L'échec des programmes de réussite éducative 

La France est-elle incapable d'aider les enfants les plus fragiles ? Un nouveau rapport réalisé par l'Institut des politiques publiques, Ecole d'économie de Paris, sous la direction de Pascal Bressoux, Marc Gurgand, Nina Guyon, Marion Monnet et Julie Pernaudet, démontre l'inefficacité des programmes de réussite éducative. "Il n’existe pas, dans nos données, d’indice permettant de démontrer que les Programmes de Réussite Educative (PRE) ont, en moyenne, fait progresser, sur le plan cognitif et non-cognitif, les enfants bénéficiaires davantage que des enfants non-bénéficiaires aux difficultés de départ très comparables", affirme cette étude. Lancés en 2005, les PRE touchent 100 000 jeunes et coûtent près de 100 millions. Apparemment en pure perte.

 

100 000 enfants concernés

 

Janvier 2005, le gouvernement Raffarin lance un grand "Plan de cohésion sociale" censé remédier à la montée des inégalités et de renouer le contact avec les familles les plus fragiles et souvent les plus délaissées. Dans ce plan, les Programmes de réussite éducative (PRE) visent à  prendre en charge de façon globale, et sous la direction du Ministère de la Ville, les enfants les plus fragiles à partir de 2 ans, repérés souvent par l'école.  Il s'agit de mettre en place une réponse globale à leurs difficultés en amenant les différents acteurs (école, services sociaux, municipalités etc.) à travailler ensemble. Pour chaque PRE, un coordinateur est chargé d'articuler le parcours et assurer le suivi individualisé des enfants bénéficiaires en proposant des aides dans différents domaines (scolaire, social, sanitaire, culturel, sportif) en accord avec les familles. Aujourd'hui près de 100 000 jeunes bénéficient d'un PRE pour un coût global estimé à une centaine de millions.

 

L'équipe de l'Institut des politiques publiques a évalué les effets des PRE en comparant l'évolution de 404 enfants de CE1 et CM1 bénéficiaires des PRE avec celle d'enfants ayant des caractéristiques comparables mais ne bénéficiant pas du PRE.

 

Pas d'effet sur le bien être

 

Les résultats sont sans appel puisque sur tous les aspects, les PRE s'avèrent n'avoir aucun effet ou même, parfois , des effets négatifs.  

 

S'agissant des effets psychologiques des PRE, " la qualité de vie ressentie dans les dimensions psychologiques ne semble pas affectée par l’intervention, mais l’échelle de satisfaction dans la vie connaît un effet négatif assez fort, quoique faiblement significatif 3. Le comportement, qu’il soit mesuré à travers le sentiment de bien se comporter, ou l’évaluation faite par l’enseignant, diffère peu entre les élèves bénéficiaires et témoins. En revanche, certaines dimensions de la relation aux autres se détériorent par rapport au groupe témoin. Si la qualité de vie perçue dans les dimensions sociales s’améliore légèrement, l’estime de soi sociale, qui reflète principalement le sentiment d’avoir de bonnes relations amicales, est affectée négativement", note le rapport.

 

Des effets négatifs sur les résultats scolaires

 

Dans le domaine scolaire, " on observe également des mouvements négatifs, surtout dans les dimensions conatives. Certaines dimensions de motivation diminuent significativement : la motivation intrinsèque, qui reflète le plaisir que les enfants trouvent à l’école et la motivation identifiée, qui caractérise l’intériorisation par les enfants de l’utilité de l’école... La réussite scolaire à proprement parler est peu affectée, même si on relève un effet légèrement négatif sur le jugement des enseignants concernant des capacités telles que l’autonomie, le niveau de langage, la compréhension des consignes".

 

Les relations entre les parents et l’école "n’ont pas évolué de façon significativement différente entre les élèves bénéficiaires et les autres. Et la seule dimension significativement affectée va dans le sens d’une diminution des relations entre la famille et l’école du point de vue de l’enseignant", dit le rapport. Il note d'ailleurs que c'est "un résultat relativement contre-intuitif dans la mesure où une partie du travail du PRE, tel qu’il est révélé dans les monographies, est de définir avec la famille des actions qui sont en partie scolaires."

 

Pas de dynamique sociale positive

 

Sur le plan des relations sociales, " le sentiment qu’il est facile d’avoir de l’aide dans son quartier en cas de problème ne s’améliore pas, malgré les contacts réguliers du référent avec la famille, qui est attesté dans notre questionnaire auprès des PRE".

 

Au total, " nous n’observons pas de dynamique plus positive des enfants bénéficiaires d’un parcours par rapport à des enfants dans des situations scolaires, psychologiques et sociales comparables au départ", affirment les auteurs de l'étude.

 

Une aide low cost

 

L'équipe de l'Institut des politiques publiques avance des hypothèses. Ils rappellent d'abord que des dispositifs de soutien peuvent être efficaces. Le rapport cite  le programme américain Head Start qui a touché un million d'enfants à partir de 1965 et qui a des effets positifs à long terme.

