La chronique de Véronique Soulé : l’école et les valeurs de la République, un vrai casse-tête  

Comment transmettre les valeurs républicaines en classe ? En les enseignants en cours le lundi entre trois et quatre ? En faisant chanter la Marseillaise le Jour de la Laïcité ?... Après les grandes déclarations (1), les plans retentissants et les catalogues de mesures, on a envie de se poser. Et de prendre du recul. L’historienne Mona Ozouf, interrogée sur France Inter (2), et le sociologue Olivier Galland, signant une analyse sur le site Telos (3), ont, chacun à leur façon, porté cette semaine des regards éclairants.

 

" Il n’y a rien de moins limpide que l’idée républicaine"

 

 D’abord, si l’on considère que l’école doit enseigner les valeurs républicaines, comment s’y prendre ? «Si je devais enseigner la morale laïque, je serais très embarrassée, a reconnu Mona Ozouf, interrogée lors de l’émission Interactive du 20 février, les enfants et les adolescents  d’aujourd’hui sont insensibles aux prêches. Tout ce qui ressemble à des sermons ou même à des exposés didactiques les rebute».  Pour l’historienne qui fut prof de philo, il faut avant tout chercher à capter les élèves: en élaborant des projets de classe, en évoquant des histoires et des récits de vie, afin que «les élèves ne soient plus condamnés à écouter». L’actualité aidant, on pourrait raconter la vie des 4 futurs «panthéonisés» en mai, a-t-elle suggéré, Pierre Brossolette représentant la liberté, Geneviève de Gaulle Anthonios la fraternité, Germaine Tillion la liberté encore, et enfin Jean Zay la laïcité..

 

Mais que va-t-on enseigner exactement ? «Il n’y a rien de moins limpide que l’idée républicaine», a souligné Mona Ozouf , rappelant que tout le XIXè siècle avait été traversé  de débats passionnés sur la place de la liberté et de l’égalité dans notre devise, et que le principe même de laïcité à l’école avait été suivi de décrets d’application très pragmatiques, rédigés par Ferdinand Buisson et Jules Ferry. «Les valeurs républicaines sont difficiles à penser et à accorder l’une avec l’autre», a poursuivi l’historienne. Elle a pris l’exemple de l’égalité, expliquant en substance: nous disons que nous sommes égaux alors que nous ne le sommes pas, mais nous le disons car cela nous sert comme «un tremplin pour le futur», comme «une idée permettant de progresser dans l’émancipation». Pas simple à expliquer en classe, dans le cadre du futur parcours de la citoyenneté annoncé par la ministre Najat Vallaud-Belkacem.

 

Réponse sociale...

 

Quel est le sens d’enseigner des valeurs si, dans la réalité, elles ne sont pas respectées ? Peut-on espérer dès lors les faire partager ? C’est un argument qui revient souvent: comment parler d’égalité à des élèves convaincus que leur école est de second rang  avec des profs non remplacés alors qu’en centre-ville ils le seraient tout de suite, et persuadés d’être, plus que les autres, promis à des filières courtes ? «La grande crise de l’école est qu’elle promettait une égalité de perspectives et d’horizons», et qu’elle ne tient pas ses promesses, a déploré Mona Ozouf.  Ajoutant un sombre pronostic : «quand l’école n’est plus capable de produire de l’égalité, cela devient dangereux». L’historienne, elle-même fille d’instits, a rappelé le temps où les instituteurs clamaient  fièrement : «dans nos écoles c’est l’égalité sur les bancs» …

 

Est-ce qu’on ne demande pas trop à l’école ? Là encore, c’est un serpent de mer. Pour Mona Ozouf, on lui assigne «des missions immenses», suscitant bien trop d’attente. Et on lui adresse des reproches injustifiés, comme celui, implicite, d’avoir renoncé à apprendre à lire et à écrire correctement aux enfants.  Dans son analyse, Olivier Galland, le sociologue spécialiste de la jeunesse, estime, lui aussi, que l’on attend trop de l’école. Il pointe en plus  un grand malentendu: l’école française, selon lui, ne se fixe pas pour mission première d’inculquer la citoyenneté, «ou alors il faudrait complètement refonder le métier enseignant». En France, rappelle-t-il, les profs sont formés à enseigner leurs disciplines – même si certains vont bien au-delà. 

 

Ou apprendre à vivre en société ?

 

Et si on se trompait de cible ? Si la priorité de l’école, au lendemain des attentats, était ailleurs ? Ici, Olivier Galland tranche avec la plupart des commentaires et avec la ligne officielle. Pour lui, le diagnostic initial est faux. Citant des sondages, il assure que «la jeunesse, dans sa très grande majorité, n’est pas gagnée par un ethos antiautoritaire et un rejet des valeurs républicaines ». Au contraire, d’après lui. A côté d’une partie, minoritaire, de jeunes radicalisés, la tendance est «plutôt à un retour en force de valeurs «traditionnelles» comme l’autorité. Alors, toujours selon lui, les remèdes proposés – une certaine reprise en mains des élèves, inculcation de la morale laïque… - sont erronés.  «Si l’école doit transmettre des valeurs, ce ne sont pas tant celles de la «République» ou de la «Laïcité», écrit-il,  que celles, tout simplement, de la vie en société ». Ce qui suppose d’apprendre à débattre, à écouter l’autre, à respecter les avis divergents…

 

Le sociologue conclut en évoquant une mission faite récemment en Norvège avec l’OCDE, pour étudier des dispositifs en faveur des jeunes en difficulté. «Nous avons rencontré un chef d’établissement, écrit Olivier Galland, qui expliquait que des discussions étaient organisées périodiquement dans les classes autour de notions comme la patience, le courage, le respect, la coopération, l’honnêteté, la responsabilité, etc…, à partir d’exemples et de situations vécues par les jeunes eux-mêmes. «Nous les préparons pour la vie», avait conclu ce chef d’établissement.»

 

Véronique Soulé

Notes

1 Les grandes déclarations

2 Mona Ozouf sur France Inter

3 Sur Telos

 

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Par fjarraud , le lundi 02 mars 2015.

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