Marina Chauvet : L'école à la manière du Club des Cinq  

Inventer, écrire, entièrement entièrement des récits d’aventures à la manière de et dans la continuité des séries de littérature de jeunesse des Blibliothèques Rose (Le Club des Cinq) ou Verte (Alice, Michel), c’est le pari fou mené depuis deux ans par cette jeune instit, Marina Chauvet, remplaçante Brigade dans la Loire-Atlantique et passionnée de littérature de jeunesse. Projet mené l’an passé et réamorcé avec ses nouvelles classes cette année.


A l’heure où Le Club des Cinq qui nous a tant fait rêver, lorsque nous étions enfants, est largement décrié et censuré (voire déclaré « politiquement incorrect ») et complètement réécrit et simplifié (les « nous » sont systématiquement remplacés par des « on », appauvrissement du langage afin de permettre à tous d’y accéder, suppression des passés simples, modification des titres, psychologie des personnages dénaturée pour répondre au diktat de la « novlangue », par exemple), il en fallait du courage pour se lancer dans ce projet de lecture et de production d’écrit long et difficile. Marina Chauvet, toute jeune professeure des écoles, a proposé à ses élèves de CE2 de travailler en profondeur sur les séries du Club des Cinq (Bibliothèque Rose) et d’Alice (Bibliothèque Verte), tout cela en lien avec le Master de Littérature de Jeunesse mené à distance, en surplus de la classe et de son année de PES.


Les étapes de la réalisation


Chaque élève était libre de choisir un livre de son choix, dans l’une des deux séries proposées. Le projet se voulait interdisciplinaire, avec la mise en valeur de différents savoirs en littérature, production d'écrit, arts visuels ou TICE. Le premier travail consistait, par groupe, à réaliser la fiche d'identité des personnages. Le deuxième travail mêlait arts visuels et production d'écrit : par groupe de trois ou quatre, les élèves devaient inventer un récit à plusieurs mains avec pour héros les personnages étudiés. Le travail a ensuite été mis sous la forme de documents « Didapage ». Les récits ont ainsi été tapés à l’ordinateur, numérisés sous forme de livres numériques, illustrés à l’aide de dessins scannés et insérés. Enfin, il est possible d’écouter directement sur le support numérique la lecture oralisée des récits par les élèves, qui se sont enregistrés pour l’occasion. Pour voir les récits des Club des Cinq, il faut suivre ce lien . Pour voir celui des Alice, c'est à cette adresse.


Un travail audacieux, intense et complet, qui a permis aux élèves de développer des compétences en production d’écrit, en lecture, en littérature, en informatique.


Quels bénéfices pour les élèves ?


Outre les compétences spécifiques multidisciplinaires développées par les élèves, il semble que ces derniers ont beaucoup appris sur eux-mêmes à partir de ce travail : trouver un sens et un intérêt pour la tâche proposée, apprendre à travailler en équipe,… Ce sont aussi des compétences civiques et du vivre-ensemble qui se sont développées chez eux. Marina a longuement étudié les effets de ce travail sur ces élèves afin de rédiger son mémoire de Master de Littérature de Jeunesse, dont voici quelques extraits (réactions diverses des apprenants sur le projet).


De fait, la mise en ligne du Didapage sur la page de l’école (accessible aux parents) a été « l'occasion de revenir, à l’oral, avec les élèves, à la fois sur la conception de leur travail, et sur la perception qu’ils en ont eu. Plusieurs se sont accordés à dire que les débuts ont été difficiles, comme Reed qui a avoué : « au début, on pensait que ça servait à rien ». Lily revient sur la conception : « on a réfléchi, on s’est mis d’accord si on pouvait l’écrire sur une feuille, on l’a corrigé ensemble avec toi. Quand c’était fait, on l’a mis sur l’ordinateur ». Brad et Liam reviennent sur les moments clés : « nous avions besoin de créativité », et « on a appris à travailler en groupe ». Bobby reformule cela en disant qu’il a fallu « créer le récit avec de l’imagination et qu’il fallait être d’accord avec les autres ».


