Anglais : La lecture plaisir avec les Literature Circles  

"Je cherchais un dispositif foisonnant comme la vie". Au lycée français de Barcelone, Catherine Saint Jean fait lire et écrire ses collégiens en s'inspirant d'un concept américain : les Literature Circles. Un dispositif qui engage également le CDI et qui distribue les rôles entre les élèves.

 

Comment vous est venue cette idée?

 

Lors d'un stage inter-degrés sur les compétences, à Barcelone en 2012, la chercheuse Anne-Marie Ragot a mentionné un livre traduit de l'américain sur les cercles de lecture; ça a fait 'tilt', je l’ai acheté : Literature Circles: Voice & Choice in Book Clubs & Reading Groups, de Harvey Daniels. C'est le livre de référence pour notre projet. Il contient des fiches de travail en anglais & en espagnol, que j'ai utilisées ou adaptées. Je cherchais un moyen de faire lire les élèves en restant en retrait... tout en tirant les ficelles. Je cherchais un dispositif foisonnant comme la vie. La littérature c'est raconter des histoires, et ça, tout le monde aime. Et l'entrée culturelle en cours de langue est installée de fait. J’ai commencé ce projet en 2013 en partenariat avec Muriel Carré du Lycée Français de Madrid et nous avons travaillé en parallèle sur 2 classes pour pouvoir comparer les résultats du dispositif.

 

Pourquoi ce nom de Literature Circle et pas Reading Club? quelle est la différence?

 

Pour moi, c'est en référence au livre mentionné plus haut, qui a son mode d'organisation propre et qui nous a guidées. Le mode d'organisation des Literature Circles a des traits distincts :

-chaque groupe est un groupe d’intérêt, dont les membres ont au préalable choisi le même livre, différent pour chaque groupe

-un agenda-calendrier est organisé par chaque groupe avec un nombre de chapitres à lire pour la prochaine séance, généralement une semaine

-des tâches différenciées sont à préparer pour présentation devant le groupe et discussion à l’intérieur du groupe

-des « golden rules » de fonctionnement dans le groupe lors des discussions sont élaborées en plénière et doivent être respectées, telles que : apporter on livre, lire les chapitres demandés, ne jamais interrompre quelqu’un qui parle, accepter les critiques, donner son opinion sur la parole d’autrui sans jamais dévaloriser, évaluer chaque séance à l’aide d’outils (co- et auto-évaluation) organisés par le professeur

-le professeur veille au bon fonctionnement et au respect des règles.

 

Peut-on faire un parallèle avec le Goncourt des lycées fait en Seconde par les professeurs de français?

 

C'est un peu différent. Si j'ai bien compris, le Goncourt des lycéens comporte une liste annoncée et un marathon de lecture s'engage, finalisé par une mise en valeur des élèves (jury, invitation à Paris) et un contact direct avec les auteurs. Pour nous c'est un processus d'une nature plus privée, plus intériorisée je dirais. L'objectif est malgré tout voisin: associer de manière très fine, peu interventionniste, la lecture et l'expérience, une aventure intérieure (activités langagières de réception) et extérieure (activités langagières de production). »

 

Comment sélectionnez-vous les livres?

 

Nos critères de choix sont de demander à des élèves bons lecteurs ce qu'ils ont aimé, de lire des bestsellers contemporains et aussi de choisir dans le répertoire classique. On prend des risques, comme au Goncourt des lycéens où les œuvres sont parfois inégales !

 

Vous enseignez au Lycée Français de Barcelone. Je suppose donc que vos élèves ont un profil un peu particulier. Pensez-vous que cette activité est transférable à des établissements avec des élèves plus en difficulté ?

 

Tout à fait. Il suffit de choisir des livres adaptés au niveau des élèves, et cela permet aussi une pédagogie différenciée pour offrir à chaque cercle un travail personnalisé. En section européenne ou en section internationale, on donnera plutôt des œuvres intégrales, pour les autres, on choisira des œuvres abrégées et on organisera même des moments de discussion dans la langue maternelle, suivant les objectifs que l’on s’est fixés.

 

Et comment ont réagi vos élèves ?

