Radioscopie des professeurs de l'enseignement agricole 

Profs qui êtes-vous ? C'est la question que traite le rapport réalisé par l'ENFA sur "le travail enseignant dans les établissements de l'enseignement agricole public". Sous le boisseau depuis 2013, Le Café pédagogique exhume ce rapport réalisé par Audrey Murillo, sous la responsabilité de Jean-François Marcel et Marie-Hélène Bouillier-Oudot. Le rapport donne une vision positive et attachante d'une profession où les peines et les joies sont toujours en rapport avec les élèves. Il nous fait pénétrer les discussions de la salle des profs. Il observe ce qui se dit durant les cours. Il sonde les coeurs et les pratiques. Les enseignants de l'éducation nationale découvriront des professeurs qui leur ressemblent sur bien des points sauf que dans l'enseignement agricole les relations avec l'institution semblent pacifiées et si simples...

 

A l'origine de ce rapport les Assises de l'enseignement agricole réunies en décembre 2009. Parmi ses 60 mesures, la 46ème prévoyait la création d'un Observatoire du travail enseignant. L'Observatoire n'est toujours pas né mais le rapport, qui devait le précéder, a été remis au ministère de l'agriculture en 2013. Et puis plus rien, jusqu'à sa publication aujourd'hui.

 

Direct, en salle des profs

 

 A la base du rapport des enquêtes menées dans 10 établissements agricoles répartis sur le territoire national et auprès de 192 enseignants. Un échantillon assez faible par rapport aux 838 lycées et 11 000 enseignants de l'enseignement agricole. Mais l'étude a creusé en profondeur à travers des questionnaires, des phases d'observation minutieuse (par exemple en cours) et des entretiens. On obtient ainsi un rapport qui n'a pas réellement d'équivalent pour l'éducation nationale. Pour elle, il faudrait regrouper des observations réparties dans plusieurs études, des sondages, différentes études pour avoir une vue aussi synthétique.

 

L'enquête nous emmène directement en salle de classe pour observer les interruptions fréquentes des élèves. On pénètre aussi en salle des profs où sont relevées les activités. L'essentiel du temps passe en bavardages sur les élèves et des questions professionnelles. Viennent ensuite les photocopies et correction. Les échanges ne concernant pas le métier n'arrivent qu'en 7ème position. Quand on demande aux enseignants où se situent leurs difficultés : ce sont les élèves , toujours inattentifs , hétérogènes etc. Où sont leurs joies ? Les élèves toujours, leur réussite, leurs visites etc.

 

Une pédagogie particulière

 

Ces enseignants ont des particularités qui les séparent de l'éducation nationale. D'abord une mase très importante de non titulaires : un prof sur trois en lycée, deux sur trois en CFA. La majorité sont pluri disciplinaires. C'est le cas pour un professeur sur deux en lycée et trois sur quatre en CFA. 40% des enseignants ont plus de 3 disciplines en CFA, 14% en lycée. Mais il faut souligner aussi des pratiques pédagogiques originales. Seulement un professeur sur dix ne déclare aucune collaboration avec ses collègues. 41% des professeurs de lycée, 52% des enseignants de CFA sont engagés dans de la collaboration ou de la coopération avec leurs collègues. Le métier est moins solitaire qu'à l'éducation nationale. En classe, pendant43% du temps les élèves sont tournés vers le professeur. La majorité du temps est consacré aux échanges entre élèves ou entre enseignants et élèves. La première activité du professeur c'est se déplacer entre les groupes d'élèves.  Ils apparaissent aussi beaucoup plus impliqués dans des projets, du soutien, du tutorat (31% des professeurs des lycées) ou du suivi que les enseignants de l'éducation nationale. 25% des professeurs sont investis dans des mission variées. Leur temps de travail est légèrement supérieur à celui de l'éducation nationale (+ 2h34) justement du fait de l'implication des enseignants dans des tâches administratives ou spécifiques plus importantes dans l'enseignement agricole.

 

Un degré de satisfaction nettement plus élevé qu'à l'Education nationale

 

Une différence particulièrement notable c'est que  malgré leur statut et leur investissement plus importants, les enseignants de l'enseignement agricole émettent un avis très positif sur leur hiérarchie et sur les coordinations installées dans les établissements.72% des enseignants sont satisfaits du pilotage de leur établissement;  80% des coordonnateurs de niveau. Selon le rapport, " quand ce travail (des chefs d'établissement) est perçu par les enseignants comme structurant, c'est-à-dire prenant en charge sa fonction organisatrice et/ou impulsant des dynamiques relationnelles, apparaissent tout d'abord des relations statistiques avec les trois mêmes variables que pour les coordonnateurs (davantage de collaborations, moins de difficultés et plus de satisfactions). Une autre vient s'y ajouter et elle présente l'intérêt de toucher très directement les pratiques d'enseignement, puisqu'il s'agit de l'évaluation. Il y a donc un lien entre un travail de pilotage structurant au niveau du centre et le fait que les enseignants privilégient une approche globale de l'élève pour leur évaluation". Le rôle des coordonnateurs apparait comme particulièrement important.  Rappelons que dans l'éducation nationale, selon une enquête se-unsa, trois enseignants sur quatre (73%) pensent que leur hiérarchie ne comprend pas leurs contraintes professionnelles et 56% qu'elle ne les écoute pas. Il y a probablement un style de direction beaucoup plus souple , facilitant la distribution des missions aux enseignants. Pour Audrey Murillo, interrogée par le Café pédagogique, cela tient aussi à la taille des établissements qui génèrent des relations plus proches. Quand même , seulement 2% des professeurs de lycée se plaignent de leur affectation (0% en CFA !).

 

La menace du décrochage des disciplines d'enseignement général

 

L'enquête pose aussi la question du devenir des enseignants âgés. Elle relève qu'ils collaborent beaucoup moins que les plus jeunes et que leur pédagogie st davantage centrée sur eux. "Ils pourraient faire bénéficier davantage les jeunes de leur expérience", estime Audrey Murillo.

 

Le dernier enseignement de cette étude touchera probablement les professeurs de l'enseignement professionnel. L'étude relève que les modalités pédagogiques sont plus diversifiées dans les disciplines professionnelles que dans les disciplines de l'enseignement général. Celles-ci contextualisent moins les cours, c'est è dire qu'elles renvoient moins au vécu professionnel des élèves. Pour l'étude, cela "inciterait sans doute à initier une réflexion pédagogique approfondie autour de l'enseignement des disciplines générales (y compris dès la formation initiale) pour éviter que ces disciplines ne se trouvent progressivement marginalisées par les apprenants dans leurs cursus de formation."

 

Nul ne sait si finalement l'observatoire du travail des enseignants de l'enseignement agricole verra le jour. Mais l'étude que nous publions est déjà très riche d'enseignements pour tous les enseignants et leur encadrement.

 

François Jarraud

 

Téléchargez l'étude

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 25 février 2015.

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