Plus tard, dans les interactions, il dit lui aussi qu’ « au début, je n’aurais pas cru que c’était possible. Chelsea renchérit « au début, je croyais que je n’allais pas y arriver, et puis j’ai vu que j’y arrivais et j’ai pris confiance, ça c’est fait dans la joie ». Sur l’objectif du travail demandé, les avis divergent : pour Dylan, c’était « apprendre à faire un Didapage », pour Mike « grâce à un livre, on a créé un livre ». Sean donne le mot de la fin : « On a tous fait du bon travail et il mérite d’être sur le site ».


La question centrale, et qui était l’hypothèse que souhaitait défendre Marina dans son mémoire, a été la dernière question posée aux enfants : « est-ce que ce travail autour des séries t’a donné envie de lire davantage ? » Majoritairement la réponse est « oui », puisque quatorze élèves ont répondu favorablement. En revanche, leurs raisons ne sont pas du tout motivées de la même façon. Ainsi pour Evan, c’est son livre qui lui a donné envie car il « était marrant », même chose pour Dylan ou pour Lily : malgré ses difficultés, elle lit de plus en plus, ce a constaté sa maman. Pour Cindy, Mary ou Jayson, c’est le concept de série qui leur a plu : « si ça m’a plu, j’ai envie de lire encore plus » et de « retrouver les personnages «  et « leurs aventures ». Pour Sony et Liam, c’est le projet qui les motive : « ce qu’on a fait sur le livre, j’ai beaucoup aimé alors j’ai envie de recommencer ». Brad avoue qu’en plus « maintenant [il] li[t] des livres à son petit frère ». Reed est plus nuancé dans sa réponse : « j’ai bien aimé, mais peut-être pas à ce point de lire plus ». Pourtant, il a déjà lu un autre « Club des Cinq » depuis, pareil pour Dylan qui répond « un petit peu » en précisant qu’il « n’aime pas les livres longs ». Sandy reste sur l’idée qu’elle n’aime pas lire, pareil pour Bridget et Stacy. Willow exprime le fait qu’elle « lira toujours à son rythme ». Aimee et Damon expriment leur découragement : « c’est trop compliqué » et « c’est trop long, je pourrai jamais finir ». Enfin, curieusement, Harper répond « non » en précisant qu’elle « n’aime pas trop lire », alors qu’elle est une des meilleures lectrices de la classe, très souvent un livre à la main, et qu’elle a été la première à partager ses lectures au reste de la classe en faisant un mini-exposé oral dessus."


Le projet est reconduit cette année. Marina est actuellement doctorante et poursuit ses recherches de littérature de jeunesse dans ce domaine et toujours en lien avec ce projet. Malheureusement, faute de moyens (« un ordinateur en fond de classe qui marche une fois sur deux seulement ! » nous confie-t-elle), ce n’est qu’une version papier qui verra le jour une fois le travail d’écriture achevé.


Pour ceux qui souhaitent contacter Marina Chauvet ou qui veulent suivre la suite de ses aventures au pays de la littérature de jeunesse, elle a également initié la création d’un blog de maîtresse, sur lequel elle partage ses ressources et ses idées de projets, « La classe de Marinantes ».


Alexandra Mazzilli



Marina Chauvet : "Il est important que les enfants apprennent à faire du lien dans ce qu’ils font"


Marina Chauvet a 32 ans. Elle habite actuellement au Pellerin (44) et exerce en tant que Brigade rattachée à La Montagne. Elle enseigne actuellement au Pellerin trois jours par semaine (CLIS le lundi, et CM1/CM2 le mardi et jeudi), sur des remplacements longs. Passionnée de littérature de jeunesse, elle a proposé l’année de PES un projet sur les séries à ses élèves de CE2. Ce projet était en lien avec le Master 2 Littérature de Jeunesse qu’elle menait à distance, avec l’Université du Mans.


Pourquoi es-tu devenue professeure des écoles ?


