Ados : Comment dire la mort ? 

"Mourir", un titre presque provocateur pour un ouvrage dédié aux adolescents. Point d'orgue d'une collection d'essais philosophiques dédiée aux lecteurs de 14 à 18ans, le livre aborde la question de manière concrète, précise et complète. La mort a déserté les programmes de notions des classes terminales, et on sait les réactions irrationnelles que suscite son évocation en classe, alors même que l'actualité médiatique et fictionnelle regorge de morts traitées sans égard ni compassion. C'est donc un sujet particulièrement riche pour la réflexion et pertinent pour les adolescents que nous propose cette collection très originale. Après une dizaine de titres, comme Mentir, Se venger, Désobéir ou Voler, Philo ado publie un titre en forme de point d'orgue. Un opus très réussi dont nous avons rencontré l'auteure.

 

Marie-France Hazebroucq, professeur agrégée de philosophie et docteur ès Lettres, a mené une carrière d'enseignante de philosophie en lycée et Classes Préparatoires, à Boulogne-Billancourt, à Versailles et à Sarcelles, auprès de publics très différents dont elle a pu apprécier la diversité. Sollicitée par l'équipe des Éditions de l’Échiquier, Thomas Bout et Anne Peter, pour créer une collection d'ouvrages philosophiques dédiée aux adolescents à partir de 15 ans, elle a choisi de relever le défi au moment de la retraite. « Il y avait beaucoup d'ouvrages pour les jeunes enfants, mais pas d'initiation pour les grands adolescents, explique-t-elle. Après toute une d'enseignante, j'avais envie de tenter cette expérience. Nous nous sommes donné des conditions contraignantes dès le départ. Déjà, ce que je ne voulais pas faire : un cours de philo, des questions de dissertation... Et puis, ce que voulaient les éditeurs : une initiation qui parte de situations concrètes, vécues, avec des titres en forme de verbes à l'infinitif, de sens négatif, traités en brefs chapitres indépendants, dans un volume de 140 pages environ. »

 

Au départ, des échanges avec les adolescents

 

« L'écriture des livres part en général de séances d'échanges avec des groupes d’adolescents. Je peux ainsi m'appuyer sur leurs mots et sur leur vision. Au départ, nous voulions que chaque volume commence par l'évocation d'une situation concrète. Mais au fil des livres, ce critère a varié. Pour Mourir, la première référence renvoie au feuilleton télévisé Six pieds sous terre. J'utilise  beaucoup d'exemples tirés du cinéma, de la littérature, des feuilletons – même des mangas et de la BD ! Des œuvres d'art, aussi : dans Mourir, on rencontre Bill Viola, Robert Capa ou Goya... Mais j'ai toujours le souci de ne pas me contenter d'une allusion : les références sont expliquées et analysées. Le lecteur n'est pas forcé de connaître ce dont on parle. Il ne s'agit pas de jouer la connivence : on raconte précisément ces références pour amener un problème, des questions. Ce ne sont pas de simples illustrations. Les exemples ont vraiment une fonction, ils inspirent des idées.»

 

Donner un point de départ pour une initiation précise

 

Pas d'illustration visuelle, donc, dans la collection, mais des images... à lire. On peut s'interroger sur l'accueil que peut en faire un public dont on sait justement qu'il n'est pas friand de lecture continue, davantage habitué aux images spatiales des outils numériques.  N'est-ce pas un frein pour les adolescents ? « J'avoue que je n'ai pas beaucoup de retours d'expérience, sur ces livres, reconnaît Marie-France Hazebroucq . Je ne sais pas si c'est vraiment facile à lire pour de jeunes élèves. En tout cas, ça plaît beaucoup aux adultes qui les utilisent avec des adolescents... On peut choisir de travailler sur un chapitre en particulier, avec des élèves, comme point d'appui pour une initiation précise à la philosophie. J'ai mené moi-même quelques expériences, avec des élèves de Troisième, par exemple, dans le cadre d'une médiathèque, avec une enseignante de français, sur Se venger. En trois séances de 2h, en partant de deux séquences de Dans ses yeux, nous avons discuté sur l’ambiguïté du désir de vengeance et de la volonté de punir. Je ne leur ai pas lu le livre, je me suis appuyée sur le contenu du chapitre – certains élèves l'ont ensuite emprunté. Une autre fois, j'ai mené une expérience avec des élèves de bac pro, volontaires, en petits groupes. C'était très intéressant. »

 

«Peut-être est-ce difficile pour eux d'aborder directement la lecture de ces livres sans accompagnement. Ce qui est certain, c'est que je ne voulais pas faire de la philosophie au rabais, abâtardie et méconnaissable. C'est sans doute parfois assez dense, mais il y a plusieurs niveaux de lecture et on peut travailler sur des approches différentes avec les élèves, pour les y conduire. »

 

Les philosophes, pas d'un grand secours sur la mort ?

