Classe inversée : Évaluer pour mieux apprendre 

La pratique de l’évaluation est au cœur de l’ activité enseignante.  Or, trop souvent elle  sanctionne un travail en fin de séquence, pour vérifier les acquis, et peut être nuisible. En quoi la classe inversée modifie-t-elle les pratiques d’évaluation ? Olivier Quinet, professeur d’histoire-géographie à Périgueux, propose de donner quelques exemples et pistes de réflexion.

 

 Dans la classe inversée, l’enseignant a une place différente qui joue sur l’autonomie de l’élève. Ce nouveau cadre pédagogique offre une temporalité différente avec un temps de travail plus important pour travailler avec les élèves en classe grâce à une pédagogie active. En quoi ces variantes peuvent affecter le rôle de l’évaluation ?

 

Quels problèmes rencontrent l’évaluation ? Quels changements opérer ?

 

Pour lui, il y en a quatre essentiels. Le premier mentionné est celui de la tendance à évaluer les élèves comme aux examens (du brevet et du bac notamment), ce qu’Olivier Quinet appelle le formatage par l’examen. Pourtant, le travail qu’on demande aux élèves et leur formation intellectuelle va bien au-delà des préparations à ces examens. Il ne faut pas oublier non plus la pression sociale, familiale, institutionnelle gigantesque, qui existe pour le bac en France. Il faudrait donc arriver à oublier l’idée qu’on ne les prépare pas qu’au brevet, qu’au bac.

 

Ensuite, il souligne le problème de l’évaluation qui s’inscrit trop souvent dans un temps sacralisé, une sorte de rituel où des élèves composent en silence face à leur copie. Autre constat lié au précédent, lors de l’évaluation, la mission du prof est celle de surveiller, corriger et de donner la note avant de passer à autre chose. La place de l’enseignant dans l’évaluation doit changer, il doit être de moins en moins quelqu’un qui surveille.

 

Mais qu’est-ce que l’évaluation ?

 

Pour répondre à cette question, Olivier Quinet s’appuie sur une définition de Rénald Legendre, pour qui, évaluer, «  c’est comprendre, éclairer l’action de façon à pouvoir décider avec justesse de la suite des événements, avoir des critères en vue d’une prise de décision. »

 

Cette définition permet donc à Olivier Quinet d’avancer 5 principes de l’évaluation :

-           L’évaluation va devoir être tournée vers le futur, parce qu’elle sert à aider la construction de la formation de l’élève. Elle va nous donner des informations pour savoir ce qu’on va faire avec lui après. L’évaluation ne doit donc pas s’arrêter à un constat mais nous permettre de dire : à partir de là, qu’est-ce qu’on fait ? Évaluer des connaissances mais aussi des savoir-faire, ce qui va nous permettre de trouver une vision du futur. L’évaluation nous dit des choses sur l’élève et lui dit des choses. Une reprise de l’évaluation après, l’aidera à prendre conscience des processus métacognitifs qu’il a utilisés ou, au contraire, qu’il n’a pas utilisés pour apprendre. Elle doit impérativement l’aider à progresser. Le portfolio peut s’avérer intéressant dans cette démarche car il permet d’accumuler un certain nombre d’évaluations et voir quelque chose qui avance.

 

-           Porter un regard bienveillant sur les élèves, notamment grâce au contrat de confiance, tel que le préconise André Antibi. L’évaluation ne doit pas piéger l’élève puisqu’elle doit dire des choses sur lui. Donc l’évaluation-surprise, à quoi ça sert ? Il faut au contraire proposer des évaluations dont ils connaissent exactement les attendus : « On va faire ça. Vous serez évalués sur ça. »

 

-           L’évaluation pour apprendre : Faire de l’évaluation un outil de la formation de l’élève, qui nous dit des choses de lui, et nous dit où il continue à apprendre, pas simplement le constat des choses qu’il ne sait pas. Il faut définir un outil où en s’évaluant, il continue à enregistrer des connaissances. Ce n’est pas parce que l’on a vu une fois quelque chose qu’on le sait. Et l’un des gros problèmes de l’évaluation, est celui des élèves qui ont appris pour l’évaluation, qui réussissent l’évaluation, et qui oublient.

