L'heure de vie de classe pour une véritable éducation sociale et citoyenne  

Les événements dramatiques vécus en France ces dernières semaines et l’intense questionnement qui a suivi ont conduit à mettre en cause les capacités de l’institution scolaire à donner aux jeunes français, partout sur le territoire, un cadre de compréhension des valeurs de la république qui facilite la paix civique, la tolérance, leur inscription et leur confiance dans l’avenir.

 

Deux grandes obligations sont mises en avant dans le discours public, celle de renforcer l’autorité des enseignants et celle de développer au sein de l’école une véritable éducation sociale et citoyenne. Si l’on peut adhérer à ces deux objectifs - qui ne peuvent résumer les efforts à produire pour transformer l’école - il ne fait pas de doute qu’ils supposent, sauf à rester dans l’incantation, la mise en œuvre de moyens pédagogiques réfléchis, bien adaptés aux publics visés et conduits dans la durée.

 

Des changements doivent être engagés qui, de notre point de vue, ne découleront pas d’injonctions réitérées au respect de l’autorité enseignante ou bien encore de la multiplication de cours et interventions sur la morale civique et citoyenne. Il faut d’abord et surtout partir des constats qui ressortent de l’expérience :

- Il manque aujourd’hui, au sein de l’institution scolaire, de lieux de parole et d’écoute systématiquement organisés et structurés, où les interrogations et les difficultés culturelles et d’appréhension sociale des élèves  puissent être entendues, prises en compte, traitées. C’est l’une des conditions pour créer ou recréer des liens de confiance qui permettent  à l’autorité des enseignants d’être reconnue et acceptée par les élèves.

- L’éducation à la citoyenneté, outre les enseignements spécifiques, doit aussi faire l’objet d’une éducation en actes dans les établissements scolaires et l’apprentissage citoyen résulter d’une pratique éprouvée par les élèves. Ces derniers, par un processus d’appropriation, peuvent apprendre à gérer, avec les enseignants et les autres professionnels de l’éducation, leur vie collective au sein de l’école en étant conduits à interroger, à comprendre et à intégrer dans leurs pratiques les règles de la communauté  scolaire et plus largement les règles de vie en société. Et cela sous la responsabilité d’enseignants et de professionnels formés à cette approche et auxquels les élèves puissent d’autant mieux s’identifier, que ces enseignants et professionnels prennent l’initiative du respect et s’appliquent ces règles à eux-mêmes.

- Il est nécessaire de permettre aux élèves d’éprouver et élaborer la conflictualité interne aux groupes et aux sujets eux-mêmes. On a vu combien d’élèves étaient traversés par des tensions internes suite aux événements de début janvier : disposer de lieux dans lesquels ces tensions peuvent se dire et se penser semble nécessaire, voire salutaire à tous les âges et particulièrement à l’adolescence.

 

Les heures de vie de classe au collège: un cadre déjà disponible

 

Les heures de vie de classe, mises en place dans le second degré dans les années 2000 semblent aujourd’hui inégalement investies et sous utilisées dans les classes de collège et de lycée. Mais le cadre qui existe pourrait être réinvesti pour mettre en place ces temps de parole entre élèves et adultes, hors de temps de transmission de savoirs disciplinaires.

 

Notre proposition de renforcement, centrée en premier lieu sur les collèges, prend en compte les considérants suivants :

- les résultats positifs dans l’éducation des jeunes, et leur adhésion aux règles de fonctionnement collectives, toutes les fois où sont mises en œuvre des pratiques, le plus souvent inspirées des pédagogies coopératives et de la pédagogie institutionnelle, avec la mise en place de « Conseils » c'est-à-dire de temps de paroles, de régulation et de décision dans les groupes. Ces « Conseils » sont autant d’occasions d’une meilleure implication des élèves dans la conduite de leur apprentissage et dans leur positionnement comme acteurs de la communauté scolaire ;

- cette proposition ne nécessite pas de mobiliser de lourds moyens : ni financiers, ni dans la mise en place d’une nouvelle réforme. Elle ne fait qu’apporter une amélioration sensible par la relance d’un dispositif existant, sans déstabiliser l’institution.

 

Quel nouveau contenu ?

 

Même si les modalités peuvent varier pour tenir compte des situations locales et des circonstances, la conduite des heures de vie de classe pourrait s’organiser autour des priorités suivantes :

 

1 - Utiliser ce temps ouvert pour aborder des sujets qui interrogent la classe, dans l’école et hors de l’école, y compris les relations avec les enseignants, dans un questionnement sur la construction et l’application des lois et règles collectives, dans la classe, le collège, la société ; comme un moyen aussi de résolution des conflits, de mises en projets, d’instauration de changements si nécessaires.

 

2 - Mettre en place un cadre codifié voire ritualisé :

         prévoir par avance un ordre du jour écrit (cahier spécifique ou tableau) regroupant les questions que souhaitent voir aborder les élèves ou les enseignants, étant entendu qu’aucune question ne pourra être traitée dans l’heure de vie de classe si elle n’est pas inscrite à l’ordre du jour ;

         installer comme une obligation l’écoute mutuelle et le respect des personnes ;

         désigner un président et un secrétaire de séance ayant l’assentiment de la classe. Ces deux responsabilités, qui doivent tourner, pouvant également être occupées par un adulte, notamment pour la tenue des premières réunions ;

         le président veille à l’examen de l’ordre du jour, distribue la parole, introduit et conclue la réunion. Le secrétaire quant à lui relève dans un cahier de suivi de l’heure de vie de classe, après la réunion, avec l’appui de l’enseignant, les principales questions abordées, et les décisions prises, et recueille les avis écrits de ceux qui  souhaitent le préciser ;

         -les décisions concernant la vie de la classe peuvent faire l’objet de votes, auxquels les adultes présents peuvent participer, en conservant un droit de véto en cas de vote contraire aux règles de l’établissement et aux exigences de la vie sociale.

 

3 - En principe, dix heures de vie de classe sont prévues réglementairement dans l’année mais ce nombre devrait être augmenté pour rythmer plus concrètement la vie de la classe et intégrer les exigences du moment (une heure par quinzaine semble plus adapté, comme le prévoyaient initialement les textes mettant en place l’heure de vie de classe).

 

4 - L’organisation de l’heure de vie de classe est placée sous la responsabilité du professeur principal, qui peut favoriser l’intervention d’autres adultes, en relation notamment avec le Conseiller Principal d’Education.

 

Les effets attendus

 

Les expériences menées dans différents univers scolaires montrent que ce type de pratiques débouche sur des résultats notables. Elles modifient l’implication des élèves, le climat des groupes, mieux régulé, et la qualité des relations entre élèves et enseignants. Elles apportent avec le temps, chez les élèves, non seulement une perception plus concrète et mieux appréhendée des principes et des codes de la vie en société, mais encore :

- l’apprentissage de l’écoute attentive des autres avec la prise en compte de leur différence ;

- l’apprentissage du débat argumenté avec les capacités à faire des propositions pour résoudre des situations de conflits et à prendre des décisions collectives ;

- l’acquisition de compétences individuelles : acceptation de responsabilités, prise de parole en public, gestion d’une discussion dans une situation complexe, meilleur contrôle de soi, prise de notes etc.

 

En conclusion

 

Un renforcement sur ces bases des heures de vie de classe ouvrirait de nouvelles perspectives dans la vie quotidienne des collèges et serait un enrichissement, pour les enseignants comme pour les élèves. Certes, l’appropriation serait progressive et ne pourrait s’appliquer sans préparation, dont la formation des professionnels, à toutes les classes. Elle suppose aussi une coopération renforcée entre les enseignants d’une même classe, des échanges de pratiques et des mises en réseau.

 

A l’évidence, c’est à tous les niveaux de l’école en France, du primaire au lycée que cet apprentissage citoyen, qui s’appuie sur les savoirs mais aussi sur l’exercice pratique des valeurs de la république, devrait se déployer sous des formes adaptées : au primaire, à l’initiative des professeurs, au lycée dans le cadre des heures de vie de classe également. Prenant appui sur des expériences déjà réalisées et en réponse au sentiment d’urgence largement partagé, l’intention serait de chercher à conjuguer sans tarder  la volonté d’agir des enseignants et l’engagement des pouvoirs publics en diffusant ces pratiques vers un nombre élevé de classes.

 

Arnaud Dubois, maître de conférences en Sciences de l’éducation à l’université de Cergy-Pontoise, membre du Groupe de pédagogie institutionnelle de Paris-Créteil (GPIPC), co-auteur de Professeur principal, animer des heures de vie de classe (2009, Scéren-Crap)

Olivier Jospin, ancien président de l’Ecole de la deuxième chance de Paris

Bruno Robbes, maître de conférences en Sciences de l’éducation à l’université de Cergy-Pontoise, ancien instituteur, formateur en pédagogie institutionnelle, auteur de L’autorité éducative. La construire et l’exercer (2013, Scéren-Crap).

 

 

Par fjarraud , le vendredi 06 mars 2015.

Commentaires

  • jplievre, le 06/03/2015 à 07:26
       Il me semble qu'en ce qui concerne l'organisation et le déroulement de "l'heure de vie de classe", ainsi que l'ensemble des débats que l'on peut concevoir dans les classes il eut été pertinent de faire appel aussi à des formateurs de l'ESPE, et à des enseignants de philosophie mettant en œuvre les "débats philosophiques".
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