Comment changer l'Ecole ? 

L'échec de la démarche empruntée par la ministre pour changer l'évaluation siffle-t-elle la fin des réformes ? Certains l'espèrent et s'affolent d'une "offensive" des réformistes. Chez ces derniers c'est la consternation et même le sentiment d'une trahison. Tout d'un coup on s'interroge sur la ligne politique d'un ministère dont on se sentait si proche. Et si cet événement marquait surtout la prise de conscience de l'impasse d'un mode de réforme de l'éducation ?

 

Comment l'Ecole peut-elle donner l'impression qu'elle est immobile alors qu'elle est bombardée de réformes ? Pour ceux qui douteraient de la validité de l'adjectif il suffit de regarder le calendrier 2014-2015. L'année scolaire s'est ouverte sur de nouveaux programmes de maternelle. Il y a eu la consultation sur le socle commun. Puis la publication du socle et dans la foulée la consultation sur le numérique. Vont suivre dans les semaines qui viennent la réforme du collège puis les nouveaux programmes de l'école élémentaire et du collège. En une année on aura renouvelé l'ensemble des programmes suivis par des millions de jeunes et près de 700 000 enseignants. L'année est certes exceptionnelle. Mais l'histoire de l'école élémentaire montre que, à peine a-t-on commencé à entrer dans de nouveaux programmes qu'ils deviennent caducs. Ceux de 2015 vont chasser les programmes de 2008 qui eux-mêmes remplaçaient ceux de 2002. Les programmes de 2002 et 2008, probablement 2015, étaient en rupture profonde les uns avec les autres.

 

Au delà des programmes, il y a les pratiques de classe. C'était, par exemple, l'ambition de  la ministre de changer les pratiques d'évaluation. La démarche était largement justifiée par une série d'études montrant les biais de la notation. Elle était aussi rendue très nécessaire par la loi d'orientation. Car le législateur a cru bon imposer des changements dans l'évaluation et s'occuper des pratiques de classe. Pour appuyer cette orientation, la ministre a pris le chemin habituel des réformes : rapport, constitution d'une commission (ici un "jury") et remise d'un rapport devant aboutir à des recommandations. L'étape suivante aurait été la traduction en instructions officielles de ces recommandations. Mais voilà, ça n'a pas marché. La ministre a remis à plus tard ses décisions. Tout le monde  a compris qu'elle enterrait le rapport.

 

Dans un nouveau dossier du Café pédagogique intitulé "Comment changer l'Ecole ?", Claude Lessard, Vincent Dupriez nous apportent des clés pour comprendre le revirement ministériel. Ils analysent l'évolution des modèles de pilotage des systèmes éducatifs. Ils en ressortent avec des conclusions proches. " Je n'ai pas beaucoup de certitudes scientifiques comme sociologue, mais j'ai une conviction très forte: l'école ne peut penser évoluer sans les enseignants ou "malgré eux"; ce sont eux les acteurs centraux de l'institution", nous a confié Claude Lessard. " "Les autorités éducatives sont condamnées à rendre toute réforme pédagogique souhaitable aux yeux de la majorité des acteurs concernés" estime Vincent Dupriez. Pour eux, toute réforme passe par une appropriation par les enseignants qui se traduit forcément par une trahison partielle ou totale de l'idée originelle. Il faut beaucoup de naïveté pour croire qu'on peut changer les pratiques pédagogiques à coup de circulaires ou de décrets.

 

Evidemment on peut émettre plusieurs hypothèses sur la décision de N Vallaud-Belkacem. Par exemple le fait que le climat issu du 11 janvier pousse le gouvernement vers des positions traditionnalistes. On peut aussi être plus optimiste et penser que le ministère aille vers une approche plus réaliste du changement en éducation.  

 

François Jarraud

 

Consultez le dossier

 

 

Par fjarraud , le lundi 02 mars 2015.

Commentaires

  • Guillaume35, le 02/03/2015 à 23:36

    Excellent éditorial et un constat amer... celui de la quasi-impossibilité de réformer ouje dirai plutôt de "bien" réformer notre EN. Les réformess'enchaînent mais n'ont pas leur cohérence ou ne vont pas jusqu'au bout car lesministres changent tout le temps. Ce qui donne cette impression de bricolage permanent et qui agace au plus haut point les enseignants sur le terrain.Deplus, il faut du temps pour que l'on s'approprie une réforme. L'exemple de laFinlande est flagrant. Le cadre des programmes est resté inchangé pendant desannées...et c'est ce qui a permis aux enseignants de mener à bien la réforme deleur système éducatif.

    En France, la question est de savoir si on veutvraiment consulter la base pour réformer par le haut. La plupart du temps, onvoit très peu d'enseignants (des professionnels au plus près du terrain) siégerdans les commissions censées pondre un rapport. Celles-ci peuvent traduire despositionnements théoriques ou idéologiques quelques fois éloignés desconsidérations pratiques des enseignants. Un exemple me vient en tête : lacomposition du Conseil Supérieur des Programmes. Combien d'enseignants en postey siègent ? Deux sur 18. N'y a-t-il pas un problème de confiance à l'égard despraticiens ? Je ne dis pas qu'il faut enlever les "experts", leschercheurs des commissions (au contraire) mais il me semble que l'on gagneraità considérer les professionnels du terrain comme partie prenante del'élaboration des réformes.
    Pourquoi consulter les enseignants a posteriorisur les nouveaux programmes alors qu'on pourrait très bien les intégrer enamont des réformes ?

    Je souscris aux propos de Vincent Dupriez et deClaude Lessard : le changement ne peut venir qu'en l’engageant AVEC lesenseignants. L'EN, comme institution et pilote du système, doit aussi offrir un
    cadre assez souple où l'on responsabilise davantage les équipes enseignantes.Le reportage d'Arte diffusé la semaine dernière sur le bonheur au travail devrait nous aider à réfléchir !

  • heurtebise, le 02/03/2015 à 16:08
    On s'interroge surtout sur ceux qui se sentaient proches des trois ministères de l'éducation de la présidence Hollande...
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