 

Le volume sur la mort est un peu différent des autres titres. « Sur ce sujet, il n'est pas certain que les philosophes aient grand-chose à nous dire, remarque Marie-France Hazebroucq. On ne peut pas se réfugier dans un jeu rhétorique, en utilisant la mécanique des concepts. On est obligé de réfléchir pour soi-même, sincèrement et intimement, avant de rédiger sur ce thème. C'était la question initiale de la collection : l'éditrice avait été confrontée aux questions d'un adolescent sur la mort, qui l'avaient laissée démunie. Ce doit en être finalement le dernier titre. Bien sûr, ce n'est pas anodin : la mort est étalée partout autour de nous en images, immédiatement, les scènes de violence font régner la mort en maître – mais en réalité, pour chacun de nous, combien de morts avons-nous vus ? On en épargne l'expérience aux jeunes gens, on protège les enfants de son contact, on fuit soi-même la mort réelle. C'est pourtant une réalité qu'il faut bien penser. J'ai commencé la rédaction par la question des morts : la mort des proches ne nous est pas familière, à nous occidentaux. On ne veut pas voir. Et il faut avouer que les philosophes ne nous sont pas d'un grand secours, dans cette situation ! On a beau lire et relire les chapitres d’Être et Temps, au fond, dans l’être-pour-la-mort d'Heidegger, on trouve au fond une forme de morale stoïcienne qui ne nous aide guère. Ni pour le rapport aux morts, ni pour notre propre mortalité. Par contre, j'ai été très frappée par le livre de Klarsfeld et Revah sur la Biologie de la mort : on découvre qu'il n'y a pas de nécessité de la mort, juste l'inutilité de l'immortalité pour le vivant. La biologie ne permet pas de donner sens à la mort. Jankélévitch est précieux sur le point de « saisir la mort »: mais comment traduire ce qu'il dit d'essentiel de  manière sensible ? J'ai choisi d'utiliser pour cela des œuvres d'art de Bill Viola ou de Sophie Calle. »

 

Se recentrer sur l'intérêt philosophique du sujet

 

Les questions les plus sensibles sont sans doute celles qui portent sur le « don » de la mort : le suicide et l'euthanasie. Marie-France Hazebrouck ne les élude pas ; mais le thème de la mort volontaire, à laquelle on porte évidemment une attention particulière dans un ouvrage pour adolescent, semble cependant en retrait. « Pour l'euthanasie, il est difficile d'écrire, de prendre position, sans trop s'imposer et en restant honnête. Je me suis appuyée sur le livre de Simone de Beauvoir, sur ses hésitations et ses doutes. C'est très difficile d'avoir des certitudes quand on est concerné par l'euthanasie à travers ses proches, même si on a des idées théoriques. Mais le suicide, c'est je crois un sujet qui m'est très étranger. Fondamentalement, c'est une idée qui ne me touche pas. Ce chapitre m'a donné beaucoup de mal ! Concernant ces domaines, il y a un risque permanent de s'éparpiller dans les descriptions. J'ai tâché de toujours me recentrer sur la question : en quoi est-ce intéressant philosophiquement ? C'est une contrainte indispensable. »

 

Marie-France Hazebroucq continue de mener des actions auprès d'élèves, à la demande d'enseignants, de bibliothécaires ou de documentalistes, préférant ce public à celui des conférences pour adultes, avoue-t-elle. Elle n'exclut pas de continuer la collection, qui compte déjà une dizaine de titres, sous une autre forme, peut-être sans l'estampille « philo-ado ».

 

Jeanne-Claire Fumet

 

Mourir, par Marie-France Hazebroucq -  Éditions de l’Échiquier - 144 pages, 10 euros.

La collection Philo-ado : Mentir – Perdre son temps – Tomber amoureux – Se venger – Rêver – Être jaloux – Voler – Avoir peur – Désobéir, par MF Hazebroucq et divers auteurs.

 

Une collection à découvrir, qui offre un appui précieux pour une première approche de la philosophie avant la terminale. L'occasion de puiser des sources d'inspiration et des pistes de réflexion nombreuses pour la discussion avec les élèves.

 

À découvrir sur le site de l'éditeur

 

Par fjarraud , le mardi 05 mai 2015.

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