 

Je pense à un élève de Seconde l'an dernier, qui n'aimait pas lire et qui dans la revue critique rédigée en tâche intermédiaire pour le CDI, a écrit qu'il n'aurait jamais cru lire un livre jusqu'au bout. Grâce au travail commun avec ses pairs et la crainte de les décevoir s'il ne faisait pas son travail hors la classe, et de saboter le travail de groupe, il a trouvé le courage puis la motivation de finir la lecture.  Un autre ne recommande pas le livre qu'il a lu mais affirme qu'il a aimé les cercles de lecture à cause des échanges, des tâches différenciées qu'ils avaient à accomplir. Sans le savoir il parle des compétences transversales qu'il a construites: écouter, donner son opinion avec des mots qui ne blessent pas, oser parler en son nom propre (et à trouver sa voix, chose pas si facile), poser des hypothèses d'interprétation, demander quand il ne comprenait pas et donc poser de vraies questions, pas des questions dont on connaît déjà la réponse et qui ne servent pas la communication.

 

Une autre chose qui me vient à l'esprit, c'est que dans les LC on exige que chaque lecteur respecte scrupuleusement le programme établi dans le groupe pour la fois suivante, donc on ne lit pas plus loin que prévu même si on en meurt d'envie. Quoi de plus fort que d'entendre un élève dire "Miss... I didn’t respect the schedule… I couldn't stop reading, I needed to know…”. Alors on les ‘gronde’ parce qu'ils ont trop lu.  La contrainte peut créer le désir. »

 

Pouvez-vous nous expliquer comment vous mettez l’activité  en place ?

 

On fait des tas avec les livres. Je demande aux élèves les plus remuants d'être mes assistants; ils s'occupent des livres, les montrent pendant que je présente les ouvrages, puis remettent dans les rayons ceux qui n'ont pas été choisis. Je présente les livres avec enthousiasme et ensuite ils touchent, regardent et feuillettent, prennent, reposent, viennent me parler. Des groupes d’intérêt se forment en fonction des choix individuels.

 

Ensuite, au début de chaque séance de LC les élèves entrent et placent les tables en îlots, sortent le matériel et s’installent. J’écris le déroulé et le minutage au tableau puis me promène dans la classe. Lorsque des élèves n’ont pas de groupe, parce qu’ils étaient absents ou sont nouveaux, ils deviennent les ‘journalistes’ qui passent de groupe en groupe, écoutent, prennent des notes, questionnent  pour faire un compte rendu de séance, oral ou écrit.

 

Vous dites que les élèves découvrent la ‘lecture plaisir’. En quoi est-ce différent de la lecture qu’ils doivent faire, en français par exemple ?

 

Les élèves n'associent pas toujours  la lecture à l'école à la lecture plaisir, c'est que qui ressort des échanges avec eux. Certains collègues de lettres évoquent parfois  les stratégies d'évitement des élèves quand il faut lire une oeuvre. Les « Literature Circles » s'inspirent des théories de la réception : lors des séances en classe, les élèves ont des échanges structurés par les tâches à préparer sur les chapitres qu’ils ont lus. Il ne s'agit pas de faire de l'analyse de textes mais de les encourager à s'impliquer émotionnellement dans l'interprétation et de s'habituer à la lecture cursive hors la classe.

 

Le but étant de rédiger une nouvelle, je suppose que vous devez de temps en temps faire le point des acquisitions méthodologiques, sur la structure d'un livre/texte, la construction d'une intrigue, le choix et le profil des personnages, etc. Les élèves ayant lu des livres différents, sur quoi vous basez-vous pour ces séances communes? Y a-t-il en parallèle des études d'oeuvres communes?

 

Oui en effet. J'ai travaillé l'an dernier sur Wonder de R.J Palacio en 5ème et en seconde ; ça marche très bien. Cette année j'ai aussi étudié The Other Side Of Truth de Beverley Naidoo en 4ème avancé, une autre année en Seconde c'était The Curious Incident of the Dog in the Night Time de Mark Haddon. Des oeuvres contemporaines intégrales, en anglais relativement simple, avec des thèmes riches, qui touchent les élèves, cela est vraiment faisable avec une classe de lycée lambda. En ce qui me concerne, l'étude d'une oeuvre commune se fait sur un mode similaire aux LC; les élèves s'expriment sur ce qui leur parle, créent eux-mêmes les sujets d'essais à rédiger, mènent les débats.

