Égalité femmes-hommes : Le combat continue  

À l'occasion de la Journée des femmes, le centre Hubertine Auclert et le Conseil régional d'Ile de France proposaient jeudi 6 mars une rencontre sur le thème de  l'égalité femmes-hommes : une solution pour dépasser les crises. Solution utopique, au vu des situations exposées par les intervenantes : en termes d'images de genre, d'accès à l'emploi, d'autonomie économique ou de représentation politique, le combat pour l'égalité des femmes est encore loin d'être clos. Chaque nouvelle crise, sociale, sociétale, économique, semble l'accentuer en induisant des effets de repli et de hiérarchisation accrus. Une raison de plus pour prôner l'éducation précoce à l'égalité.

 

Les droits des femmes menacés en premier

 

Égalité, laïcité, citoyenneté, les événements récents nous rappellent l'importance de mobiliser ces valeurs, rappelle en ouverture Abdelhak Kachouri, vice président du conseil régional d’Île de France. Mais au-delà des déclarations, il faut surtout chercher des solutions pragmatiques, comme s'y efforce le centre Hubertine Auclert, pour que l'égalité devienne un outil, pas un gadget dans les  discours. Djénéba Keita, conseillère régionale et présidente du centre Hubertine Auclert l'affirme à son tour : dans les moments de crise, quand se révèlent les alliances entre mouvements religieux et partis extrémistes, ce sont toujours les droits des femmes qui sont dénoncés en premier et foulés aux pieds. C'est la mission des politiques de lutter contre cette hiérarchisation sexuée. Intégrer la question de genre, tellement décriée, dans les politiques publiques, est indispensable pour en finir avec les discriminations qui atteignent les femmes. 

 

Ce que disent les injures des rapports entre les sexes

 

Mais quelles politiques contre quelles formes de discrimination ? Politique éducative, d'abord, en un sens large, comme le montrent les interventions d'une première table ronde. Une éducation qui ne peut pas ignorer la question du genre, estime Isabelle Clair, sociologue chargée de recherches au CNRS. Elle a mené une enquête sur l'entrée dans la vie amoureuse des jeunes âgés de 15 à 20 ans, en cité HLM et en milieu rural, entre 2008 et 2011, qu'elle poursuit actuellement auprès des classes bourgeoises parisiennes. Son constat est édifiant : en milieux urbains comme en milieux ruraux, l'accès à la sexualité est marqué par le sentiment de contraintes, de culpabilité, mais aussi par une hiérarchisation très forte. Les garçons s'injurient ainsi selon tous les degrés supposés de virilité (« racailles », « bouffons », « canards », « pédés »). Pour les filles, la logique est bivalente : ce sont des « filles biens » ou des « putes ». Leur moralité sexuelle n'est pas évaluée d'après leurs  pratiques  mais d'après leur capital social (poids de la famille, fratrie, prestige, etc). Le terme « pédé » ne stigmatise pas non plus des pratiques sexuelles mais un décalage par rapport aux normes de comportement attendues. Un garçon ne doit pas déchoir, une fille doit se distinguer au sein d'un groupe déjà minorisé.

 

L'effet en retour des préjugés

 

Le concept de genre permet de manifester certains biais d'interprétation : ainsi, l'assimilation de « jeune » à « garçon » voire à « garçon issu de l'immigration postcoloniale », conduit à réduire le problème à un préjugé « androcentriste » qui fait disparaître les filles. C'est le même mécanisme qui fonde le préjugé  culturaliste (en réalité raciale) du sexisme : « c'est dans leur culture, c'est comme ça chez eux », dit-on pour circonscrire le problème du sexisme à des « milieux » - d'ailleurs jamais clairement définis. Ces biais provoquent en retour la tendance à des revendications identitaires inventées de toutes pièces par ceux qui les subissent, mais qui confortent les préjugés. 

 

Décrypter les images familières

 

En contrepoint, Nicole Fernandez Ferrer, déléguée générale du centre audiovisuel Simone de Beauvoir présente le travail d'analyse d'images qu'elle mène dans des classes ou auprès de publics adultes pour favoriser la déconstruction des stéréotypes. Montrer par l'analyse distanciée, comment la publicité, les séries télévisées, les émissions, etc., diffusent des normes de genre figées sur les façons de parler, de marcher, de s'habiller, d'être filmés, qui se fixent inconsciemment en modèles. Les représentations et les réactions sont très similaires dans les différents publics, remarque-t-elle. Ce sont davantage les modalités de la prise de parole qui changent. Souvent, les participants découvrent les stéréotypes de genre portés par les supports lors de l'atelier et n'en prennent conscience qu'en cherchant à leur tour des exemples dans les images familières.

