Claude Lessard : L'enseignement intensif d'une langue est un engagement pour une école 

Président du Conseil supérieur de l'éducation du Québec, Claude Lessard revient sur l'enseignement intensif de l'anglais et la place des langues étrangères dans l'école québécoise.

 

Vous dites qu’il faut reconnaitre la langue maternelle de l’enfant à l’école. C’est un peu un tabou. On se rappelle les interdictions de parler breton et il y a l’idée fréquente qu’en interdisant les autres langues on aide l’enfant à s’intégrer dans l’école française.  Vous vous dites qu’il est important qu’il y ait quelqu’un dans l’école qui puisse, par exemple,  parler arabe avec un enfant de langue maternelle arabe à l’école.

 

Surtout il ne faut pas interdire à l’enfant de parler arabe avec un petit copain dans la cour. Ca permet à l’enfant de se sentir intégré dans l’école. Chez nous aussi face à l’anglais on avait interdit de parler une autre langue. Certains experts, notamment flamands, nous disent que l’apprentissage des langues n’est pas un jeu à somme nulle.

 

Ce n’est pas parce que j’apprends une langue seconde que ma langue maternelle est en danger. Pas nécessairement. C’est pas parce que je permets de parler un peu une autre langue que l’enfant va se désintéresser de la langue de l’école. On insiste de plus en plus au début de l’école à l’éveil aux langues. De façon à ce que tous les enfants se familiarisent avec l’idée de vivre dans un monde de diversité linguistique et donc dans un monde de tolérance. Ce n’est pas sacrifier sa langue.

 

A l’inverse on se trompe si on pense que l’unilinguisme va protéger sa langue maternelle. Ce n’est plus vrai. En ville les langues sont là. Elles circulent. Le cas du Québec est intéressant là-dessus. Il y a encore beaucoup d’unilingues mais dont le français est farci de mots anglais sans même qu’ils le sachent. Par exemple on dira : « il va falloir canceler ton appointement chez le docteur » au lieu d’annuler un rendez-vous chez le médecin, ce qui est un transfert de l’anglais. S’ils étaient bilingues ils sauraient que c’est de l’anglais traduit.

 

Il y a eu débat chez vous entre l’apprentissage intensif et l’immersion. Finalement c’est l’intensif qui l’emporte . Pourquoi ?

 

La réponse est purement réglementaire. La loi impose l’enseignement en français pour les francophones et l’immersion n’est pas possible. L’immersion s’est développée par contre dans le Canada anglophone. Là dans de bons établissements des enfants font des années entières en français. Au Québec on craignait une assimilation au monde anglophone.

 

Comment organiser l’apprentissage intensif à l’école primaire par rapport aux autres apprentissages ?

 

Au départ on voulait le rendre obligatoire dans toutes les écoles. Mais on s’est aperçu que ce n’était pas possible rapidement et qu’il fallait respecter les réalités des établissements. En effet mettre en place cet apprentissage intensif d’une langue implique de déplacer d’autres enseignements. 

 

Il faut que le professeur titulaire de la classe soit capable d’intensifier son enseignement à d’autres moments dans les autres matières. Ilv a falloir qu’il fasse en 18 heures ce qu’il faisait en 25. Ca ne va pas de soi et aujourd’hui cet apprentissage intensif n’existe que dans 15% des écoles. Même si les parents font pression il y a des résistances.

 

Il faut bien comprendre que l’apprentissage intensif est un choix pour tout l’établissement. Dans la concurrence qui existe entre les écoles, c’est un choix stratégique. Les écoles ne peuvent pas tout faire.

 

Comment faire pour encourager l’oralité avec une classe nombreuse ?

On peut penser à des ateliers ou a des échanges dans le groupe d’élèves. On peut utiliser des élèves habiles pour coacher les autres. On peut aussi faire apprendre des comptines. Ce qui est clair c’est qu’il faut aller vers l’oral. Faire apprendre des listes de mots à des élèves assis ça marche pas.

 

Vous recommandez une approche intégrée. C'est-à-dire ?

 

Ca signifie que les apprentissages traversent l’apprentissage de l’anglais. Par exemple on peut faire de la géographie ou de la littérature ou des arts qui ouvrent aussi à la dimension culturelle de la langue. Il n’y a pas qu’un apprentissage fonctionnel. Une langue est aussi un outil de culture.

 

Vous recommandez une pédagogie appropriée. On peut avoir un exemple ?

 

C’est une pédagogie active où l’élève doit plonger dans la langue et dépasser la gêne. Ca suppose des mises en situation et l’ajout par le professeur du lexique, des règles de grammaire. L’opposition entre langue de communication et apprentissage traditionnel n’a pas de sens.

 

Politiquement cet apprentissage intensif de l’anglais c’est facile à porter au Québec ?

 

Oui et non. Les sondages disent que les parents veulent que leurs enfants soient bilingues. Mais il y a des groupes sociaux qui craignent pour le français et le remplacement du français par l’anglais. Ca fait débat . On pense que si l’apprentissage est bien fait, s’il s’accompagne d’une conscientisation des rapports socio linguistique il n’y a pas de risque. Le Québécois doit être conscient des enjeux collectif liés au français.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

 

Par fjarraud , le vendredi 27 novembre 2015.

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