André Tricot : "Si l'efficacité d'un système éducatif ne tenait qu'à ses outils, que ce serait simple !" 

Membre du laboratoire Cognition Langues Langages Ergonomie du CNRS, André Tricot est un des meilleurs spécialistes du numérique éducatif. Impact des exerciseurs, de l'apprentissage de la programmation, utilisation des data pour orienter l'enseignement, appel au numérique pour répondre aux carences du système éducatif, André Tricot revient sur les propositions du rapport de l'Institut Montaigne. Pour lui, c'est un texte militant. Entendez qu'il n'est pas réellement fondé...

 

Une des premières idées du rapport, c'est que le numérique serait bénéfique car il motiverait les élèves. A-t-on des travaux qui attestent d’une motivation plus forte des élèves grâce à des logiciels ?

 

A un premier niveau, on peut dire que ça dépend du logiciel et de la tâche. Par exemple des collègues ont proposé une tablette à des lycéens et leur ont demandé s’ils préféraient réaliser la tâche avec une tablette ou du papier et un crayon. On leur proposait de la lecture et de l’écriture. Les élèves ne sont pas fous ! Pour la lecture ils ont préféré la tablette. Et pour l’écriture le papier car ce n’est pas pratique de rédiger avec une tablette. Donc on peut déduire que cela dépend de l’application et de la tâche.

 

La fascination pour le numérique qu'on observait il y a 15 ans, doit maintenant être nettement plus nuancée. Même si , en moyenne, il y a une plus grande motivation pour le numérique en général.

 

De la même façon le fait que les élèves soient plus motivés ne veut pas dire qu’ils apprennent mieux. La motivation est une condition nécessaire pour un apprentissage mais pas suffisante.

 

C'est l’enseignant, dans la classe, qui va se poser la question de l’adéquation entre l’outil et la tâche.

 

Une autre idée du rapport c’est la valorisation des exerciseurs. A-t-on des études là-dessus ?

 

Il y a une littérature cohérente sur ce sujet. On a des effets nettement positifs des exerciseurs par rapport à leur équivalent papier pour plusieurs raisons. D’abord parce que l'élève a un retour immédiat alors que sur le papier il doit chercher la solution. L’autre raison c’est que certains élèves préfèrent un retour donné par une application plutôt que par un être humain.

 

Mais il ne faut jamais oublier d’ajouter que les exerciseurs ne sont que des exerciseurs. C'est-à-dire que la fonction pédagogique d’un exerciseur c’est s’entrainer à mettre en œuvre un savoir faire qu’on maitrise déjà un peu. C’est du renforcement. L’exerciseur n’aide pas à comprendre quelque chose qu’on n’a pas compris, ou à découvrir une connaissance nouvelle ou à élaborer une nouvelle notion. On a un net effet positif en même temps qu’une fonction pédagogique très circonscrite.

 

Le rapport met aussi en avant le fait d’apprendre à programmer. Il le présente comme quelque chose de très positif. Qu’en pensez-vous ?

 

Comme le dit Pierre Tchounikine, directeur du laboratoire d'informatique de l'université de Grenoble, « si on me demande pourquoi enseigner la programmation, ma réponse est je n’en sais rien ». Cette réponse me parait très lucide. Cette défense de la programmation pour tous relève d'un discours militant. On n’a pas d’étude contrôlée sur ce point qui dirait que les élèves qui ont appris à programmer ont quelque chose en plus. Personnellement comme militant je trouve l’activité intellectuelle fabuleuse. Mais scientifiquement je n’ai pas l’ombre d’une preuve de son intérêt. Dans « Apprendre avec le numérique » je le disais déjà et je déplorais que l’on soit dans un domaine aussi idéologique. Apprendre à programmer ça n’apprend qu’à programmer, rien d’autre.

 

Une autre idée du rapport c’est le fait d’utiliser les données issus des logiciels pour améliorer le système éducatif. Qu’en pensez-vous ?