 

L'autonomie économique fragile des femmes

 

Séverine Lemière, économiste et présidente de l'association « FIT une femme, un toit », évoque d'abord un point positif, en apparence : le taux d'accès à l'emploi des femmes se rapproche de celui des hommes (65% contre 74%). Mais un tiers des femmes travaille à temps partiel, la crise menace la qualité et la quantité de l'emploi dans les secteurs non concurrentiels où les femmes sont plus nombreuses. Elles sont majoritaires dans les catégories de chômage partiel, non comptabilisées. Plus souvent inactives que chômeuses, les femmes sans emploi sont peu représentées sur le marché du travail et donc très loin de l'autonomie économique. Le risque d'inactivité est trois plus élevé pour une femme que pour un homme, même chez les plus diplômées. Beaucoup se situent dans le « halo » du chômage, là où les indicateurs chiffrés n'atteignent pas. Mais quand le taux de chômage global atteint 10%, difficile de penser à favoriser une part si discrète de la population. *

 

Les politiques de l'emploi ne sont pas neutres, en matière d'inégalités : en favorisant le temps partiel, l'emploi précaire et la déqualification, aggravent la situation des femmes. Elles occupent souvent des emplois de service mal payés mais demandent des diplômes, sans permettre de progression de carrière. Elles se heurtent à des difficultés « périphériques » comme la garde des enfants, la non-reconnaissance des compétences acquises, le manque d'équivalence des diplômes étrangers. Des mesures d'insertion fonctionnent, quand elles associent contrat de travail, formation et accompagnement global ; mais elles sont difficiles et lourdes à mettre en place. D'autres mesures indirectes, comme la séparation du régime fiscal ou de l'allocation du RSA d'avec la situation maritale, permettraient d'améliorer les perspectives d'autonomie des femmes ; mais ces mesures ne seraient pas consensuelles.

 

« Le vrai problème, c'est la pauvreté... »

 

Pour Sandra Gidon, directrice d'ADAGE (association d'accompagnement global contre l'exclusion), dont l'association accompagne l'insertion sociale et professionnelle des femmes, aucun dispositif spécifique d'action n'est vraiment prévu pour elles. Les femmes en difficulté ont besoin de sécurité, en termes de garde d'enfants, d'équipements de santé, de mauvais traitements, pour accéder à l'emploi. Outre l'orientation et la recherche de stages, l'association propose un travail avec des comédiens pour retrouver les compétences sociales et les codes de la vie en société qui s'érodent avec la pauvreté. De quoi peut-on parler ou pas et comment en parler (des attentats, du mariage pour tous, par exemple) sur le lieu de travail, aller au cinéma, au café, se comporter en société ; ces savoir-être sociaux sont parfois des freins à l'intégration professionnelle. Dans le secteur des services à la personne, qu'elles investissent massivement, les femmes sont confrontées à une forte dégradation de leurs conditions de travail : l'emploi n'y protège pas de la précarité. L'ascenseur social ne marche vraiment plus, constate Sandra Gidon, et la situation se détériore de façon dramatique.

 

Des politiques de la ville menées avec ou sans les habitantes

 

Pour Dominique Poggi, sociologue, les politiques de la ville mises en œuvre pour revaloriser les zones en difficulté sont rarement élaborées avec les populations concernées, qui pourtant trouvent collectivement des solutions, peu étudiées et peu visibles. Les femmes en particulier  sont rarement écoutées comme habitantes et comme citoyennes. Pourtant, accompagnées, elles peuvent élaborer des propositions concrètes : dans un contexte tendu, les méthodes inclusives importent et peuvent fonctionner.  La participation des femmes représente une richesse de ces quartiers dont on n'évoque toujours les manques. Sarcelles ou à Garge les Gonesse, là où la pauvreté particulière des femmes n'est pas prise en compte par les autorités politiques, il a été possible de faire réaliser des diagnostics par les habitantes, selon une méthode rigoureuse. Elles sont été formées à l'écoute, à l’interview, à la prise de notes, aux comptes rendus et à la prise de parole. La démultiplication était assurée par la  constitution de groupes à l’écoute des habitants, avec un minimum d'induction. Pour la validation, chaque groupe bénéficie d'un compte rendu et d'une correction par les autres. Toutes les informations recueillies ont fait l'objet d'analyse et de synthèse.  Avec un avantage : les questions pertinentes, celles des transports, des modes de garde, des rapports hommes/femmes, des violences, de la religion, sont bordées de manière précise mais ouverte. D'autres thèmes émergent, qui révèlent leur pertinence  : l'aménagement urbain et la sécurité des femmes dans les espaces publics, par exemple, évoqués dès 2002.

 

Toutes ces démarches ont suscité des démarches et des initiatives qui ont permis à des femmes de prendre en main leurs situations et leur progrès vers l'autonomie. Mais derrière ces quelques initiatives réussies, difficile de ne pas voir que l'évolution d'ensemble vers l'égalité des femmes et des hommes dans la société reste un défi sans cesse renouvelé, malgré les discours qui tendent à montrer les revendications féministes comme un combat obsolète.

 

Jeanne-Claire Fumet

 

Le centre Hubertine Auclert – Centre de ressources pour la promotion de l'égalité entre femmes et hommes - Organisme associé de la Région Ile-de-France.

 

 

Par fjarraud , le lundi 09 mars 2015.

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