Denis Meuret : Faut-il se réjouir de la fin de No Child Left Behind ? 

"Il est certainement possible d’imaginer des systèmes de régulation meilleurs que NCLB, mais une appréciation plus juste (plus exacte, mais aussi rendant davantage justice aux efforts des enseignants) des  effets de NCLB que celle qui prévaut dans le débat américain est une condition nécessaire  à ce qu’on les imagine". Denis Mueret prend parti pour la loi Noi Child Left Behind, critiquée aux Etats-Unis et en France par le Café pédagogique qui conteste l'évaluation par les résultats. D Meuret s'en explique.

 

Le Café pédagogique s’est fait récemment l’écho d’un article du New York Times qui annonçait la fin de la loi américaine No Child Left Behind, (NCLB). La loi stipulait qu’en 2014, tous les élèves de toutes les catégories ethniques et sociales des Etats-Unis devraient avoir atteint, au grade 8 (notre quatrième), en maths et en anglais, le niveau proficient (compétent), un objectif très ambitieux puisque à l’époque, autour de 30% des élèves l’atteignaient.

 

Intervention sans précédent du niveau fédéral dans le gouvernement de l’éducation, la loi obligeait les états à mettre en place des standards (les compétences et connaissances que les élèves doivent maitriser),  des épreuves annuelles dans ces trois disciplines, et des incitations (mêlant aide et pression pour les établissements dont les épreuves indiquaient que leurs élèves n’avaient pas fait les « progrès adéquats » vers l’objectif). Cette loi, devait en principe être réautorisée 4 ans plus tard, c'est-à-dire examinée, éventuellement modifiée par le Congrès en fonction de ses résultats.

 

Pour diverses raisons, ce ne fut pas le cas, ce qui obligea l’administration Obama à user d’expédients pour donner un cadre juridique à l’action des Etats. En même temps, cette administration  a initié le programme Race to the Top (RTTT). RTTT subventionne les Etats qui  ont présenté un programme convaincant, entre autres,  d’amélioration des standards (le fait d’adopter en anglais et maths le « common score standard», un standard national, donne aux Etats des points supplémentaires pour être éligible aux subventions) et de mise en place d’une gestion de la carrière de enseignants fondée sur l’évaluation de leur efficacité (voir le n° 44(2) de Educational Researcher consacré à la perception de ces évaluations par les enseignants)

 

S’agissant de la réautorisation de NCLB, le ministre Duncan, selon un discours qu’on trouve sur internet, estime NCLB « démodé, fatigué et trop prescriptif », mais souhaite que l’on en conserve le cœur : des évaluations annuelles, en anglais et maths, obligatoires du CE2 à la troisième + une au cours du lycée.  Ce qui se passe en ce moment est que le Congrès a engagé un travail pour enfin proposer une loi qui prenne la suite de NCLB. Les sénateurs des deux partis viennent de s’accorder sur un projet qui donne sans doute une assez bonne idée de ce que sera cette prochaine loi.  Ce projet conserve les évaluations annuelles, mais interdit à l’Etat fédéral d’imposer aux Etats, ou même de les inciter à adopter, tel ou tel standard (signant ainsi la fin du « Common Core standard »), telle ou telle  modalité de l’évaluation des enseignants  ou encore ce qui doit être fait en réponse aux évaluations, que ce soit au niveau des enseignants ou des établissements.

 

Cette loi ne signerait donc pas la fin de la régulation par les résultats, mais l’atténuera probablement  dans la mesure où des incitations élaborées par les Etats auront sans doute moins d’autorité que des incitations prévues par une loi fédérale, y compris parce qu’elles reposeront sur des standards qui eux même ne seront pas nationaux. Cela réjouira sans doute ceux qui font du lobbying préventif contre l’implantation de toute forme de régulation par les résultats en France, en reprenant souvent des arguments utilisés par les adversaires américains de NCLB : celle-ci creuserait les inégalités, inciterait à un enseignement au rabais (« teaching for the test»), fondé (rien que çà …) sur « a robotic view of children», elle focaliserait l’attention sur les élèves les plus proches du niveau proficient (les « bubble kids) au détriment des plus faibles,, minerait le moral des enseignants.

