La chronique de V. Soulé : La bataille d’une sénatrice pour faire bouger la carte scolaire  

Rendons ici hommage à François Cartron. En juin 2012 (1), la sénatrice PS de Gironde avait conclu un rapport en proposant de créer des secteurs scolaires avec deux collèges ou plus, afin de favoriser la mixité. C’est ce que doit annoncer ce lundi la ministre Najat Vallaud-Belkacem, trois ans et demi plus tard.

 

En janvier 2012, le Sénat avait créé une mission d’information sur la carte scolaire. Le but était de faire le bilan de l’assouplissement sous la présidence Sarkozy (2007-2012). Françoise Cartron en était la rapporteure, et l’UMP Pierre Martin le président.

 

Le rêve de Sarkozy : supprimer la carte scolaire

 

L’idée de Nicolas Sarkozy était qu’en autorisant des dérogations, notamment pour les boursiers sociaux et les boursiers au mérite, on allait favoriser la mixité en particulier dans les collèges grâce à l’arrivée d’élèves de milieux défavorisés dans les « bons » établissements.

 

Nicolas Sarkozy imaginait qu’à ce régime-là, au bout de cinq ans, la carte scolaire disparaîtrait d’elle-même  - « elle n’aura plus de raison d’être car tous les établissements seront de qualité ». Initialement, il avait même promis sa suppression. Avant de se raviser et de se limiter à l’assouplissement.

 

Une réforme ratée 

 

Rejoignant la plupart des études sur les effets de cet assouplissement, dans son rapport (2), Françoise Cartron tirait un bilan sombre - la réforme avait accentué les inégalités. Pierre Martin et les membres UMP de la mission s’en étaient d’ailleurs démarqués.

 

Selon ce rapport, la réforme avait fragilisé les plus fragiles, les collèges-ghettos désertés par leurs meilleurs éléments. Les parents informés avaient joué sur les options et sur les « parcours spécifiques » (comme les classes musicales) pour obtenir des dérogations et rester dans l’entre soi. Tandis que le privé servait plus que jamais de voie de contournement.

 

Des secteurs élargis multi-collèges

 

Pour assurer davantage de mixité, le rapport faisait plusieurs recommandations.  L’une surtout avait retenu l’attention : créer des secteurs scolaires plus grands, incluant deux collèges ou plus, où les élèves seraient affectés de façon à garantir un brassage social dans chaque établissement. François Cartron précisait que c’était réalisable dans les zones urbaines, les collèges ruraux étant trop distants les uns des autres.

 

La rapporteure n’avait pas tiré cela de son chapeau. Depuis des années, des chercheurs pointent la nécessité de redessiner les secteurs scolaires avec une population plus mixte là où c’est possible, ou alors en incluant plusieurs collèges. 

 

La bataille pour la loi de Refondation

 

La sénatrice, ancienne directrice d’école, ne s’est pas arrêtée là. Lors de la préparation de la loi de Refondation de l’école (3), elle a bataillé pour y inscrire son idée de secteurs multi-collèges.

 

A l’origine, dans le Code de l’éducation, un secteur scolaire ne comporte qu’un collège qui y recrute ses élèves. A la suite d’un amendement de Françoise Cartron, la loi de Refondation précise dans son article 20 : « Lorsque cela favorise la mixité sociale, un même secteur de recrutement peut être partagé par plusieurs collèges publics situés à l'intérieur d'un même périmètre de transports urbains. »

 

Pourquoi avoir tant attendu ?

 

Durant la présidence Sarkozy, les socialistes tiraient à boulets rouges sur cet assouplissement jugé inique. Puis à leur arrivée au pouvoir, le sujet a pratiquement  disparu. Avant de resurgir maintenant. Pourquoi ?

 

La question de la carte scolaire est ultrasensible. Les parents veulent inscrire leur enfant dans le « meilleur » établissement. Aujourd’hui, c’est une préoccupation qui tourne à l’obsession avec le rôle du diplôme pour se protéger du chômage.

 

On peut tenter plusieurs hypothèses. Les socialistes n’étaient pas pressés de heurter leur électorat. Le ministre Vincent Peillon, empêtré dans la réforme des rythmes scolaires, n’a pas voulu ouvrir un second front. Lors de son passage éclair, son successeur Benoît Hamon s’employa, lui, à éteindre des incendies  – on lui doit notamment l’abandon des « ABCD de l’égalité ».

 

Prudence, prudence 

 

Najat Vallaud-Belkacem, qui a déjà du mal à faire passer sa réforme du collège,  avance à pas comptés. En janvier 2015, une circulaire annonce que le ministère va travailler avec les départements et les rectorats à un outil mesurant la mixité sociale des collèges. En mars, un comité scientifique est constitué afin de garantir «territoire par territoire l’équilibre sociologique dans les établissements ».

 

Hyper prudente, la ministre s'est même un brin emberlificotée dans sa com’. On ne parle pas de réforme de la carte scolaire, mais d’ « une démarche à partir des acteurs et des besoins des territoires, le ministère se positionnant en impulsion et en appui de l’initiative locale »...

 

François Cartron, sénatrice tenace et femme de conviction, méritait bien ce petit hommage.

 

Véronique Soulé

 

(1) Voir cet article du Café pédagogique

(2) le rapport

(3) la loi

Les précédentes chroniques

 

 

Par fjarraud , le lundi 09 novembre 2015.

Commentaires

  • classeunique, le 10/11/2015 à 20:14
    Sur le même sujet, sur mediapart : http://blogs.mediapart.fr/blog/bernard-collot/101115/carte-scolaire
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