Le rapport de la Cour des Comptes sur le suivi individualisé des élèves fait du bruit en raison de sa recommandation principale d'annualisation des services. Elle ne doit pas faire oublier que la question soulevée est bien au centre de la crise de l'Ecole pour les élèves et pour les professeurs.
La Cour des Comptes a raison de faire le lien entre l'effondrement des résultats du système éducatif français à sa base et sa quasi incapacité à suivre chaque élève. On sait que la baisse générale du niveau scolaire correspond en fait à une chute grave des résultats des élèves les plus faibles sur la dernière décennie. Ce sont ces élèves là, qui ont souvent commencé très tôt à être en difficulté avec l'Ecole, que l'Ecole n'arrive pas à suivre.
La Cour a aussi raison de critiquer le manque de constance et même la façon désinvolte dont l'institution scolaire traite la question du suivi individualisé des élèves. On assiste à une valse perpétuelle de dispositifs, souvent mis en place sous des pressions politiques momentanées. Ils sont ouverts et fermés selon le bon plaisir du prince. On se rappelle comment du jour au lendemain le ministère a mis fin aux outils des modules laissant les équipes en plan, justifiant ainsi l'abandon des modules. On assiste en ce moment même à la fin de l'accompagnement des élèves au collège dans un silence institutionnel intéressant. Le rapport souligne le fait qu'on demande aux enseignants de faire du suivi individuel sans les former. Le signal envoyé à la profession est clair : tous ces dispositifs d'aide, faites les mais ne vous y investissez pas.
Ce que ne semble pas avoir perçu la Cour c'est que la question de l'aide individualisée est aussi centrale pour les enseignants. Les enseignants sont confrontés à un nombre croissant d'élèves en difficulté avec l'injonction de permettre leur réussite mais sans moyens de formation et d'appui pour faire face à la situation. De l'exemple de la Finlande, la Cour retient la disponibilité des enseignants. Les enseignants retiennent l'effort de formation et la disponibilité de ressources humaines attachées à l'établissement pour les aider.
Une étude québécoise, dirigée par Anne Brault-Labbé, a pu établir que cette question est la première source de stress et de démission des enseignants. " Le soutien aux élèves en difficulté se démarque sans contredit comme le facteur contextuel le plus préoccupant dans la pratique professionnelle des enseignants du primaire ayant pris part à cette étude, et cela transparaît dans l’ensemble des résultats obtenus. D’abord, il est perçu par près de 80% des répondants comme étant hautement problématique et par plus de 40% comme étant extrêmement problématique... En termes de soutien souhaité, les enseignants revendiquent massivement dans l’esprit d’une augmentation des ressources spécialisées s’adressant aux élèves en difficulté (orthopédagogues, éducateurs spécialisés, psychologues, psychoéducateurs, etc.), tant en nombre d’intervenants qu’en temps d’intervention. Certains insistent également sur l’importance de réduire les délais dans les services offerts aux élèves, tant pour le dépistage que pour les suivis offerts". Or on sait que les Rased ont perdu un tiers de leurs effectifs en 10 ans...
Ce que n'a pas vu la Cour non plus c'est que la question est étroitement liée au nombre d'élèves par classe. Le suivi individualisé devient impossible avec les effectifs réels des classes dès la maternelle et le nombre d'enfants demandant un suivi personnel dans chaque classe. Fixer des seuils impératifs par exemple en éducation prioritaire devrait s'imposer pour la gestion du système éducatif. C'est sur le terrain de cette gestion là que la Cour aurait pu aller. Plutôt que fantasmer une gestion manageriale poussée d'une main d'oeuvre enseignante à qui on retirerait davantage encore toute marge de liberté. C'est au contraire l'affirmation de la responsabilité enseignante, la capacité réelle à se former, la reconnaissance de l'expertise enseignante qui sont les chemins de l'aide individualisée. Celle ci est une exigence suffisamment urgente pour ne pas la réduire à une question de gestion.
François Jarraud
Le rapport Brault-Labbé