 

Je ne suis pas sûr qu’il faille s’en réjouir. Certes certains reproches faits à NCLB sont justifiés. Il est vrai que l’objectif fixé était beaucoup trop ambitieux, qu’il est problématique que certains  établissements se soient retrouvés sous pression alors que les résultats de leurs élèves s’étaient nettement améliorés (mais pas assez selon les critères de la loi). Il est vrai aussi que le score moyen des élèves a augmenté nettement moins que ne l’espéraient les partisans de la loi : Depuis 2003, au NAEP (l’évaluation sur échantillon qui mesure chaque année depuis 1970  les performances des élèves en maths et lecture aux grades 4 et 8 )), les résultats des élèves se sont améliorés, mais sans que cette augmentation soit plus rapide qu’avant la loi. D’après PISA, la performance moyenne  des élèves de 15 ans n’a pas évolué de façon significative.

 

En revanche, de nombreux indicateurs accréditent l’idée que l’équité du système scolaire américain s’est améliorée depuis 2003, un résultat qu’il vaut d’autant plus la peine de souligner qu’il est fort peu présent dans le débat américain autour de NCLB. Même ses contempteurs reconnaissent à cette loi le mérite d’avoir attiré l’attention de chaque établissement sur les résultats de ses élèves défavorisés (pauvres, appartenant à des minorités ethniques, dont l’anglais n’est pas la langue maternelle, etc.), mais tout se passe dans la discussion américaine comme si ce n’était pas en réalité un critère bien important.

 

Il y a une dizaine d’années déjà, j’ai plaidé que, à l’inverse, s’il fallait choisir – ce n’est pas le cas le plus fréquent, puisque les systèmes scolaires les plus efficaces sont le plus souvent aussi les plus équitables- il était plus important pour le bien commun d’avoir une école équitable qu’une école efficace à partir de l’idée que les conséquences de l’équité de l’éducation sur le bien être de la population étaient plus directes que celles de son efficacité. 

Le tableau ci-dessous montre l’évolution aux Etats-Unis d’indicateurs d’efficacité (les scores moyens, le % d’élèves  proficient ) et d’équité. (le niveau des élèves les plus faibles, ,  l’ inégalité  entre les faibles et les forts, l’influence du milieu social sur la performance)..

 

 

Evolution de l’efficacité et de l’équité du système scolaire des  Etats-Unis

(Maths, 2003- 2012)

 

2003

2012

Efficacité

Performance moyenne  grade 4, NAEP (Conditions of Education, 2014)

235

242

Performance moyenne  grade 8, NAEP (Conditions of Education, 2014)

278

285

PISA ,  performance moyenne

483

481

 %  proficient, grade 4, NAEP (Condition of Education, 2014)

32

42

  %  proficient, grade 8, NAEP (Condition of Education, 2014)

29

35

Equité, niveau des élèves les plus faibles

% below basics grade 4, NAEP (Condition of Education, 2014)

23

17

% below basics grade 8, NAEP (Condition of Education, 2014)

32

26

% d’élèves en dessous du niveau 2 de l’échelle PISA

26

26

D10 (performance sous laquelle sont les 10% les plus faibles) (PISA)

356

368

Equité, écart entre les plus forts et les plus faibles

Ecart-type de la distribution des performances (PISA)

95

90

Equité, impact du milieu social sur la performance

Pente de la relation entre le milieu social et la performance (PISA)

39

35

Part de variance de la performance expliquée par le milieu social (PISA)

19

15

Rapport entre la performance des élèves blancs et noirs au grade 8 (NAEP)

1,14 (1990)

1,12 (2013)

 

Lecture : On a choisi les maths parce que, pour PISA, en 2003 (première année d’implantation de NCLB) et 2012, les maths sont le domaine principal de l’évaluation et que les mesures sont donc plus précises. Les données indiquées pour PISA sont les données brutes de chaque année, sauf pour l’impact du milieu social, le seul de nos indicateurs d’équité pour lequel l’OCDE calcule les évolutions en corrigeant les données brutes pour égaliser la difficulté des deux épreuves, où les données 2003 sont les données 2012 aux quelles on a ajouté l’évolution indiquée par l’OCDE pour la période 2003-2012 Le milieu social est appréhendé par l’index ESCS de PISA.

