Evaluer par compétences en collège REP : Rencontre avec Vincent Cano 

Passer des notes à l'évaluation par compétences c'est changer le métier. C'est ce qu'explique Vincent Cano, professeur d'EPS au collège REP Jean Renoir de Boulogne-Billancourt (92). Il présente le travail réalisé par l’équipe pédagogique et qui va bien au-delà de l'évaluation... Le choix effectué par le collège se répercute dans bien des domaines. C'est aussi changer de regard sur l'élève, penser son enseignement en terme de citoyenneté, changer le calendrier scolaire, penser son rapport aux parents. "En se centrant sur les compétences acquises, le statut de l’appréciation est revalorisé et valorisant pour les collègues. Le conseil de classe se centre davantage sur les acquisitions et moins sur la litanie des déviances scolaires"....

 

Le collège Jean Renoir compte deux "classes compétences". Pourriez-vous nous les présenter ?

 

Au collège, depuis 3 ans, nous avons deux classes de ce type, une 6ème et une de 5ème, animée par deux équipes pédagogiques.  J’insiste fortement sur le fait que nous nommons ces classes, « classes compétences » et non pas «classes sans notes».  Il s’agit de se projeter au delà de la suppression des notes et de s’emparer de la notion de compétences pour en dégager toute la richesse éducative. Selon nous l’usage même de ce terme « sans notes » (que l’institution est la première à utiliser...sic) est une grave erreur de communication. Cela induit une vision réductrice et nous amène dans une impasse intellectuelle. D’ailleurs désignons nous les voitures électriques comme des voitures « sans essence » ? Selon moi la pauvreté du débat de la fin de l’année dernière et le clivage qu’il a révélé est dû à une centration sur la question de la suppression des notes, ce qui est en soi inepte. Notre collectif a plutôt décidé de se poser la question de l’évaluation des compétences et de s’emparer des opportunités qu’elle révèle. L’évaluation est trop importante pour être l’otage d’une idéologie politique.

 

Ces classes se singularisent par trois choix opérés l’équipe pédagogique. Tout d’abord la remise en cause de la note comme indicateur exclusif de la réussite scolaire, notamment du calcul de la moyenne. Nous avons remarqué, qu’en permettant compensation entre et à l’intérieur des disciplines, ce mode de calcul ne permet pas de soutenir un enseignement exigeant et d’impliquer les élèves dans la richesse des apprentissages. Nous préférons expliciter et formaliser ce que l’élève doit acquérir (connaissances, capacités et attitudes) et l’évaluer sur 4 niveaux. Ce faisant nous passons d’une vision performative à une vision factuelle que nous espérons davantage objective, particulièrement en éducation prioritaire où, d’une part, la dimension affective de l’évaluation est présente chez les élèves, et d’autre part, la grande hétérogénéité nous obligeaient à des arrangements évaluatifs importants.

 

Ensuite, nous faisons le choix de définir précisément les compétences attendues ainsi que les éléments qui vont permettre de les construire dans deux supports ; une « fiche-séquence » et un bulletin détaillé, véritable « bilan de période » construit avec le logiciel « Sacoche ». La première permet, en amont de la séquence, de lister les « items » qui vont être visés, en classe, d’être complétée au fil du parcours de l’élève, et, a postériori, servir de support de révision. Toutefois, le bulletin détaillé n’est pas seulement la juxtaposition de toutes les disciplines. Il renseigne également ce que nous appelons les « Fondamentaux », qui correspondent aux conditions pour réussir (mémoriser, soin de l’écrit, matériel, devoirs) d’un point de vue purement scolaire, et, des compétences «éducatives ». Ainsi, la formation de l’élève est conçue à 3 niveaux, les fondamentaux comme une porte d’entrée, les compétences disciplinaires comme activité au quotidien et les compétences « éducatives » comme fil d’Ariane de la transformation de l’élève. Sur ce point, les programmes de l’EPS de 2008 m’ont beaucoup inspiré pour faire des propositions dans le travail collectif, notamment les CMS qui constituent un espace de rencontre privilégié avec les autres disciplines.

 

Enfin, nous avons décidé de repenser le découpage temporel de l’année dans l’intérêt des élèves. Nous avons retenu des périodes de 7 semaines de travail à l’issue desquelles un bulletin est édité puis est étudié en conseil de prof ou de classe. Durant l’année, l’élève reçoit donc 5 bulletins dont trois avec appréciation de la Direction. Cela ne représente pas plus de travail car la fréquence des réunions est la même et l’appréciation prend un sens et une valeur incomparable sans la note. Un découpage temporel de l’année en fonction d’un temps d’enseignement de 7 semaines semblent être l’idéal.