Il parait que le mot « vocation » s’applique bien pour moi. J’ai toujours souhaité enseigner depuis le collège. Depuis mes quinze ans je travaille avec des enfants, et j’ai toujours voulu transmettre un savoir, le partager. Sans doute parce que j’ai rencontré des enseignants exceptionnels qui m’ont permis de progresser et d’avancer dans la vie.


Quel a été ton parcours universitaire ?


Plutôt atypique ! Après une licence de lettres modernes, ayant raté le concours d’entrée à l’IUFM, j’ai commencé une maîtrise mais je me sentais incapable de réussir à écrire un mémoire. J’ai validé les UE sur deux ans, mais je n’ai pas réussi à dépasser l’angoisse de la page blanche. En parallèle, j’ai tenté le CRPE, que j’ai raté et encore raté et encore raté. Puis mon meilleur ami m’a parlé de la Licence Sciences de l’Education qui permettait de préparer au concours d’entrée de l’IUFM. Je me suis inscrite et j’ai réussi le concours l’année suivante.


Suite à ça, j’ai fait le Master EPD (Enseignement du Premier Degré), la première année de sa création... En parlant de ma passion pour les séries des Bibliothèques Rose et Verte avec une formatrice, elle m’a proposé de partir sur ce projet pour mon mémoire. J’ai donc proposé un travail en lien avec l’utilisation des séries littéraires en classe. Mon stage ayant eu lieu en maternelle, j’ai travaillé sur la série des « Crocolou » d’Ophélie Texier en proposant mes propres ressources pédagogiques. Malheureusement, j’ai encore échoué au concours. Je me suis réinscrite en Maîtrise de Lettres Modernes pour réussir ce « fichu mémoire ». J’ai travaillé cette fois sur la mixité dans les séries « Alice » et « Michel » de la Bibliothèque Verte. Projet un peu fou et qui a pu être réalisé grâce au soutien d’une formatrice de l’ESPE et d’une prof de Lettres s’intéressant à la littérature de jeunesse.


J’ai réussi alors les écrits du concours session exceptionnelle et j’ai préparé les oraux l’année suivante. Et au bout de six tentatives, j’ai  enfin réussi le CRPE. Je souhaitais poursuivre et obtenir un Master de Littérature de Jeunesse, à distance (Université du Mans), et j’ai envoyé un dossier de candidature. Ce master étant assez sélectif, je ne m’attendais pas à ce que mon dossier soit accepté directement. Et pourtant si ! Donc j’ai fait l’année de PES à temps plein avec ce Master en parallèle que j’ai validé mention TB. Mon jury m’a proposé de continuer en thèse et je suis donc Doctorante cette année. Je travaille sur l’évolution des séries dans les collections des Bibliothèque Rose et Bibliothèque Verte.


Quel a été ton parcours de carrière jusqu’à aujourd’hui ?


PES l’année dernière, j’ai eu la chance d’avoir un poste de remplaçante au premier mouvement cette année. Je suis donc brigade.


Comment intègres-tu la pédagogie de projets à ton enseignement ? Pourquoi ce choix de fonctionnement ?


Il ne me semble pas possible de faire autrement. C’est ce qui fait sens pour les élèves, ce qui leur donne envie de venir à l’école, de travailler, parfois même sans s’en rendre compte. Pour reprendre ce que j’écrivais dans mon mémoire : « Federico Mayor, directeur général de l’UNESCO, explique dans l’avant-propos de Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur d’Edgar Morin, que « nous devons repenser la façon d’organiser la connaissance. Pour cela, nous devons abattre les barrières traditionnelles entre les disciplines et concevoir comment relier ce qui a été jusqu’ici séparé. ». Edgar Morin confirme cette pensée, quinze ans plus tard, en précisant que : « On nous a enseigné à séparer les choses et les disciplines. Nos connaissances sont compartimentées. » Or, il me semble important, voire primordial que les enfants apprennent à faire du lien dans ce qu’ils font, qu’ils y accordent du sens. »


Parle-nous des grands projets menés au cours de ta carrière ?