 

Les évolutions indiquées dans ce tableau appelleraient  des investigations supplémentaires (Pourquoi les évolutions selon le NAEP sont- elles plutôt meilleures que celles diagnostiquées par PISA ? Pourquoi l’écart de performance entre blancs et noirs s’améliore-t-il moins qu’on ne s’y attendrait au vu de  la baisse de l’impact du milieu social ?), toutes ne sont pas significatives. Cependant, on peut en déduire qu’il est très probable que l’équité de la scolarité obligatoire s’est améliorée aux Etats-Unis depuis 2003, ce qui contraste avec sa nette dégradation en France.

 

Ce tableau contredit aussi certaines des critiques faites à NCLB : Bien sûr, il contredit d’abord l’idée que la régulation par les résultats creuserait les inégalités (entendre : c’est une politique de droite). Mais aussi : Que le pourcentage de proficient au grade 8 ait augmenté de 6 points au lieu des 71 (100-29) réclamés par la loi est évidemment un échec, mais n’est pas pour autant un progrès négligeable.  Mais encore : si les enseignants s’étaient mis à « enseigner pour le test (de leur Etat, celui qui déclenche les pressions) », le pourcentage d’élèves proficient selon le NAEP se serait effondré au lieu d’augmenter (1) .  Mais enfin : Si les enseignants avaient privilégié les  bubble kids  au détriment des élèves les plus faibles, le pourcentage d’élèves très faibles (« below basics »)  aurait augmenté au lieu de baisser.

 

Quant à la critique sur le moral des enseignants, elle est contredite par les investigations les plus fiables, l’évolution depuis 2003 de celles qui les interrogent sur leur moral sans préciser le lien de l’interrogation avec NCLB. Le sondage récurrent de Harris sur le moral des enseignants pour la fondation Metlife montre que, depuis que le sondage existe (1984),  la satisfaction des enseignants de l’enseignement public vis-à-vis de leur travail a été la plus forte en 2008, soit 5 ans après l’implantation de NCLB.  Par ailleurs, d’une exploitation rigoureuse de bases de données nationales sur le sujet, une recherche  conclut : « Nos résultats ne soutiennent pas les récits médiatiques, la rhétorique politique et les rapports académiques qui dépeignent NCLB comme minant le moral des enseignants et leur intention de rester dans la profession ».

 

Dans le même sens, la proportion des américains qui pensent que l’enseignement est une profession très prestigieuse a augmenté de 29% en 1977 à 47% en 2003 puis 52% en 2008, selon un autre sondage Harris. La comparaison France-Etats-Unis des réponses à l’enquête TALIS de l’OCDE auprès des enseignants va dans le même sens. Tandis que, on le sait, 5% des enseignants français « ont l’impression que  la profession d’enseignant est valorisée par la société », c’est le cas de 34% des enseignants aux Etats-Unis. La plupart des indicateurs de satisfaction professionnelle  y sont plus élevés qu’en France. Si NCLB avait détruit le moral des enseignants américains, on n’observerait pas cela.

 

Concluons: il est certainement possible d’imaginer des systèmes de régulation meilleurs que NCLB, mais une appréciation plus juste (plus exacte, mais aussi rendant davantage justice aux efforts des enseignants) des  effets de NCLB que celle qui prévaut dans le débat américain est une condition nécessaire  à ce qu’on les imagine.

 

Denis Meuret

 

Professeur émérite en sciences de l’éducation, université de Bourgogne, IREDU.

 

Note

1 Les adversaires de NCLB ont souvent opposé les résultats du NAEP, un test dont la qualité n’est, à ma connaissance, pas contestée, à ceux des Etats (ex : Mintrop & Sunderman, 2008). Il est vrai que les évolutions enregistrées par les tests des Etats son  plus positives que celles qu’enregistre le NAEP mais il est faux que le NAEP montre que les évolutions enregistrées par les premiers soient uniquement un artefact.

 

Article du Café pedagogique

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 12 mai 2015.

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