 

Pas besoin de chronobiologistes pour sentir sur le terrain que la 8ème semaine compte double tant l’accumulation des micro-conflits pèse sur les systèmes nerveux de tout un collège. Tenir compte des rythmes scolaires à l’échelle des séquences d’apprentissage est bien plus pertinent qu’une soumission à l’économie du tourisme des sports d’hiver dont nos élèves de REP sont, c’est bien connu, de fervents pratiquants.

 

Pourquoi avoir choisi cette organisation pour vos élèves ?

 

Pour répondre à notre besoin d'un enseignement exigeant qui favorise l’engagement de tous les élèves. Avec mes collègues nous nous sentions contraints et frustrés par le système d’évaluation qui ne permettait pas de répondre au problème que pose l’hétérogénéité de nos élèves. Il est apparu que nous avions besoin d’être capables de définir des parcours de formation très différents selon les élèves tout en s’inscrivant dans la construction de valeurs et d’expériences communes. En effet, le temps du collège est aussi celui de l’adolescence qui rend les questions de la construction de soi et des relations sociales, incontournables pour viser la réussite de nos élèves.

 

Pour cela, s’émanciper des notes, expliciter «ce que tu sais faire» et «ce qu’il y a à faire», est un moyen de gagner en souplesse, en adaptabilité dans un climat motivationnel apaisé favorable à l’entraide et aux projets collectifs. Nous voulions rendre plus direct et plus simple, le processus de mise en projet de l’élève en facilitant l’identification des acquisitions (je sais faire quoi), l’analyse du résultat (pourquoi j’ai réussi/échoué) et la remédiation (quoi faire pour réussir). D’autre part, sur le plan didactique, la dimension combinatoire et circulaire de la compétence nous permet de définir des modes de constructions différents selon les élèves en nous affranchissant du carcan la linéarité de la sacro-sainte «progression». Le plus important n’est il pas de permettre à l’élève de se situer sur son parcours de formation, de se projeter dans le travail, plutôt que de mesurer l’écart avec les autres ?

 

Les parents d’élèves ont-ils un rôle à jouer selon vous ?

 

C’est dans la synergie avec le travail à la maison que l’efficacité de notre travail  est démultipliée, pourtant, en REP la distance d’un certain nombre de parents avec les usages scolaires est importante. Notre intention est de permettre à tous les parents de développer les mêmes stratégies que les parents initiés au système scolaire. Pour cela, nous avons tenté de trouver un équilibre, entre vulgarisation et langage professionnel, dans la formulation des compétences visées. Il s’agit de permettre aux parents d’être capable de retrouver la partie du cours, l’exercice type, l’exercice d’application, associée au résultat de l’évaluation. Nos outils permettent de faciliter ce processus car les compétences explicitées sont formulées exactement comme dans le cours. C’est pourquoi, j’ose affirmer que n’importe qui lisant le français peut orienter le travail de son enfant et fixer des objectifs d’acquisition à son enfant.

 

Enfin, au quotidien nous constatons la nécessité de viser des objectifs éducatifs, dans une logique de choix et de progressivité. En EPS, je suis revenu d’un angélisme naïf qui mettrait la citoyenneté à toutes les sauces et justifiée de manière rétroactive. Par exemple, j’ai moi même trop longtemps délaissé cet axe de formation, considérant que le sport était par essence éducatif et qu’une exposition prolongée à sa «glorieuse incertitude» était suffisant.     L’organisation par compétence m’a permis de retenir l’autonomie, la responsabilité et la solidarité comme objectif de formation. Ce n’est pas un objet d’enseignement en tant que tel et la variabilité est énorme d’un élève à l’autre, ainsi cela ne peut être véritablement standardisé. Dans un système classique, vous conviendrez de la difficulté d’une telle entreprise. Alors que notre organisation nous laisse la liberté de pouvoir s’en saisir pour certains élèves, et pas d’autres, à un moment ou plus tard, bref de nous ajuster au climat et au contexte d’apprentissage.

 

Qu’avez-vous constaté ?

 

En tant que professeur d’EPS, j’ai constaté une activité des élèves bien plus élevée dans les apprentissages ainsi qu’un investissement bien plus important dans les rôles sociaux. Le plus intéressant est de voir comment les situations d’entraide et de tutorat entre élèves sont pleines et constructives. La vitesse d’acceptation des situations de remédiation de la part des élèves est vraiment très surprenante. J’ai aussi constaté un climat bien plus apaisé. En effet, le contrat d’enseignement qui me lie aux élèves est transparent et repose sur des éléments d’acquisition objectifs, que je me suis forcé à expliciter, qui ont pour effet de rendre notre relation plus sereine. Enfin, en se plaçant dans la perspective d’un parcours, l’échec est dédramatisé

 

C’est-à-dire ?

