Philosophie : Du bon usage des citations  

« L'enfer, c'est les autres », « Je pense donc je suis » : ces formules magiques de la philosophie fleurissent à tout va, au détour d'une conversation, d'un article de presse ou d'un devoir scolaire, en pur ornement et sans qu'on se préoccupe vraiment de leur sens d'origine. Pourtant, à se replonger à la source, on redécouvre avec plaisir leur force et leur portée. C'est ce que propose le Que sais-je ? de Laurence Devillairs, qui explique 100 citations choisies du corpus philosophique classique. Restituées à leur auteur, replacées dans leur contexte, ces phrases connues, classées par auteur et par ordre chronologique de Héraclite à Sloterdjik, nous rappellent qu'en philosophie, ce qui se dit simplement ne se conçoit pas toujours sans effort – mais vaut largement la peine qu'on lui consacre.

 

Un loup pour l'homme ? 

 

Laurence Devillairs, normalienne et agrégée, aime le style des philosophes et nous rappelle que leurs formules marquent d'abord nos mémoires par leur fulgurance littéraire – au risque d'en oublier les idées qu'elles résument. On sait, par exemple, le plaisir des élèves de terminale à citer la formule de Hobbes, « l'homme est un loup pour l'homme », empruntée à Plaute et ouvrant le De Cive. Une phrase à entendre, nous rappelle l'auteure, comme l'expression d'un principe vital et non d'une cruauté gratuite : c'est ce principe naturel qui justifie le pacte social, assurant la suspension des violences pour assurer la conservation des personnes et des biens. A prendre la formule comme l'expression de la méchanceté humaine radicale, on y perd la valeur politique de la solution de Hobbes.

 

Les raisons du cœur

 

A force de circuler sans être assez pensées, beaucoup des formules célèbres de philosophes tournent au lieu commun psychologique et y perdent leur profondeur. Ainsi, « l'enfer, c'est les autres » emprunté au Huis-Clos de Sartre, n'aurait guère de poids s'il soulignait seulement la relation conflictuelle avec autrui, alors qu'il pointe l'absurde nécessité pour être soi de passer par le regard de l'autre, qui nous fige dans un statut de « bibelots englués dans le monde des choses », nous dit l'auteure. Élégance mal entendue aussi de Pascal : « le cœur a ses raisons que la raison ignore » n'est pas une défense de l'aveuglement amoureux, nous rappelle Laurence Devillairs, mais de la connaissance intuitive de vérités qui nous dépassent et ne peuvent se démontrer par les moyens limités de la raison humaine.

 

Quand je danse, je danse

 

On retrouvera avec plaisir les aphorismes de Nietzsche, tels que « Tu dois devenir ce que tu es » ou  « Dieu est mort », venus du Gai Savoir. Le premier affirme la nécessité de renoncer à un accomplissement volontaire de soi, au profit d'une pure affirmation de la vie ;  le second signe une fois pour toute l'anéantissement des idoles de la pensée rationnelle, le bien, la vérité ou l'amour, au profit d'un enracinement définitif dans le sensible. Moins connues, d'autres citations encore permettent de retrouver le cœur de la pensée de philosophes classiques : « Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors » dit ainsi Montaigne, incitant à se rendre pleinement présent à soi-même dans chacun des moments de l'existence, lui donnant ainsi la plénitude de l'éternité. Ou encore, de Hume : « Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à une égratignure de mon doigt », qui n'est pas une apologie de l'égoïsme mais un modeste rappel de la puissance des passions face à la raison, dont il serait bien imprudent de croire qu'elle nous confère la maîtrise de nos états de pensée.

 

Ce petit livre illustre donc plaisamment la maxime de Montaigne qui donne son nom à la collection encyclopédique des PUF : Que sais-je ? Il nous invite à un plaisant retour vers ce que nous pensions bien connaître, mais qui ne vit jamais mieux qu'au gré d'une tierce lecture. Une utile référence pour les lycéens et les étudiants et un agréable moment pour tous les lecteurs.

 

Jeanne-Claire Fumet

 

Les 100 citations de la philosophie, par Laurence Devillairs – Que sais-je ? N°4016 - PUF 2015.

128 p. 9€.

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 02 mars 2015.

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