 

-           Un pari : leur donner moins pour qu’ils en sachent plus. Leur faire copier beaucoup de cours, qu’en retiennent-ils ? Préférer aller au strict essentiel mais exiger au final que ce qui a été vu, ils le sachent vraiment, en profondeur, que ce soit donc mémorisé pour longtemps.

 

-           Le travail à la maison n’est pas la clef de la réussite à part celui d’apprendre, et encore que, le temps libéré dans le cadre de la classe inversée, lui permet aussi que ce travail d’apprentissage se fasse en classe. Le temps de la classe est le temps de travail et de l’apprentissage, et donc de l’évaluation.

 

La mise en pratique de ses principes : le déroulé d’une séquence

 

Dix jours avant le début de la séquence, il remet à ses élèves la fiche de cours. Cette fiche comprend les trois définitions du chapitre, deux ou trois dates et quelques questions avec des espaces vides pour y répondre. Durant cette période précédant le début de la séquence, ils doivent rechercher les définitions, les dates et voir la vidéo pour répondre aux questions. Il estime à vingt minutes ce travail demandé à la maison tous les dix ou quinze jours.

 

Lorsqu’ils arrivent en classe pour commencer cette séquence, les élèves  retrouvent leur cahier des apprentissages, cet outil de métacognition qu’il utilise, dans lequel ils doivent répondre à trois questions. Tout d’abord, dans « ce que je sais, ils parlent de la vidéo qu’ils ont vue, de leurs connaissances potentielles sur le sujet, aussi de ce qu’ils ne savent pas, tout ce qui permet de commencer à construire un écrit des savoirs, puis  mettent en commun au tableau. Ils complèteront la deuxième partie « ce que j’ai appris » après avoir complété les quizz, après les apprentissages et avant l’évaluation. Enfin, « comment j’ai appris » sera complété lorsque le professeur leur rendra l’évaluation et qu’ils y annoteront ce qui a permis d’arriver à ce niveau-là, comment ils ont performé. Après, en travail en groupes, suite à ces conclusions, ils peuvent échanger des pratiques.  Le problème de l’apprentissage, et donc de l’évaluation, c’est que l’on a une pratique très personnelle, d’où l’importance de ces mutualisations.

 

Le travail se fait à partir du site internet du professeur. Les élèves sélectionnent le chapitre sur lequel ils sont en train de travailler et choisissent seulement une des trois activités proposées. Ce choix donnera lieu à un travail en profondeur : travail sur documents, autocorrection, tri des informations, rédaction et préparation d’une présentation orale. Ces connaissances-là vont donc être vues cinq ou six fois, des répétitions qui se sont enchaînées depuis la capsule vidéo intiale. Il s’agit donc d’un parcours qui leur permet vraiment d’enraciner tout ce qu’ils ont travaillé ; ce qui respecte son principe : en dire moins pour qu’ils en sachent plus.

 

L’organisation de la salle est déterminante par rapport à ça : en îlots de quatre, avec un îlot central de huit où le professeur est assis au milieu des deux groupes les moins autonomes, pour pouvoir les aider, travailler sur l’étayage, les aider à construire leurs connaissances quand ils ont des difficultés. C’est la même organisation pour la phase d’évaluation.

 

Justement, qu’en est-il du temps de l’évaluation dans tout ça ?

 

Ses élèves sont évalués en permanence pendant leur travail. Olivier Quinet se promène dans la classe avec sa tablette et utilise le logiciel Sacoche pour évaluer leurs compétences à la volée. Une évaluation plus sommative pourra prendre en compte ces mêmes compétences ou savoir-faire par la suite. Donc l’évaluation c’est tout le temps ; ce qui finalement  la dédramatise.

 

Quels types d’évaluations envisage-t-il avec ses élèves ?

 

Lors du travail en classe, les élèves sont amenés à compléter des quizz formatifs (avec des résultats et plusieurs essais possibles). Ils se testent, ils valident, ils obtiennent les résultats. En cas de réussite, ils passent à la question suivante. Si ce n’est pas le cas, ils ont pour consigne de ne pas passer à la question suivante. On est en situation d’apprentissage, par conséquent, le nombre d’essais peut–être élevé avant de réussir.

 

Des quizz sommatifs sont également proposés aux élèves, dans ce cas, il n’est pas possible de revenir en arrière. Il s’agit ici d’un autre processus d’évaluation, celui d’évaluation du niveau de maîtrise des connaissances. Les quizz sont utilisés pour que les élèves continuent à apprendre et 70% de réussite est exigé par le professeur ; en-dessous, ils doivent les refaire.

Ils peuvent demander à refaire un chapitre qui n’a pas été validé la première fois.

 

Enfin, pour l’évaluation écrite, ils choisissent parmi trois propositions le texte sur lequel ils vont passer l’évaluation écrite et choisisse la compétence évaluée. Le brouillon est obligatoire et fait ses preuves ; la qualité de rédaction  des paragraphes argumentés gagne en rigueur et l’élève ne se focalise pas sur le contenu, étant donné qu’il l’avait choisi. On voit aussi avant l’évaluation, avec les élèves, ce qui va être utiliser pour valider cette évaluation.

 

Vers un changement de posture au moment de l’évaluation

 

La classe inversée change le positionnement de l’enseignant dans la classe. Très clairement, en classe inversée et en pédagogie active, le professeur est au milieu d’eux. C’est celui accompagne ses élèves pour les amener où il veut et non plus celui qui est devant ses élèves et déverse ses connaissances. Il fait un cours circulaire et non plus linéaire.

 

Dans ce contexte-là, l’évaluation a donc aussi une place différente. Pourquoi lorsque l’on évalue, l’enseignant est uniquement surveillant ? Pourquoi il ne doit pas aider les élèves qui ont des difficultés ? Si on pose le principe que l’évaluation est formative, qu’elle est là pour les aider, pourquoi on ne va pas les aider quand ils bloquent ? « Monsieur, c’est génial, j’ai pu écrire mon texte. » Une simple aide à mobiliser des connaissances sur une carte mentale a suscité cette réaction de la part d’un de ses élèves. Autre argument, quand on ne met plus de note, on n’a pas besoin de comparer une production avec la production d’un autre celui qui n’a pas été aidé. Les exigences  ne sont plus les mêmes pour tout le monde.

 

Après l’évaluation

 

Correction ou pas ? Les quizz de connaissances en ligne sont auto-corrigées. Pour ce qui est des savoir-faire, on est en formatif donc on met les évaluations dans le portfolio et on construit. L’élève peut consulter les textes qu’ils produisaient en début d’année et les comparer avec celui qu’il vient récemment d’écrire. Qu’est-ce qui a changé ? Grâce à quoi ? La prise de conscience aide l’élève à voir qu’il a progressé.

Comment peut-on concrètement évaluer l’évolution ?

 

Quels outils sont au centre de l’évaluation ?

 

Le portfolio, le cahier des apprentissages, les ceintures de compétences sur lesquelles il a travaillé avec son collègue David Bouchillon,  et les grilles de compétences à condition qu’il n’y ait pas trop de grilles, d’items… (sinon on s’y perd !) sont des outils intéressants. Par conséquent, Olivier Quinet a décidé de conserver deux grilles seulement: l’une pour la rédaction de paragraphes, l’autre pour la réalisation de croquis.

 

Comment mieux apprendre ?

 

Comme le dit son collègue David Bouchillon, le changement c’est tout le temps. Pour lui, changer l’évaluation, ça a été de briser de nombreuses barrières mentales comme l’abandon de la note et donc celle du classement. En effet, est-ce si important de savoir qui est meilleur par rapport à qui ? Est-ce que le plus important, ce n’est pas de savoir ce que l’élève sait faire ou ne sait pas faire ? La note en tant que telle ne pose pas de problème si l’évaluation est pensée de façon formative.

 

Et la moyenne ? Que veut-elle dire ?

 

Changer ses pratiques d’évaluation apporte une meilleure connaissance de ses élèves. Les évaluations ne sont plus une source d’angoisse mais une source de réussite. Ils savent qu’ils peuvent la repasser, cela dédramatise donc la chose, puisqu’on évalue tout le temps.

 

Stéphanie Fizailne

 

Article : Travailler par compétences pour ne plus tourner en rond

Sa chaîne YouTube

Olivier Quinet sur Twitter : @OQuinet

 

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 07 juillet 2015.

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