continuent à poser des questions.

 

Difficile de parler d'une étude qui n'est ni publiée ni même rédigée. Pour en savoir plus force est de se tourner vers son directeur, Pascal Huguet, directeur de recherche au Laboratoire de Psychologie Cognitive (LPC) à l'Université de Provence. Le Café pédagogique l'a interrogé sur le protocole mis en place, ses résultats et les interprétations de ces résultats.

 

Le protocole

 

L'enquête a touché 2600 élèves de l'académie d'Orléans - Tours , 1500 suivant une évaluation par compétences et 1100 constituant un groupe témoin ayant les mêmes caractéristiques sociales, selon P Huguet. L'évaluation par compétences a touché trois disciplines : maths, histoire-géo et français. Le niveau retenu a généralement été la classe de troisième de façon à pouvoir comparer les résultats avec ceux d'une épreuve nationale, celle du brevet. Le protocole d'évaluation a été défini dans chaque établissement. Les professeurs dans chaque collège ont défini les compétences à évaluer, disciplinaires et transversales, en s'appuyant sur le socle. Les notes n'ont pas totalement disparu puisque les bulletins trimestriels continuaient à afficher une note et que les autres disciplines ont gardé leurs notes. Mais dans le quotidien de la classe le travail est évalué selon les compétences à acquérir.

 

Les résultats

 

Selon P Huguet, dans les classes qui ont suivi les protocole d'évaluation par compétences, le niveau global des élèves est plus élevé en maths. L'écart avec le groupe témoin est de 3 points, ce qui est très important. Surtout l'écart entre le niveau moyen des élèves favorisés et celui des élèves issus des catégorise socialement défavorisées est de 6 points dans le groupe témoin. Il n'est que de trois points dans le groupe suivant une évaluation par compétences.

 

En histoire-géographie et en français, l'évaluation par compétences n'a pas d'effet notable sur les résultats.

 

"Pisa nous dit que ce qui caractérise l'école française c'est l'importance des inégalités sociales dans es résultats. Avec l'évaluation des compétences, on tient une piste opérationnelle pour réduire ces inégalités", nous dit P Huguet.

 

Les explications de P Huguet

 

Comment expliquer cet effet ? "On a introduit, dans les questionnaires des élèves, des questions sur leur motivation et le type de motivation (pour eux ou par rapport aux autres), le climat de la classe. On observe que les résultats positifs de l'évaluation par compétences ne se retrouvent que là où les professeurs des 3 disciplines ont été d'accord pour participer à l'expérimentation. Quand certains professeurs sont contre et critiquent le protocole, il n'y a pas d'effet. Cela veut dire que les élèves sont sensibles au consensus dans l'établissement. Cela veut dire aussi que les chefs d'établissement ne doivent pas introduire l'évaluation par compétences par petits morceaux. C'est une méthode du tout ou rien."

 

"Le protocole améliore le climat de la classe", poursuit P Huguet. "Il n'y a pas l'effet décourageant de la mauvaise note. Surtout l'évaluation par compétences permet de donner un meilleur feedback aux élèves sur leur niveau qu'une note. Les élèves savent où ils en sont beaucoup plus précisément.

 

Interrogé sur l'absence de résultats en français et histoire-géographie, P Huguet nous dit que dans ces disciplines les compétences sont peut-être plus difficiles à définir. "Mais les maths c'est important car c'est ce qui détermine l'orientation".

 

Préconisations ?

 

Le rapport n'étant pas formellement rédigé, P Huguet n'envisage pas de publier tout de suite des préconisations. Mais il estime tenir une piste scientifiquement établie pour améliorer le système éducatif. "Il faut écouter les données et conclure fermement", dit-il. "Je suis convaincu qu'il faut sortir du système des notes".

 

Une étude déterminante ?

 

L'évaluation par compétences est-elle la solution si longuement attendue pour réduire les inégalités sociales à l'école ? Si les résultats de l'étude de P Huguet doivent être pris avec sérieux, les explications qu'il donne sont plus sujettes à débat. D'autant que l'évaluation par compétences est déjà largement répandue au primaire, un niveau éducatif où les inégalités  sociales sont bien là et où le niveau scolaire des élèves ne s'améliore pas à en croire les évaluations nationales...

 

Plus que le meilleur feedback que permettrait l'évaluation par compétences, la suppression des notes peut avoir un effet de prise de confiance pour les élèves fragiles. La démonstration en a été fournie par Camille Terrier, une doctorante de la Paris School of Economy. Elle a étudié les résultats de près de 5 000 élèves de 6ème de l'académie de Créteil en maths. Elle a pu montrer que les enseignants discriminent positivement les filles (d'environ 6%) et que à la fin de la sixième cette pratique se traduit par une élévation du niveau des filles en maths. Il y a onc bien un effet en lui même de l'évaluation. Il pourrait expliquer l'écart entre les maths et les autres disciplines : c'est en maths que les élèves français perdent le plus leurs moyens selon Pisa. Il n'y a pas la même pression dans les autres disciplines.

 

Un autre effet est écarté par P Huguet. C'est l'effet de motivation des enseignants. Les professeurs qui se sont engagés dans le protocole sont des enseignants volontaires qui ont aussi décidé de travailler ensemble. Ce sont de facto des militants pédagogiques. Par suite on peut attendre d'eux qu'ils aient davantage de capacités pédagogiques et que les élèves soient sensibles à un suivi pédagogique plus important. Ces qualités disparaitraient dans le cas de l'imposition de l'évaluation par compétences.

 

Si l'évaluation par compétences peut faire reprendre confiance des élèves et éviter qu'ils se résignent à l'échec c'est une bonne chose. Mais bien des facteurs interviennent dans la construction des inégalités sociales à l'école. Y compris des facteurs que l'institution scolaire ne souhaite pas voir portés en avant comme le déficit d'enseignants formés dans les établissements Rep, le nombre d'élèves par classe, le cadre culturel et social dans lequel vivent les élèves etc.

 

François Jarraud

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 09 mars 2016.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 12/03/2016 à 17:49
    M. Huguet fait une erreur. C'est le Français  qui est, en premier lieu, sélectif pour l'orientation. C'est le niveau en Français qui permet d'être accepté en 2nde Générale. Et c'est le niveau en Français qui permet d'être accepté dans une filière générale. Les maths n'interviennent qu'au dernier étage entre la L, la ES et la S.
Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces