Florence Robine : « Je crois que je suis parfois un peu tête-brûlée...» 

Sa désignation à la tête de la direction générale de l'enseignement scolaire (Degesco) en mai 2014, n'est pas passée inaperçue : la nomination d'une femme au poste de n°2 du ministère de l'éducation nationale constituait un véritable événement. Mais fallait-il le souligner, s'en féliciter ou feindre que ce soit banal ? Fallait-il évoquer ou non ses quatre enfants, qu'on n'aurait sans doute pas mentionnés pour un homme ? La question a fait polémique et la réponse n'est pas simple. Car si l'on aimerait que cela aille de soi, il n'est encore pas si anodin pour une femme d'accéder à un poste élevé, ni pour une mère de famille nombreuse d'assurer une brillante carrière. A l'occasion de la Journée de la Femme, nous avons rencontré Florence Robine pour évoquer avec elle les étapes de son parcours professionnel.

 

L'Education Nationale donnerait-elle des postes à responsabilités aux femmes ?

 

 « Il y a une féminisation accrue et volontariste des postes à responsabilités dans l'EN » affirme Florence Robine. « Seulement on part de loin : quand des contextes s'installent, et quand on est dans un monde très masculin, ce n'est pas simple d'y accueillir des éléments...  exogènes, admet-elle.  Le ministère s'efforce de susciter et de valoriser de plus en plus des candidatures de femmes sur les postes à responsabilités. D'ailleurs, il y a désormais une majorité de femmes dans les postes de direction générale à l'administration centrale. C'est une vraie volonté du gouvernement, depuis plusieurs années. Et ce n'est pas si simple ! »

 

Ne pas s'excuser de vouloir réussir

 

Pas simple, parce qu'il faut parfois de l'audace pour jouer le rôle de pionnière dans les domaines où les femmes ne sont pas représentées. « Quand j'ai été nommée, en 2004, à l'Inspection générale, se souvient Florence Robine, j'étais la première et la seule femme nommée comme inspectrice générale de physique. » Une spécialité plutôt rare chez les filles, qui ont toujours tendance à bouder les filières scientifiques. Mais pour Florence Robine, lycéenne dans les années 80, cette orientation n'a pas posé de problèmes. « Je viens d'une famille où les femmes travaillent depuis toujours, explique-t-elle. Mes grands-mères étaient des femmes libres, indépendantes, elles travaillaient et elles assumaient leur vie familiale. J'ai grandi dans cette tradition et dans les valeurs républicaines de travail et de mérite : tant que je réussissais dans la voie que j'avais choisie, je pouvais continuer aussi loin que possible. Ma famille m'a toujours soutenue et je ne me suis jamais posé de questions. J'ai vite compris que j'étais plutôt seule dans cette voie... J'étais passionnée de sciences : quand je suis entrée à l'ENS Cachan, j'étais la seule fille. Mais je n'ai jamais cherché à m'en excuser ! Et puis, j'ai remarqué que lorsqu'on ne se met pas de barrières à soi-même, les portes s'ouvrent assez naturellement. »

 

« Montrer qui on est et où on veut aller »

 

« C'est important de ne pas avoir peur de montrer qui on est et où on veut aller. Mais avoir des ambitions, ce n'est pas toujours très bien vu pour une femme, on ne le lui pardonne pas. C'est là que la famille est importante, et en particulier, c'est essentiel d'avoir un père qui conforte les choix de sa fille. » Pour Florence Robine, sa famille n'a jamais contrarié sa vocation scientifique, n'hésitant pas à l'y encourager quand elle s'est sentie un temps attirée par la philosophie. Elle y a renoncé, mais « ce n'était que partie remise, avoue-t-elle. Une fois nommée professeur de physique en classe préparatoire, je suis revenue à la philosophie tout en travaillant, et j'ai fait un doctorat d'épistémologies des sciences exactes. » Florence Robine dit n'avoir jamais vu les obstacles. Mais elle reconnaît aussi que celles de ses amies qui ont choisi la voie de l'entreprise privée, dans des carrières d'ingénieur, ont rencontré plus de difficultés que dans le secteur public.