Ma carrière est toute petite, c’est un « bébé-carrière » ! Quand j’ai fait mon stage en responsabilité, à La Baule, j’avais fait venir un chanteur de la région, Olivier Gann, qui a fait les premières parties de Francis Cabrel ou Isabelle Boulay. Il avait accepté de répondre aux questions des enfants et mis en musique une chanson que nous avions écrite en commun. Outre l’interview, nous avions alors travaillé la création poétique. L’année dernière, j’ai récidivé avec Valentin Vierling qui fait actuellement les premières parties de Daniel Guichard. Valentin avait proposé un concert à l’école, à Pornic, et avait ensuite répondu aux questions de mes élèves, ce qui avait permis de travailler l’interview.


Quel est le grand projet pédagogique qui occupe tes pensées actuellement ? Que retirent ou qu’en ont retiré tes élèves concrètement ? Quel est le bénéfice pour les élèves de la pédagogie de projet ?


Le travail sur les séries littéraires utilise une place importante. C’est un projet qui me tient vraiment à cœur car il permet réellement de faire entrer les enfants dans la lecture et ce n’est pas pour rien que, commercialement, c’est le genre qui se vend le plus en littérature de jeunesse. Pour les apprentissages en tant que tels, je laisse là encore, un extrait de mon mémoire, qui donne la parole directement aux élèves (cités anonymement) : « En ce qui concerne les apprentissages menés, trois élèves n’ont pas su ou pas voulu répondre. Certains ont cité plusieurs apprentissages. Les réponses se répartissent de manière égale entre les différents domaines. La première chose à mettre en avant, c’est la lecture : quatre élèves expliquent qu’ils ont « appris à mieux lire », Sony le dit à sa façon : « comment comprendre plus un livre », Dana explique, quant à elle, qu’elle a appris à « chercher des intrigues ». Pour la production d’écrit, quatre élèves racontent qu’ils ont appris à « inventer un roman [récit] policier ». En arts visuels, c’est l’apprentissage autour du portrait qui a été mis en avant. Enfin, pour le domaine des TICE et l’utilisation du numérique, Lily a appris à « utiliser les touches de l’ordinateur » tandis que ses camarades ont appris à utiliser Didapage et Audacity, plusieurs élèves ayant d’ailleurs installé ces logiciels chez eux. En ce qui concerne les savoirs plus transversaux, certains expliquent qu’ils ont appris à réaliser un tableau ou encore à travailler à plusieurs. »


Quels sont tes projets professionnels et/ou personnels à venir ?


Sur le plan professionnel, le projet de la thèse, qui n’est pas des moindres ! En lien, je participe en juin à un colloque à l’ESPE de Lyon sur les adaptations des « Six Compagnons ». Ce sera mon premier colloque en tant qu’intervenante donc beaucoup de stress !


Plus en lien avec la classe, je commence un projet littérature-philosophie, grâce à l’excellent livre d’Edwige Chirouter (L’enfant, la littérature et le philosophe, sorti aux éditions l'Harmattan fin 2015) qui permet d’aborder la philo à l’école dès le plus jeune âge. Enfin sur le long terme, je souhaite, après la thèse, me spécialiser en CLIS, pardon ULIS. Les stages que j’y ai faits m’ont vraiment plu, et là j’y suis un jour par semaine et je me sens à ma place !


Parle-nous de tes satisfactions et/ou insatisfactions dans ce métier ?


Une satisfaction toute simple, celle de retrouver mes élèves tous les jours, de voir leur fierté quand ils réussissent, de voir certains sortir peu à peu de leurs carapaces... Une insatisfaction liée à mon année de stagiaire, des conseillers qui mettent une pression énorme, qui demandent des fiches de prep’ à n’en plus finir, qui soient ultra-détaillées alors que la réalité du terrain, ce n’est pas ça !


Propos recueillis par Alexandra Mazzilli



Par fjarraud , le mercredi 03 février 2016.

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