Quand le prof de SVT élève des requins : Hervé Kempf 

Comment faire concevoir de bout en bout la démarche scientifique aux élèves ? Professeur de SVT au lycée de l’Elorn à Landerneau (29), Hervé Kempf élève des capsules de roussette (petit requin) dans un aquarium d’eau de mer au lycée. Il fait aussi travailler ses classes avec la station biologique de Roscoff et réalise des cultures de cyanobactéries. Desactivités qu'il prolonge avec des conférences scientifiques données aux lycéens. Ces pratiques suscitent-elles des vocations en recherche fondamentale ? Rencontre avec un enseignant aux multiples projets.

 

Récemment l’aquarium d’eau de mer du lycée a fait la Une des médias suite à la naissance d’une roussette, est-ce une première pour vous ? Comment s’est déroulé cet événement ?

 

C’est effectivement une première dans notre laboratoire de SVT mais j’avais déjà élevé des capsules de roussettes précédemment. Nous avons un aquarium d’eau de mer dans lequel vivent de nombreuses espèces de la mer d’Iroise. Cet écosystème artificiel est pour nos élèves un modèle marin de la biodiversité locale qui nous sert pour nos TP sur les photosymbioses (anémones, élysies), la fécondation (Oursin, ascidie) et le développement (capsules de roussettes, « œufs » de seiches ou de calamar). Une des capsules de Petite Roussette (Scyliorhinus canicula) a libéré mardi 24 mars 2015 une jeune roussette après environ 100 jours de développement. Nous l’avons nourrie à la main avec du poisson frais puis après de bons et loyaux services relâchée vendredi 27 mars dans son milieu naturel au Conquet.

 

Votre aquarium d’eau de mer reflète une partie de la biodiversité locale. Comment gérez-vous cet écosystème ? Quelles espèces les élèves peuvent-ils étudier ?

 

La gestion d’un aquarium d’eau de mer nécessite une observation quotidienne, un entretien régulier et une bonne gestion des espèces. Le risque est une élévation trop importante de la température qui augmenterait la mortalité d’espèces fragiles comme les oursins. L’eau de mer naturelle actuellement à 10°C est filtrée par un filtre extérieur. Nous aspirons la matière organique qui se dépose au fond et renouvelons environ 30% de l’eau de mer toutes les semaines. Nous évitons de placer dans l’aquarium des espèces trop agressives comme l’étrille (Macropipus puber), trop sensibles (oursins) ou rares (hippocampe).

 

Une chaîne alimentaire se met en place à partir des algues broutées par des aplysies…jusqu’aux crevettes qui servent de proies à certains poissons. Enfin nous pratiquons une rotation des individus qui au bout de 2 semaines sont relâchés et remplacés par de nouveaux individus. Les élèves peuvent observer plus de 50 espèces différentes : les principaux groupes de végétaux : algues (Ulves, fucales, laminaires) et zostères, d’invertébrés littoraux : vers, mollusques, échinodermes, arthropodes, cnidaires, d’urocordés (Ascidies) et de Vertébrés (Poissons osseux et cartilagineux).

 

Vous travaillez aussi en partenariat avec la station biologique de Roscoff en testant notamment des kits pédagogiques concernant un ver plat. Concrètement, qu’est ce qui est fait en classe à ce sujet ?

 

Ce partenariat scientifique et pédagogique nous a permis de tester avec nos élèves de Secondes en MPS et de Terminale S le biokit pédagogique « Animalgue » développé par M. Xavier Bailly, Ingénieur-Chercheur. Il s’agit de cultiver et d’expérimenter avec le ver plat de Roscoff (Symsagittifera roscoffensis) un phénomène biologique paradoxalement répandu à la surface de la terre/océan mais peu connu : les photosymbioses.

 

Le support pédagogique développé permet de mettre en situation expérimentale concrète les élèves qui peuvent manipuler des organismes marins (microalgues et vers) et mettre en place, selon des protocoles proposés ou imaginés par les élèves eux-mêmes des expérimentations originales :

- Observation sous loupe et microscope de tous les stades du ver (cocons, juvéniles blancs non symbiotiques, juvéniles verts symbiotiques et adultes symbiotiques), observation la microalgue symbiote (Tetraselmis convolutae) ;

- Mise en évidence de la symbiose en cultivant des juvéniles non symbiotiques avec ou sans microalgue ou avec une autre espèce de microalgue ;

- Mise en évidence par Exao des échanges gazeux de la photosynthèse et de la respiration du ver adulte symbiotique et de sa microalgue ;

- Extraction des pigments photosynthétiques du ver et de l’algue, chromatographie ascendante sur papier, spectrophotométrie… ;

- Mise en évidence de la synthèse d’amidon par le ver adulte au niveau des cellules de microalgue (décoloration à l’alcool bouillant puis coloration au lugol)

-  Mise en évidence des tropismes : phototropismes et gravitropisme ;

 - Mise en évidence des conséquences de l’acidification des océans sur la symbiose en soumettant le ver adulte à un stress acide brutal (air expiré) ou chronique (culture du ver dans des solutions tampon de pH différents ;

- Bissections transversales de vers adultes suivies de leur modification comportementale et de la régénération de la partie manquante.