 

« Vous n'allez plus faire d'enfants , n'est-ce pas ? »

 

Pourtant, ces obstacles qu'elle affirme avoir refusé de voir, Florence Robine ne nie pas en avoir croisé, en particulier pour concilier vie familiale et vie professionnelle. « J'ai été nommée très jeune en classes préparatoires et j'ai eu très jeune beaucoup d'enfants, raconte-t-elle en riant. Comme je demandais une autre classe, un inspecteur général m'a appelé en me disant : rassurez-moi, vous n'allez plus faire d'enfants, n'est-ce pas ? J'en suis tombée de ma chaise. Je n'imagine pas qu'on pourrait aujourd'hui parler ainsi à une femme. »

 

Accepter les risques pour la vie familiale

 

Après une vingtaine d'années d'enseignement en classes préparatoires technologiques, dont elle garde un excellent souvenir, elle a souhaité changer de fonctions. « Mais après quelques années, explique-t-elle, il faut se battre un peu pour sortir de la case où on a été placée. Et là, il ne faut pas hésiter à dire ce qu'on veut faire, à se faire reconnaître. A prendre des risques, aussi. J'ai senti beaucoup de mes consœurs inquiètes des risques qu'elles prenaient, parce qu'ils pesaient sur leur famille, leur entourage, la qualité de vie familiale – questions qu'en général un homme ne se pose pas, parce qu'il pense pouvoir maintenir la même qualité de vie, et ce que les femmes peuvent aussi réussir à faire. Le souci de préserver l'équilibre familial est légitime, mais l'accomplissement personnel est essentiel, aussi. »

 

Speed-meeting en Guyane

 

« J'ai beaucoup travaillé sur cette question de rendre compatible la vie de famille et le travail avec des jeunes filles en Guyane. J'ai monté une expérience de speed-meeting : j'ai demandé à toutes les femmes qui comptent en Guyane de venir expliquer en quelques minutes, à un groupe de jeunes filles, leur parcours, leurs difficultés, la manière dont elles les avaient surmontées, et puis on changeait de groupes... Christiane Taubira est venue, ainsi que Chantal Berthelot, les femmes-maires de Guyane, des ingénieures qui travaillaient au centre spatial et qui lançaient les fusées, etc. La plupart des jeunes filles étaient bloquées dans l'image traditionnelle du rôle de la femme, l'incapacité à mener de front leur développement personnel et leur rôle social et familial, avec un le sentiment d'un sacrifice nécessaire. Mais on retrouve ce même problème dans les zones urbaines de l'Académie de Créteil, et aussi  dans les milieux ruraux tels que je les ai connus dans l'Académie de Rouen. Il faut pourtant comprendre que le monde change : ce n'est pas pour rien, par exemple, que l'un des éléments les plus prédictifs de la réussite des enfants, dans les statistiques, est le niveau d'études de la mère ! »

 

Parfois un peu tête-brûlée ?..

 

« Il y a une responsabilité des femmes à montrer qu'on peut concilier tout cela : il faut donner à voir des cas concrets de femmes normales, nées dans des milieux ordinaires, qui peuvent avoir de vrais parcours, même si, je dois l'avouer, ça se fait à force de volonté, de confiance en soi et de capacité de prendre du recul sur les situations. » Nommée en Guyane pour son premier poste de rectrice, Florence Robine aura dû faire preuve d'une bonne dose de confiance et volonté : un poste octroyé comme un défi, qu'elle a relevé non sans témérité, reconnaît-elle. « Je crois que je suis parfois un peu tête-brûlée, admet-elle, songeuse. Mais j'aime beaucoup les défis. C'est vrai qu'il fallait une bonne dose d'inconscience pour accepter ce poste. Mais de temps en temps, il faut savoir sauter dans le vide , non ? Il n'y a pas de transition possible quand on n'accepte pas de se déstabiliser.  Je ne connaissais rien : ni le métier de rectrice, ni la Guyane, j'ai tout découvert et je n'en ai que des souvenirs positifs. Je suis assez tournée vers les autres, et les gens m'ont renvoyé beaucoup de choses positives. Ma fille cadette, qui m'a accompagnée, était très jeune à l'époque : elle a vécu une expérience qui a changé sa vie. Depuis, plus rien ne lui fait peur, je crois. Elle est convaincue que le monde est ouvert. »

 

Repérer les points de force de chaque jeune

 

Une leçon de vie que Florence Robine voudrait pouvoir transposer dans l’Éducation : aller à la découverte de l'inconnu, voir comment les autres vivent, ailleurs, dans des régions moins favorisées,  prendre l'avenir à bras le corps. Leçons de confiance d'une famille aimante et d'un parcours scolaire réussi, de capacités personnelles bien utilisées, est-ce la recette pour s'ouvrir au monde avec force et confiance ? «  Ce que l'école doit travailler et réussir, c'est repérer les points de force de chaque jeune, pour s'appuyer dessus et le pousser à donner le meilleur. C'est comme souffler sur les braises ; ces braises sont là, chaque enfant a en lui un potentiel. Je crois beaucoup à l'effet Pygmalion des professeurs. Un enfant à qui on fait confiance peut soulever le monde. ».

 

Une responsabilité plus partagée

 

Mais les professeurs se sentent-ils assez solides pour donner confiance, quand ils s'estiment  abandonnés par l'institution et dénigrés par l'opinion publique ? « Il ne faut pas généraliser le cas de l'Académie de Créteil à l'ensemble de la France, corrige Florence Robine. Et puis là aussi les choses changent : le formidable succès, inattendu, du dernier concours de recrutement de l'académie de Créteil est une surprise et un signe. Il y a un enthousiasme, des jeunes qui veulent faire ce métier. Il nous faire preuve de créativité, clarifier le projet éducatif et le partager autour de l'école : l’éducation ne peut pas être portée par les seuls enseignants. Le poids énorme de responsabilité qu'on fait peser sur eux contribue à les faire fléchir. Cette responsabilité doit être partagée et assumée, à tous les échelons de la hiérarchie. »

 

Les sciences, enjeu vital pour tous

 

Rassembler toutes les forces et les talents, en particulier dans le domaine des sciences, est un enjeu central pour l'école. « La COP 21 [conférence des Nations unies sur le climat en 2015 à Paris] va montrer combien les enjeux sociaux de la science sont fondamentaux : une partie des solutions d'avenir repose sur les sciences et sur l'éthique. Il faut montrer à quel point elles font partie d'un projet sociétal, humain, à haute valeur ajoutée pour l'avenir. » La réforme des programmes préparée  par le CSP devrait aller en ce sens, estime-t-elle, ainsi que la réforme des collèges qui va développer l'interdisciplinarité et l'engagement, dès la rentrée 2016. Sous la forme d'un programme curriculaire, malgré les réticences ? « Oui, c'est dans le sens de l'histoire : on est dans un monde plus complexe, plus interconnecté ; nous devons structurer les apprentissages mais aussi à apprendre à décloisonner, à développer une vision intégrative et aussi à s'engager beaucoup plus. Lorsque l'on voit le manque de confiance en eux des jeunes français, leur difficulté à prendre des risques, à s'engager sans certitudes, on comprend que la société nous incite à aller dans cette direction. Et c'est à l'école de sécuriser ces process. »

 

Après la Degesco, quelles perspectives peut-on envisager ? Devenir ministre de l’Éducation ?  « Certainement pas, assure Florence Robine. Mais je suis certaine qu'il y aura des opportunités passionnantes qui se présenteront. Et surtout, je crois que j'aurais envie d'aller au plus près du terrain, accompagner la mise en œuvre des changements que j'aurais initiés... »

 

Propos recueillis par Jeanne-Claire Fumet

 

 

Par fjarraud , le vendredi 06 mars 2015.

Commentaires

  • david100, le 06/03/2015 à 09:02
    "au plus près du terrain" ->on n'est pas sur ce type de poste nommé par des politiques au plus du terrain mais au plus loin et au service de soi
    "des changements que j'aurais initiés" -> en principe, les fonctionnaires de ce niveau ne sont-ils pas sous les ordres des politiques élus par le peuple ? Les élus passent, les fonctionnaires restent... et continuent les politiques de leurs prédécesseurs. http://lemonde-educ.blog.lemonde.fr/2014/05/06/une-femme-numero-2-du-ministere-de-leducation/

     Quant à la question des femmes, il n'y a plus aucun homme ou presque (1 % peut être) que ce soit chez les enseignants ou les cadres "nommé(e)s sur dossier et entretien". Les épreuves écrites anonymes pour les cadres, c'est fini... On ne doute pas un seul instant des "opportunités passionnantes qui se présenteront"  et de l'absence de revalorisation des enseignants qui perdent environ 20 euros mensuellement chaque année avec l’augmentation du prélèvement pour pension civile, sans espoir de hausse du point d'indice comme sous le gouvernement précédent.
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