 

Rien n’est perdu, ce qui n’est pas acquis peut être retenté, la définition de niveaux attendus permet de ne pas figer l’échec lorsqu’il est vécu dans une situation ponctuelle. C’est très appréciable en éducation prioritaire, pour des élèves qui s’investissent beaucoup sur le plan émotionnel en EPS. Il m’est arrivé d’entendre certains échos de «déclinologues» qui, dans le sillage de M Brighelli et consorts, fantasment sur une baisse de niveau et un achat de paix sociale. Pourtant, en réalité il n’en est rien, c’est dans ces classes que j’obtiens le plus haut niveau de production. J’ai constaté que les élèves sont davantage attirés et engagés pour cumuler ce que j’appelle des expériences de réussite, autrement dit un «c’est bien tu passes au niveau suivant» ou «ok élément validé, la suite c’est ça» ont un impact incomparable sur l’engagement des élèves plutôt que la perspective d’une note. Tout le travail est de jalonner de manière acceptable et réaliste les étapes de la construction de la compétence pour que les élèves puissent à la fois, se griser de la vitesse de progression et se satisfaire du chemin parcouru.

 

Voyez-vous une réelle différence avec le système de note classique ?

 

Tout à fait, mes constats sur les activités des élèves, les apprentissages et le climat de travail sont vraiment très positifs mais ce n’est pas qu’en EPS que je dresse un bilan positif. En tant que professeur principal j’ai fait également des constats très intéressants. En se centrant sur les compétences acquises, le statut de l’appréciation est revalorisé et valorisant pour les collègues. Le conseil de classe se centre davantage sur les acquisitions et moins sur la litanie des déviances scolaires (concentration, bavardages et travail à la maison). Chaque collègue s’exprime en tant qu’expert de sa discipline, on parle boulot, de vrai boulot ;  de ce que font nos élèves dans notre matière ! c’est un vrai renouveau pour moi qui était trop longtemps hagard devant mon tableau de moyennes à souligner ma colonne au stabilo.

 

La parole se libère et de ce fait les échanges sont plus féconds entre collègues. Les conseils de classe sont dorénavant le lieu ou plusieurs collègues vont tisser des liens pour des travaux interdisciplinaires à partir des compétences visées. D’autre part, la rencontre avec les familles est bien plus riche et le dialogue avec l’élève peut s’ancrer plus précisément sur l’analyse de l’échec. J’ai constaté avec surprise que les élèves sont capable de se replonger facilement dans une situation vécue en classe et de se souvenir comment ils ont préparés (ou pas) une évaluation.

 

Toutefois, cette organisation se heurte à un néo-darwinisme social qui assigne à l’école un rôle essentiellement sélectif et ce faisant favorable aux initiés à la culture scolaire. Notre capacité à argumenter et à défendre notre projet est régulièrement mise à l’épreuve, surtout depuis la politisation de la question de l’évaluation.

 

Iriez-vous jusqu’à une généralisation de ces classes dans votre établissement scolaire et, de façon plus générale dans les collèges ?

 

Pourquoi pas, mais cela doit se faire très progressivement pour s’assurer que le mode d’évaluation soit associé à une évolution de posture professionnelle. Il est illusoire d’espérer plaquer un dispositif sans s’assurer que le fondements soient compris, ce qui est paradoxal compte tenu du rôle majeur de l’évaluation pour changer les pratiques. A mon sens c’est une problématique essentielle de notre profession, il est indispensable d’agir sur l’évaluation pour changer les pratiques mais ce changement de pratique doit être guidé est accompagné pour éviter de conserver une logique «familière».

 

Pour terminer, que pensez-vous des politiques actuelles des réseaux d’éducation prioritaire ?

 

La notion de réseau est une bonne avancée car elle est porteuse d’un concept de contact entre les sphères de l’action éducative. La création du conseil école collège, par exemple, crée un espace de rencontre extrêmement utiles dans mon quotidien. De plus, je suis farouchement contre toute tentative de mesure de l’action éducative mais je reconnais que les contrat d’objectifs ont quand même le mérite de nous amener à nous questionner sur les enjeux et les problématiques propres à notre établissement. En REP, il est essentiel de disposer d’un marge d’autonomie pour s’ajuster à un milieu mouvant, parfois explosif, tant les problématiques sociales y ont une résonance particulière. Toutefois, autonomie ne doit pas se confondre avec abandon par l’institution.

 

Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut

 

Par fjarraud , le vendredi 15 mai 2015.

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