 

Ce (premier) kit de biologie marine permet aussi de faire le lien avec des menaces écologiques telle l'acidification des océans et de tester et observer ses effets, et par extension de comprendre l'effet sur d'autres photosymbioses comme celles emblématiques du corail et de l'altération alarmante des récifs coralliens (le blanchissement des coraux). Cette expérience pédagogique unique également exploitée en Terminale Scientifique sera reconduite l’année prochaine

 

Vous cultivez également des microalgues au lycée. Comment réalisez-vous cette culture ? Quels conseils donneriez-vous pour réussir une production de spiruline ?

 

Pour nos différents TP nous cultivons des microalgues d’eau douce (Euglènes, Chlamydomonas), marines (Tetraselmis convolutae…) et des cyanobactéries (spirulines) Ces cultures sont réalisées en respectant au mieux la stérilité de la verrerie, des milieux de cultures (Milieu de Jourdan, milieu de conway…) et effectuons des observations microscopiques régulières et des repiquages fréquents. La spiruline est une cyanobactérie plutôt rustique qui peut se conserver longtemps à condition de la récolter de temps en temps et de lui apporter du milieu de culture dit de JP Jourdan. Les précautions liées à la stérilité ne sont pas nécessaires compte tenu du pH très basique de leur milieu (pH 9 à 10).

 

Roussette, photosymbiose, spiruline … Comment articulez-vous ces projets avec les programmes en vigueur ?

 

Pas toujours facilement dans la période actuelle et dans notre système de plus en plus contraint. Les enseignants et l’adjoint technique travaillent en équipe. Nous sommes en contact avec des laboratoires universitaires ou privés, des éleveurs… ce qui nous permet d’échanger sur le plan scientifique, technique et pédagogique avec des chercheurs. Les projets sont réalisés en Seconde (MPS) ce qui sensibilise les élèves à la démarche scientifique, à l’utilisation de notre matériel (logiciels, microscopes et loupes…) et aux techniques utilisées en lycée (Electrophorèses, Exao, spectrophotométrie, chromatographie…). Les vidéoconférences (Géodésie spatiale, Plasticité cérébrale et synaptique et photosymbiose) et les sorties géologiques (Ploumanac’h-Trébeurden et Léon) sont réservées aux classes de Première S et de Terminales S.

 

Vos lycéens doivent être particulièrement impliqués dans ces projets, l’Evaluation des Compétences Expérimentales (ECE) n’est peut-être qu’une formalité d’usage. Comment ressentez-vous leur passion pour ces sujets ?

 

Les élèves conçoivent de bout en bout la démarche d’investigation et notamment la démarche scientifique. L’enseignant intervient comme conseillé technique dans leur démarche. L’intérêt des élèves pour ces sujets se manifeste sous la forme : - d’échanges que nous avons avec eux, de questions, de demandes de projets ou de sorties vers des laboratoires ; - de leurs projets post-bac orientés vers les biosciences : Licence des Sciences du Vivant, Licences Bio-Math de Roscoff, domaine médical et paramédical, études vétérinaires…

 

Cette appétence pour les sciences de la mer a-t-elle suscité des vocations parmi vos lycéens ?

 

Oui clairement ! Un de nos objectifs est de faire découvrir les sciences et la recherche fondamentales à des élèves scientifiques d’abord orientés vers le médical et paramédical. Depuis quelques années certains de nos meilleurs élèves sont attirés par les Sciences de la Vie et notamment par la Licence Biologie – Mathématique – Informatique de Roscoff où ils réussissent remarquablement.

 

Pour conclure, un mot sur les conférences organisées au lycée ?

 

Depuis plusieurs années nous organisons des conférences sur les Biosciences et les Géosciences destinées aux élèves de Première S et de Terminale S - Vidéoconférence sur la géodésie spatiale et les séismes par le Professeur Eric CALAIS, Géophysicien, Université de Purdue (USA) actuellement responsable des Géosciences à l’Ens Ulm. (30 avril 2010) - Vidéoconférence sur les plasticités cérébrale et synaptique par Alexandre Kempf, étudiant de l’Ens Ulm en stage à l’Université de Harvard (17 avril 2014) - Conférence sur les photosymbioses par Xavier Bailly, Ingénieur – Chercheur à la Station Biologique de Roscoff (04 février 2015) Ces conférences sont filmées et exploitées ensuite dans nos cours en fonction des thèmes abordés.

 

Entretien par Julien Cabioch

 

La station biologique de Roscoff

Reportage de France 3 Iroise au lycée

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 07 avril 2015.

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