 

L'approche théâtrale fait partie du travail d'étude de l'oeuvre : pour approfondir et s'approprier les thématiques tout en produisant du langage. Comme en lettres, on passe de la vision globale de l'oeuvre à des moments "coups de projecteur" sur des passages forts et on travaille la langue : expansion de texte, réduction, exercices de reformulation. On alterne ‘extensive’ & ‘close reading’. Cela peut se faire même avec des œuvres adaptées de niveau A2 !

 

Toutefois, on peut aussi uniquement travailler en LC, avec des livres différents, en dédiant des séances à une étude spécifique commune : portrait, description, style. On sollicite les élèves pour choisir/offrir un extrait de leur livre. On met en commun. Le professeur guide l’étude et les élèves sont impliqués en tant qu’experts des contenus de l’histoire.

 

Comment ces séances sont-elles liées au travail de l’année ?

 

C’est un projet construit de septembre à juin, 1h par semaine : les élèves acquièrent des compétences au fur et à mesure de leurs lectures et la production finale est la rédaction d’une nouvelle, écrite à partir d'une nature morte (avec de vrais objets) commune à tous.

 

Les élèves forment un jury, comparent et récompensent les productions. La grande finale sera la « Storytelling Night » en juin, dans un parc ou à la plage, avec quelques parents, un pique-nique, de la musique et des torches électriques. A Barcelone, on ne peut pas faire moins !

 

Comment évaluez-vous le travail des élèves ?

 

Les cinq activités langagières sont pratiquées et évaluées naturellement dans le cadre du projet. Chaque élève passe de la CE à la PPC par la présentation au groupe de ce qu'il a préparé, puis à l’interaction en discutant avec ses pairs sur ce qu’il a présenté et sur ce que les trois autres ont préparé chez eux. J'utilise un système de co-évaluation de l'oral  lors des présentations de livres par les groupes (2 à 3 livres par groupe sur l’année),  étendu à toutes les présentations orales de mes classes pour d'autres projets.

 

Chaque élève-évaluateur s’occupe d’un seul candidat:

-contents : informative content, structure of the presentation, take-home message

-delivery : catching the audience’s attention, body language, voice & eye contact, team spirit

-language : standards & accuracy, fluency, pronunciation

Les élèves sont entraînés à ce travail. J’ai remarqué que grâce au rota, des élèves qui font des fautes en langue sont capables d’entendre les erreurs de langue des autres.

 

Un évaluateur général fait le compte rendu oral du travail de ces évaluateurs. Ses critères sont :

-posture, attention, note-taking, use of positive criticism: “next time maybe you could”.. instead of “you were too…”,  “you forgot…”, “you didn’t…”

Ce moment de co-évaluation est donc en même temps une situation d’apprentissage.

 

Ce projet annuel mène à une production finale : un storytelling  écrit à partir d'un support, une  nature morte (avec de vrais objets) commune à tous. On compare et on prime les productions. Les élèves ont appris entre-temps  à explorer différents aspects d’une œuvre :  genre, rythme narratif, description, et surtout l’étude des personnages grâce, entre autres, aux techniques théâtrales. Ils font aussi pendant l'année des comptes rendus écrits. Comptes rendus de séance, essais thématiques, par exemple pour expliquer de quel personnage ils se sentent proches et pourquoi. Ces productions sont évaluées selon des critères établis avec les élèves.

 

Est-ce transférable à d’autres disciplines?

 

Les Literature Circles mettent en œuvre de nombreuses compétences transversales : communiquer,  coopérer, exercer son jugement critique, résoudre des problèmes, mieux se connaître, se donner des méthodes de travail efficaces, mettre en œuvre sa pensée créatrice, et ceci de façon continue, naturelle, parce que ces compétences sont au coeur du dispositif.

 

Le rôle de l’enseignant est redéfini : il devient facilitateur, modérateur, guide vers l'autonomie. Il évalue certes, mais donne surtout des stratégies aux élèves pour mieux faire. Il établit avec eux les règles d’or du déroulement des séances. Les professeurs de lettres ont un intérêt à monter ces cercles qui servent l'apprentissage de la lecture-plaisir, les compétences transversales du socle et une redéfinition du rôle du professeur.

 

La pédagogie de projet contient cette idée d'un fondu-enchaîné permanent entre les activités langagières. Avec les Literature Circles, on peut TOUT faire ! »

 

Propos recueillis par Christine Reymond

 

Sur le site du lycée

Un lien sur les LC

Une explication sur la nature des LC

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 21 mai 2015.

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