 

C’est une question très intéressante. On la pose depuis longtemps. A partir du moment où un élève apprend dans un environnement informatique ça génère des données et elles peuvent donner des éléments de diagnostic. Mais la difficulté c’est le passage de la donnée au diagnostic. On sait récupérer les données. Mais de là à en tirer des éléments pour fonder un diagnostic il y a un pas. Quand on remonte à la cause on est obligé à la plus grande modestie. La seule chose qu’on sait faire c’est des hypothèses.  Quand on veut réfléchir aux causes il faut faire appel à coté des informaticiens, à des psychologues, des spécialistes des sciences cognitives, des sciences de l’éducation. On doit rester très modeste.

 

Il se dégage du rapport l’idée qu’on va pouvoir avec le numérique faire l’école pendant et après le temps scolaire et améliorer ainsi la performance de l’école. Qu’en pensez-vous ?

 

Le rapport est très bien documenté. Mais le saut qui consiste à dire dans telle condition le numérique va améliorer la performance éducative est trop grand à franchir. Avant, il y a un diagnostic à faire sur le système éducatif français. Ce qu’on voit c’est l’iniquité qui est forte. Le système produit des résultats moyens avec des élèves très faibles mais aussi très forts. Il faut se demander pourquoi on a cette dispersion qui est socialement très marquée. Quand on aura la réponse à cette question on pourra voir quelle est la place du numérique. Mais le rapport fait un raccourci sur cette question. On est face à  un discours militant.

 

Sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture on a des expériences numériques intéressantes ?

 

Oui il y a des choses intéressantes pour les élèves qui ont des troubles d’apprentissage pour le déchiffrage comme pour la compréhension. Sur l’écriture il y a moins de travaux. Une des choses les plus intéressantes ce sont les logiciels pour l’apprentissage de la lecture pour les enfants dyslexiques. Ils accentuent le repérage des phonèmes, des graphèmes et la relation entre les deux.  On a des outils qui permettent de faire cela avec précision, des retours immédiats et de la personnalisation de la progression. Les résultats sont vraiment intéressants. Mais c’est parce qu’on a identifié la nature de la difficulté et qu’on s’adresse directement à un processus établi. Ca nous renvoie à la question du diagnostic.

 

Peut-on dire que dans le rapport la question est mal posée ? C'est à dire que les difficultés au primaire sont celles des enfants pauvres et pas celles des méthodes ?

 

Si l’efficacité d’un système éducatif ne tenait qu'aux méthodes pédagogiques , ce serait simple ! Si en plus elle ne tenait qu'aux outils pédagogiques utilisés ce serait encore plus simple ! Bien entendu les méthodes ont leur importance. Mais l’organisation du système, l’équilibre entre une centralisation importante et une vraie décentralisation aussi. La reconnaissance sociale des enseignants et le partage des valeurs entre celles de l’école et celles de la société c’est vraiment fondamental. On est dans un système où il y a à résoudre un nombre important de problèmes.

 

Faut-il, comme le dit le rapport, mettre l’accent sur le primaire plutôt que sur le collège ?

 

C’est très consensuel comme idée. Quand on regarde le fonctionnement du système éducatif français on voit que les écarts sociaux apparaissent très tôt dès le CP et ne cessent de s’accroitre. Mais est-ce parce qu’il y a un cercle vicieux de cumul des retards ou est-ce parce que l’écart entre les parents et les valeurs et les attentes de l’école augmentent avec le niveau de l’école ? Les travaux d’E. Bautier et P. Rayou montrent que le grand problème des parents au collège c’est de comprendre ce que les élèves apprennent au collège pour pouvoir les aider. Bien malin celui qui pourrait dire quelle hypothèse favoriser…

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

André Tricot : Apprendre avec le numérique

Le travail de Pierre Tchounikine

 

 

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 07 mars 2016.

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