Comment sont traités les enseignants qui décrochent... 

Comment l'institution suit-elle les enseignants qui vont mal ? Si depuis plusieurs années bien des études ont travaillé sur le "malaise enseignant", personne n'était allé de près voir les réactions de la hiérarchie et de l'administration. C'est maintenant chose faite avec l'étude dirigée par Gilles Ferréol pour l'Unsa Education et l'IRES. Elle étudie les enseignants admis dans un dispositif académique et révèle de nombreux aspects de leur traitement administratif. Si l'institution n'est pas le seul facteur de la crise que traversent ces  enseignants, la façon dont elle les traite n'est pas pour rien dans leur décrochage.

 

Burn out. L'expression est associée aux enseignants depuis plusieurs années. On se souvient par exemple du livre de Rémi Boyer, José Mario Horenstein, de l'étude de celui-ci avec G Fotinos, ou des enquêtes Talis ou Unsa. Toutes ont établi qu'un nombre important d'enseignants va mal. C'est particulièrement fort en France du fait du faible nombre des démissions. L'administration na lâche pas volontiers de chiffres mais à coup sur on est loin du taux habituel dans les pays développés : aux Etats-Unis, en Belgique, 40% des professeurs quittent le métier dans les 5 premières années d'exercice. En France les enseignants restent et s'enfoncent dans la souffrance. La crise que traverse un enseignant tient bien sur à sa personnalité. Mais elle renvoie aussi à sa formation, son environnement professionnel et à la crise du système éducatif qui est largement documentée.

 

Le poids des réformes

 

La particularité de cette nouvelle étude c'est qu'elle porte sur une cellule d'accompagnement  académique des enseignants qui vise à former les enseignants en crise principalement à la gestion de classe pour leur permettre d'affronter à nouveau la classe. Pour ce travail, Gilles Ferréol, Benjamin Castets-Fontaine et Audrey Tuaillon Demesy ont eu accès aux dossiers administratifs et aux courriels échangés au sein des rectorats à propos des enseignants. Ils ont bien sur écouté aussi les enseignants. On suit donc de façon très précise la façon dont l'administration fait face à des enseignants qui n'en peuvent plus.

 

L'étude dresse le portrait de ces enseignants qui se répartissent également entre hommes et femmes. Ce sont des enseignants plutôt âgés, plus littéraires que scientifiques avec un fort pourcentage de remplaçants (TZR).

 

Quand on écoute les enseignants, les réformes apparaissent souvent comme ayant un fort impact sur eux. " C’est quelque chose qu’on nous a balancé. On a été obligé de le faire mais personne n’était capable de donner le contenu. On ne savait pas du tout comment cela allait fonctionner. C’était quelque chose de très déstabilisant ", explique Isabelle. La réforme de STI revient plusieurs fois dans l'étude. " Maurice a une quarantaine d’années, il est agrégé en mécanique ; référent dans son lycée, il animait des formations et était adoré de ses élèves. Suite à la réforme STI2D, son poste a été supprimé, il n’a pas souhaité rester dans cette branche et a demandé une reconversion en mathématiques. Cela fait trois ans qu’il est dans cette situation et n’est toujours pas titularisé. Il est en souffrance et connaît d’énormes difficultés", raconte l'étude. La réforme déstabilise des enseignants qui sont bien ancrés dans un métier qui disparait ou se transforme.

 

Culpabiliser les profs qui vont mal

 

Mais l'étude montre aussi la maltraitance ordinaire des enseignants par l'institution. "Les archives, comme les personnes interrogées, laissent entrevoir des stigmatisations fréquentes à partir d’un climat de méfiance. On peut ainsi trouver, dans les dossiers DEFI (nom du dispositif), l’historique des congés maladie pris par l’enseignant alors que la problématique principale semble relever de la gestion de classe". C'est aussi que tout ce qui se dit dans ce dispositif d'accompagnement académique suinte directement vers les IPR. Ainsi s'être inscrit au dispositif crée automatiquement une réputation négative de l'enseignant.

 

Il faut lire les courriers adressés à ces profs qui sont au bout du rouleau. " L’institution accepte une ultime fois de vous offrir son aide […]. Il ne s’agit pas d’une proposition mais d’une exigence " écrit pompeusement le rectorat à un professeur.  Les inspections sont vécues comme infantilisantes et déstabilisantes. "[L’IPR] est revenue m’inspecter ; elle m’a envoyé une conseillère pédagogique et mon nouveau directeur m’a dit : "Je suis ravi, il n’y a que des louanges sur vous." Cool ! Mais on verra bien. Et on a attendu le rapport. Trois mois après, il est arrivé. À nouveau, je me suis faite défoncer", témoigne une enseignante.  

 

Finalement l'étude souligne les faiblesses de ce dispositif académique. "La dimension organisationnelle, les facteurs environnementaux et tout ce qui a trait au "climat" qui prévaut dans les collèges ou les lycées demeurent le plus souvent, sinon occultés, du moins secondaires, l’accent étant mis en priorité sur des caractéristiques personnelles renvoyant à des « déficiences » ou des « dysfonctionnements », des « lacunes » ou des « insuffisances » : impulsivité ou impréparation, dénégation ou incompétences…" Les profs qui décrochent sont toujours coupables aux yeux de l'administration.

 

François Jarraud

 

L'étude

Un malaise enseignant profond

Le livre de R Boyer

Le burn out enseignant

 

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 15 juin 2015.

Commentaires

  • thais8026, le 15/06/2015 à 15:35
    Il serait bon que la "bienveillance" demandée pour les élèves soient appliquées à toute l'échelle de la hiérarchie.
    Comment demander aux enseignants d'être bienveillant alors que eux subissent de telles pressions de leurs hiérarchies.
  • Delafontorse, le 15/06/2015 à 16:31
    De fait, il n'y a pas de médecine du travail pour les enseignants, qu'ils soient en mauvaise santé ou en bonne santé. Par ce fait, tout est dit.
    Mais aussi, tout s'explique. L'Etat néolibéral se moque éperdument de cette catégorie de personnels, quand il ne contribue pas intentionnellement et par tous les moyens (médiatiques, salariaux, syndicaux,...) à humilier les représentants et transmetteurs de la culture, de l'instruction et de l'autonomie intellectuelle. A se demander s'il ne craint pas ces derniers comme la peste.
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