 

Qu'est ce qui distingue ces programmes efficaces des PRE ? D'abord l'âge des enfants. Les PRE interviennent peut-être déjà trop tard puisqu'ils se poursuivent au collège, voire parfois après. Mais aussi le coût. Head Start coute environ 7 000 euros par enfant quand le coût d'un PRE s'établit à environ 850 euros. En clair, la République veut bien aider les enfants fragiles, souvent ceux des pauvres, mais en low cost... Au final, note le rapport, il apparait que " l’Etat a fait le choix de limiter son effort (financier) en mettant l’accent sur des questions d’ingénierie institutionnelle, qui sont sans aucun doute un passage obligé, mais sans mettre de moyens pour développer les actions elles-mêmes".

 

Du soutien scolaire inefficace

 

Car le rapport s'interroge aussi sur la gestion de l'aide et sa concentration. " L’effort des PRE est mis sur l’accompagnement des familles et sur la coordination des professionnels. Mais pour ce qui est des interventions auxquelles sont exposés les enfants, ils recourent pour l’essentiel au droit commun existant sur le territoire... Or, " il semble que ces actions, même si elles sont régulières, sont peu intensives (une séance de sport hebdomadaire dans un club, des vacances dans un centre de loisir, etc.) ; et d’autre part, l’efficacité de ces actions en tant que telles n’est pas nécessairement démontrée, et ceci en partie parce que l’objet des dispositifs existant sur le territoire, clubs de sports ou centres de loisir, n’est pas principalement de favoriser les progrès d’enfants en grande difficulté psychologique ou sociale".

 

Le rapport rappelle les évaluations négatives de dispositifs comme "Coup de pouce clé" de l'Apfée dont l'inefficacité a été évaluée par l'Ecole d'économie de Paris en 2012 et plus récemment par un rapport d'A Florin. Le Coup de pouce est pourtant largement utilisé dans les PRE parce qu'il est largement diffusé sur le territoire. A travers ce dispositif c'ets l'efficacité des dispositifs hors éducation nationale qui est interrogée...

 

Des effets stigmatisants

 

Pire encore, les auteurs estiment que le dispositif a un effet "étiquetage" qui explique ses effets négatifs. " Le jugement que les enseignants portent sur leurs élèves n’est pas le simple reflet de la réalité mais une construction fondée sur des informations diverses", relèvent-ils. Le PRE pourrait fonctionner comme une "prophétie autoréalisatrice" sur le plan scolaire. " Les effets créés sont de deux ordres : de moindres opportunités d’apprentissage pour les élèves jugés faibles (moindres exigences de réussite, exposition à un curriculum moins riche) et un sentiment de compétence érodé. Dans les deux cas, les performances des élèves vont tendre à se conformer aux jugements des enseignants".  Selon les auteurs, le stigma existerait aussi sur le plan social. Il jouerait sur les relations entre les enfants  et les autres élèves ou entre les familles et les institutions.  

 

Ne pas baisser les bras

 

En conclusion , les auteurs appellent à revoir l'aide portée à ces enfants. "Pour être plus efficaces face aux défis immenses présentés par les enfants dans des situations sociales très difficiles, les PRE devraient donc peut-être disposer des moyens de déployer beaucoup plus souvent leurs propres interventions, et cibler davantage les enfants d’âge préscolaire". Dans le contexte actuel, ne pas baisser les bras va être le défi premier après la publication de cette étude.

 

François Jarraud

 

L'étude

Plan de cohésion sociale de janvier 2005

Journée de réussite éducative 2013

Sur le coup de pouce

Sur le coup de pouce

 

 

Par fjarraud , le jeudi 03 mars 2016.

Commentaires

  • Machefel, le 12/03/2016 à 17:53

    Bien sûr, il ne faut pas baisser les bras d’autant plus que toutes les solutions n’ont pas été explorées. Il en est une en effet qui reste méconnue alors qu’elle démontre d’excellents résultats : l’utilisation des mots personnels en maternelle ("Entrer dans l’écrit en maternelle" , Françoise Boulanger, Ed. Nathan). Les enfants en raffolent et progressent ostensiblement durant leurs années de maternelle, grâce à l’accompagnement de l’enseignant qui les guide dans leurs écouvertes. En fin de grande section, ils possèdent toutes les connaissances nécessaires pour aborder sereinement le cours préparatoire et le réussir. Et en plus, ils aiment lire. Cette démarche n’est encore validée par aucune étude et c’est pourquoi personne n’en parle. Mais les enseignants qui l’utilisent en constatent les effets chaque jour, chaque année. Alors, à quand des mots personnels pour tous les enfants de maternelle ? à quand des enseignants formés à les accompagner dans leur entrée dans l’écrit pour accéder à l’enseignement formel du CP en toute sérénité ?

    Béatrice Machefel
    http://lbdlmaternelle.fr

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces