Sénat : Le rapport Grosperrin propose un virage rétrograde à l'Ecole 

Promis il n'y aura ni règle sur les doigts, ni fessée cul nu. C'est à peu près la seule chose qui manque au rapport Grosperrin qui présente une exceptionnelle collection des idées les plus réactionnaires sur l'éducation. Adopté par la commission d'enquête sénatoriale "service public de l'éducation, repères républicains et difficultés des enseignants", le rapport, publié le 8 juillet, imagine ce que pourrait être l'Ecole en 2017 si la droite et Jacques Grosperrin arrivaient au pouvoir.  Problème : ce rapport très à droite est vivement soutenu par la présidente de la commission, sénatrice de gauche...

 

Crée à l'initiative du groupe sénatorial Les Républicains, la commission d'enquête "service public de l'éducation, repères républicains et difficultés des enseignants" voulait faire la lumière sur les incidents survenus dans les écoles après les attentats de janvier et apporter des solutions aux "difficultés des enseignants". De février à juin elle a auditionné une quarantaine de personnes avec une prédilection pour celles qui représentent les courants ultra conservateurs sur le plan éducatif ou les obsédés de l'identité nationale. La commission, présidée par la sénatrice RDG Françoise Laborde, membre de l'Observatoire de la laïcité, charge Jacques Grosperrin (Les Républicains) de la rédaction du rapport. Celui ci est adopté par la commission par 11 voix pour 8 contre et une abstention. Il est publié le 8 juillet lors d'une conférence de presse.

 

Manipulations

 

Sa  particularité, c'est les petits tours avec les médias. Lors de la conférence de presse, un seul syndicat, le Snalc, est  présent et appuie le rapporteur. A une question du Café pédagogique, la présidente déclare qu'elle a convié tous les syndicats. Pourtant, le Snuipp,  le Snes,  le Sgen,  l'Unsa Education et  le Se Unsa nous affirment ne pas avoir été invités... La conférence est émaillée de glissements syntaxiques du rapporteur. Pour Jacques Grosperrin, le travail de la commission s'impose "parce qu'il y aurait un déni de nationalité de la part de jeunes français qui sont d'origine différente. "Nous, ce sont les musulmans , les arabes, disent-ils", précise J Grosperrin. Il estime qu'après l'attentat contre Charlie il y  a eu au moins "816 signalements et cas de radicalisation" dans les établissements scolaires, comme si ces deux mots avaient le même sens. Du coup, il dénonce le "déni" des incidents dans lequel vivrait l'école. Le rapport est censé révéler la vérité...

 

Les 20 mesures

 

Le rapport propose 20 mesures, "un nombre limité pour être efficace" dit J Grosperrin, "dans une rédaction assez forte pour qu'on en parle" dit F Laborde.

 

Pour "favoriser le sentiment d'appartenance et l'adhésion aux valeurs de la citoyenneté", le rapport demande "la sacralisation de l'école avec interdiction du porte de signes... ostensibles d'appartenance religieuse pour les accompagnateurs de sorties scolaires" (sic). Le rapporteur dénonce "les atermoiements" de la ministre sur ce point. Les enseignants prêteraient serment. Chaque semaine le chef d'établissement ferait un discours sur les valeurs républicaines en commentant l'actualité.

 

Les élèves porteraient "une tenue d'établissement" obligatoire. Mais pas seulement. Pour les  enseignants, fini les tenues négligées. "J'ai même vu un enseignant faire cours en t shirt" s'indigne J Grosperrin. Pour les parents aussi, "ils pourraient porter la tenue lors des sorties", estime le sénateur JC Carle présent à la conférence. Car la finalité de la tenue n'est pas l'égalité des élèves mais l'obéissance et la traque des détails cultuels. Pas étonnant dès lors, que le rapport préconise un programme d'histoire  recentré sur "le récit national". Le rapport veut aussi supprimer les Elco.

 

Pour "restaurer l'autorité des enseignants", ceux-ci seraient recrutés par le chef d'établissement. Le directeur d'école deviendrait le supérieur hiérarchique des professeurs des écoles. Pour J Grosperrin, il faut une autorité sur les enseignants... "Un enseignant a surtout des devoirs. La nature de l'homme est ainsi faite s'il n'ya pas cette autorité ça ne se passe pas bien... Le jour où on sera plus exigeant avec les enseignants on aura d'autres résultats". Dans chaque département on ouvrirait une école spéciale chargée d'accueillir "les élèves les plus perturbateurs". On n'affecterait plus de profs débutants en zone prioritaire. De toutes façon, F Laborde  et J Grosperrin estiment qu'il y a deux catégories d'enseignants : ceux qui sont sortis d'école normale (les écoles normales d'instituteurs) et ceux qui viennent des IUFM ou des ESPE. Les premiers seraient bien mieux formés...

 

Pour assurer la maitrise du français, le rapport demande un examen d'entrée en 6ème basé sur le français. "S'ils n'ont pas le niveau qu'ils redoublent", explique J Grosperrin. "Le redoublement ce n'est pas pénalisant". Les tablettes seraient interdites à l'école et les téléphones brouillés jusqu'au lycée. "La tablette et l'ordinateur c'est pareil", précise F Laborde. "On n'est pas contre les TBI utilisés par l'enseignant... Mais le budget du plan numérique est énorme et il vaut mieux le mettre dans la formation des enseignants". Pour J Grosperrin, "tous les chercheurs le disent", les tablettes "c'est pas bien si on n'a pas les compétences pour les utiliser. Les enfants disent qu'il ne faut rien apprendre car tout est dans la tablette. Elle remplace la mémoire".  

Enfin le rapport veut "mieux responsabiliser les acteurs" en remettant en vigueur la loi Ciotti sur les allocations familiales. Ce devrait être la première proposition de loi faite par la commission, précise J Grosperrin. Françoise Laborde a écrit au président du Sénat en ce sens. On n'a pas fini d'entendre parler du rapport Grosperrin...

 

Un rapport qui usurpe les valeurs de la République

 

Pour Christian Chevalier, secrétaire général du Se Unsa, ce rapport "rappelle ce que pourrait être le programme d'un candidat de droite aux présidentielles... On est dans la démagogie pure" et "dans une vision semi carcérale de l'école, irréaliste et plus que datée". Pour lui, seul la question du directeur d'école est un vrai sujet car "les rythmes obligent à revoir la gouvernance des écoles". Regrouper les élèves "perturbateurs" , "c'est la pire des choses", estime C Chevalier. L'examen d'entrée en 6ème "ne répond pas à la question de l'apprentissage de la langue". Pour lui, le fait de ne pas inviter d'autres syndicats que le Snalc à la conférence de presse "est significatif  et en dit long sur la conception de la démocratie" de ses auteurs.

 

"J'ai le sentiment que mon audition n'a été qu'un alibi pour justifier un rapport dont le contenu est tout sauf pensé pédagogiquement", nous dit Philippe Meirieu. "La prétention à défendre les valeurs de la République est usurpée. Car ces valeurs commencent par faire confiance à l'éducabilité, à l'individu...  La laïcité c'est distinguer ce qui relève de la science de la croyance. Cela interdit le roman national".  Le rappel des valeurs républicaines une fois par semaine par un discours par le chef d'établissement, "c'est tout à fait insuffisant", estime P Meirieu. "Les valeurs républicaines doivent être présentes tout le temps, aussi bien quand on fait des maths qu'autre chose. En maths les valeurs républicaines c'est "ai-je raison parce que ma démonstration est la meilleure ou parce que je suis le plus fort". Ne les évoquer qu'une fois par semaine est un laxisme inacceptable", dit-il avec une pointe d'ironie..

 

"Le rapport se débarrasse des problèmes plutôt que les traiter", poursuit P Meirieu. Le traitement des élèves perturbateurs est "une énorme bêtise au moment où tout le monde considère que la mixité sociale permet de faire baisesr la violence scolaire". "En rétablissant la maison de correction on s'exonère de la construction du collectif qui permet  à ces élèves de ne plus être perturbateurs. On va légitimer les perturbateurs en agissant ainsi". S'il faut bien mettre l'accent sur la maitrise de la langue, l'examen d'entrée en 6ème n'est pas la solution".

 

François Jarraud

 

Le rapport

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 09 juillet 2015.

Commentaires

  • thais8026, le 09/07/2015 à 14:52
    Enfin, M. Meyrieu de découvrir l'eau chaude :" Pour que les valeurs de la républiques passent, elles doivent être transmises à chaque minute de présence à l'intérieur de l'établissement. " Je rajouterai que le fait d'externaliser, dans un cours spécial, cette transmission auquel s'ajoute une perte d'horaire des disciplines, ne fait que dédouaner toute la communauté éducative de cette transmission.
    Je ferai aussi un parallèle, plutôt que d'externaliser le "pluri-disciplinaire" laissons chaque discipline le faire en leur redonnant un horaire correct et en faisant des programmes qui le permettent. Car, en tant qu'élève (j'ai passé mon bac en 89) mes professeurs ont toujours fait un lien avec les autres disciplines : aucun prof ne laissait passer un faute d'orthographe ou de grammaire, le prof d'histoire demandait des exposés en géologie, le prof de SVT en géographie, le prof de maths fait de l'histoire des maths, le prof de physique utilisait les maths,....
  • Viviane Micaud, le 10/07/2015 à 08:22
    Je ne suis pas d'accord avec Meirieu, le traitement des élèves perturbateurs est une question de fond qu'il ne faut pas éluder. Les consignes inadéquates imposées par la direction de l'Education Nationale sont une des raisons de la baisse de niveau de l'école. L'énergie nécessaire pour la gestion des perturbateurs, l'enseignant ne l'a pas pour aider les plus en difficultés. 
    L'enseignant doit pouvoir exclure temporairement de sa classe un élève qui ne respecte pas les règles pour permettre aux autres de travailler. (Ce qui suppose la mise en place d'un accueil des exclus à l'intérieur de l'établissement). Un établissement doit pouvoir exclure un élève violent contre ses camarades. Le problème de gestion des perturbateurs est différent en zone urbaine dense où l'élève peut être affecté dans un autre établissement accessible  par les transports en commun, qu'en zone rural où il n'y a pas de solutions. 
    Non, un enfant exclus temporairement de la classe ne perd rien. De toute façon, il n'écoute pas. Et, il ne pourra progresser que quand il changera de posture vis-à-vis de l'enseignant et qu'il fera des efforts pour apprendre. 
    Oui, un enfant mis dans une école pour perturbateurs aura moins de chance de faire des études longues. Par contre, les autres élèves de l'établissement pourront travailler. Il y a une limite à l'inclusion, celle de la sécurité des autres élèves.
    Nous sommes à une période où il faudrait arrêter de faire l'autruche, reconnaître les erreurs passées et mettre en place de bonnes solutions efficaces et stables. Autrement en 2017, nous risquerons d'avoir les mêmes irresponsables de la période 2007-2012 qui mettront en place des solutions populistes et inefficaces.
    • Bernard Girard, le 09/07/2015 à 13:43
      Les établissements pour élèves "perturbateurs", on a connu ça avec Sarkozy : ça s'appelait les ERS, tellement à côté de la plaque - et malgré tout coûteux - qu'il a fallu les fermer en catastrophe. Outre leur inefficacité avérée, un détail semble échapper à nos fins sénateurs : en France, le choix d'un établissement scolaire pour un élève mineur relève exclusivement des parents. Parfois, la justice a un droit de regard mais il s'agit dans ce cas de mineurs délinquants. Et c'est bien vrai qu'à l'UMP, on ne voit guère de différence entre élève perturbateur et mineur délinquant.
      • Viviane Micaud, le 09/07/2015 à 14:06
        J'entends bien.
        Pour les perturbateurs, il y a la possibilité de l'exclusion en interne avec un  accompagnement de l'élève. Mais, que fait-on des enfants qui mettent en danger les autres élèves ? 

  • Viviane Micaud, le 09/07/2015 à 11:47
    Nous avons un choix de propositions tellement orientées politiquement que nous avons l'impression d'une communication politique de ceux, parmi les ex-UMP,  qui veulent ratissées larges vers les personnes attirées vers les thèses d'extrême droite. C'est vraiment dommage, car il y a eu nombreuses auditions avec des analyses sincères et assez bien équilibrées.
    Il y a un sentiment bizarre car les conclusions ne correspondent pas à ce qui ressort des débats. Les proposition sont un choix d'opinions minoritaires correspondant aux messages voulus.  De nombreux points exprimés par le rapporteur dans les débats ont disparu de la synthèse qui semble provenir de la cellule de propagande des ex-UMPs. (comme la nécessité de méthodes pédagogiques qui marchent).
    3/4 des propositions sont des propositions simplistes et populistes associées à une pensée magique et parfois du niveau du vœu pieux. Certaines propositions présentées comme des nouveautés sont d'ailleurs déjà appliquées. Cependant les axes prioritaires me semblent pertinents.
    Axe 1: Favoriser le sentiment d'appartenance et l'adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté. 
    Axe 2: Restaurer l'autorité des enseignants et mettre en place une vraie formation à la transmission des valeurs
    Axe 3: Mettre l'accent sur la maîtrise du Français et veiller à une meilleur concentration des élèves.
    Axe 4 : Mieux responsabiliser les acteur. 
    J'ai l'impression d'une occasion perdue de réfléchir à une question de fond qui concerne l'avenir de notre jeunesse, par un choix de propagande de la Droite irresponsable et réactionnaire.
    Heureusement, la totalité des auditions figurent dans le rapport en deux tomes. Ceux qui veulent se faire une idée par eux-mêmes peuvent lire ce matériel extrêmement riche.
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