Numérique : le retour du projet ? 

Le mot projet a tellement circulé en éducation depuis plus de trente années que l'on peut penser qu'il est dépassé ou en tout cas qu'il s'est en partie vidé de son sens. Pourtant avec le développement des pratiques du numérique en éducation, le mot projet revient au centre des questionnements pédagogiques. En effet à observer les nombreux témoignages de pratiques éducatives du numérique on ne peut que constater que la pédagogie de projet est très souvent le cadre principal de l'action. Web radio, blog, twitter, etc... Le pilotage du développement du numérique dans l'enseignement repose aussi bien souvent sur des "appels à projet", même si parfois ce sont des politiques massives d'équipement qui les précèdent. Ces appels à projets mobilisent en premier lieu les équipes, et ensuite, bien souvent les élèves, dans cette même dynamique. En d'autres termes le projet n'est jamais loin...

 

Mais de quel projet parle-t-on ? Pour reprendre un questionnement cher à Jacques Ardoino, on distinguera bien sûr le projet visée et le projet but. Si le premier indique la direction à prendre, le second indique bien un but à atteindre. Cependant ils ne sont pas aussi séparés l'un de l'autre. Imagine-t-on qu'un plan massif d'équipement de tablettes se fasse sans une visée ? Imagine-t-on qu'une ambition éducative ne se traduise par des réalisations bien concrètes ? L'un comme l'autre ne sont pas envisageables, mais les formes diffèrent entre les manières de faire. La question est celle du lien entre le projet visée et le contexte de mise en œuvre. Autrement dit, comment une dotation massive peut se traduire en réalisations de terrain ? Jusqu'à présent l'histoire des TIC n'a pas démontré l'automaticité du processus, bien au contraire. Cependant des projets de terrain n'ont pas non plus réussi à essaimer jusqu'à une généralisation, comme en témoignent les nombreuses "innovations pédagogiques avec le numérique" qui après avoir été portées par les médias ont finalement disparu ou se sont éteintes progressivement. Finalement, on observe qu'il y a bien davantage de projets buts que de projets finalités, ou plutôt que le volet finalité des buts est bien souvent implicite.

 

Et pourtant c'est bien une approche par projet qui semble vouloir porter actuellement le renouvellement de la plupart des pratiques pédagogiques avec le numérique. La plupart des autres pratiques sont surtout un enrichissement des pratiques habituelles et ne les renouvellent pas vraiment. Tandis que dans la mise en projet, les équipes semblent en mesure d'inventer de nouvelles manières de vivre en classe, de mettre les élèves en activité, sans pour autant les enfermer dans une guidance forte, une directivité importante. Il y a cependant des pratiques intermédiaires qui ne sont pas strictement des projets, mais qui s'ouvre vers cette démarche : les situations problèmes, les démarches d'investigation, d'exploration, d'expérimentation, voire de recherche. L'idée principale de ces pratiques c'est d'ouvrir la classe à des activités des élèves bien différentes de la simple écoute-prise de notes. Il y a bien longtemps que ces pratiques différentes existent, mais aujourd'hui le numérique rend encore davantage possible les pédagogies de ce type encore davantage celles de projet.

 

La question du choix fait par les enseignants repose d'abord sur le guidage qu'ils exercent sur le groupe. Selon qu'ils augmentent leur pilotage (utilisation de support visuel), qu’ils orientent le pilotage (situations problèmes, objectifs obstacle...), qu'ils ouvrent leur pilotage pour aller vers l'accompagnement (projets, créativité), ils mettent les élèves dans des conditions de travail qui sont bien différentes. Cependant tous les élèves ne se sentent pas capables d'adhérer à des pratiques trop peu guidantes, tandis que d'autres se sentent presque étouffés par trop de rigidité. Parce que le numérique repose désormais d’abord sur une pratique personnelle, il oriente davantage les enseignants vers des pédagogies plus ouvertes, dès lorsqu'ils acceptent la force d'ouverture permise par ces nouveaux moyens. Mais les jeunes, les élèves doivent aussi entrer dans ce mode de fonctionnement qui n'est pas si courant. En effet, ils déclarent souvent avoir l'impression de ne pas vraiment apprendre lorsque la contrainte de travail n'est pas strictement exprimée. Mais ils déclarent aussi, lorsqu'ils réalisent des projets (comme les TPE), travailler bien davantage qu'à l'habitude. Entre ces deux points extrêmes, quelle tendance s'affirme.

 

L'enseignement supérieur exprime de plus en plus souvent son souhait de mettre les étudiants en activité. L'autonomie de celui qui apprend à l'université est à mettre en regard de la difficulté à développer l'autonomie dans le monde scolaire, en particulier secondaire. La dynamique de projet, lorsqu'elle est véritablement accompagnée, en particulier sur le plan réflexif et métacognitif, est un bon moyen de mettre les élèves en chemin vers cette capacité, non pas d'autonomie (concept beaucoup trop vaste) mais plutôt d'autodirection au sein du projet. Cette capacité peu souvent évoquée dans le monde scolaire, est parfois exprimée au travers du sentiment d'abandon exprimé par ceux qui attendent beaucoup du guidage de l'enseignant. Pourtant la capacité d'autodirection est centrale dans le processus éducatif de développement, mais on sent bien que le monde scolaire est en difficulté face à celle-ci. Un bon élève doit faire preuve d'initiative, mais pas trop...

 

Les usages quotidiens du numérique par les jeunes sont de bons objets d'observation pour repérer cette force d'initiative. Malheureusement, dans certaines situations, l'orientation prise par ces initiatives d'élèves en milieu scolaire, sont très déviantes par rapport au pilotage et à l'objectif fixé. Elles sont même parfois des signaux que l'enseignant doit capter s'il ne veut pas que les élèves s'écartent du but qu'il leur propose et parfois mettre à mal la totalité de la séance. Du coup il peut être rassurant, en particulier pour le débutant, de guider fortement le jeune et d'éviter cette prise de risque.

 

La pédagogie de projet est évidemment une prise de risque. Mais elle est aussi une chance de permettre l'expression du meilleur de chacun, ce dont témoignent souvent les enseignants surpris même des capacités "cachées" de leurs élèves. Si au moins le numérique peut encourager ces prises d'initiatives des élèves, alors on peut penser qu'il y a de véritables évolutions, dont certaines sont déjà observables, mais probablement encore loin d'être plus largement partagées.

 

Bruno Devauchelle

 

Les chroniques de B Devauchelle

 

 

Par fjarraud , le vendredi 27 février 2015.

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