P. Bron : Apprendre à devenir un citoyen, plutôt qu’apprendre le « métier d’élève » 

Il est devenu courant depuis quelques années d’entendre chez les pédagogues reconnus, l’objectif d’aider l’enfant à devenir élève. Certains parlent même du « métier d’élève ». Ainsi l’enfant devrait aller à l’école primaire pour y apprendre un métier. Cette expression est navrante parce qu’elle nie le sens premier de l’apprentissage, celui d’aider à grandir. Mais à quoi sert donc l’école? A emmagasiner des connaissances, à devenir adulte, à transmettre des valeurs... Et si nous changions de paradigme pour dire ensemble que l’objectif prioritaire de l’école consiste tout d’abord à former des citoyens.

 

Les événements « Charlie » nous ont bousculés. Ils ont requestionné nos valeurs et en premier lieu celle de laïcité qui nous paraissait confortablement intégrée. Face à ce grand désarroi, l’école est pointée du doigt. Et si nous ajoutons les résultats PISA qui la place en queue de peloton des pays européens, le tableau scolaire est prêt à sombrer.

 

Nos politiques ont décidé, à juste titre, de placer l’éducation comme une priorité et les évolutions sont significatives : refondation de l’école, réforme des rythmes, adaptation des programmes, développement du numérique, redéfinition du socle commun, remise en cause de la notation, réorganisation de la formation des enseignants, plan d’action pour la formation du citoyen, projet éducatif de territoire… Nous pouvons saluer le travail des différents ministres de l’éducation qui, de Vincent Peillon à Nadjet Vallaud Belkacem, ont pris sérieusement en main cette question, ainsi que tous les acteurs enseignants, parents, associations, villes éducatrices..

 

Mais peut-on vraiment changer l’école sans changer le but à atteindre ? L’objectif n’est-il pas encore actuellement, de former des enfants aptes à devenir des élèves, formatés pour emmagasiner des apprentissages scolaires, avec comme finalité l’excellence des grandes écoles, que seuls quelques uns atteindront avec douleur. L’école primaire doit elle apprendre le « métier d’élève » comme si l’objectif de l’enfance se réduisait à un apprentissage professionnel ? La réflexion sur les programmes n’est-elle pas avant tout disciplinaire ?

 

La conception traditionnelle française des programmes est à revoir, non seulement elle reste ancrée sur les disciplines mais elle laisse peu d’initiatives aux enseignants. D’après le Conseil Supérieur des Programmes, le nouveau socle fait le pari de « refonder l'école par les contenus ».  Les futurs programmes ne devraient plus « définir les activités des enseignants mais les attendus de connaissance, de compétence et de culture des élèves ». En cela ils seront très différents des programmes anciens, c’est un progrès.

 

Mais le savoir n’est pas forcément émancipateur. Même s’il permet de comprendre une situation, de décoder son fonctionnement et d’élaborer des stratégies de changement, il ne suppose pas, par définition, l’accroissement de l’autonomie de pensée et d’action collective d’une personne. Bien sur, ce débat est récurrent et je force volontairement le trait. Beaucoup d’éducateurs s’engagent autour de valeurs plus humanistes. Mais le système scolaire est-il vraiment en train de changer, malgré les coups de butoir de l’actualité récente ?  Qu’en est-il de ces enfants de l’école républicaine dans un pays en panne de transmission ?

 

Et si l’on fixait, de façon déterminée, l’objectif prioritaire de placer l’éducation à la citoyenneté au cœur de l’école, d’apprendre à l’enfant à devenir un être sociable et un citoyen éclairé. Pas seulement d’introduire dans l’école un peu plus d’éducation civique et de formation citoyenne, comme cela se joue actuellement. Option qui reste malgré tout, très marginale par rapport aux apprentissages disciplinaires. Imaginons que le Conseil Supérieur des Programmes ait à plancher sur les acquisitions telles que : développer son autonomie par la pédagogie du choix,  construire du collectif en « faisant ensemble »,  passer de la pulsion à la réflexion,  respecter la nature et la vie qui sont nos biens les plus précieux et les plus fragiles, s’ouvrir au monde, développer des compétences de solidarité et d’entre-aide, et pourquoi pas introduire la contemplation, la méditation à l’école… Imaginons que les disciplines telles que le français, l’histoire, la géographie ou les maths soient enseignés en priorité à partir de ces objectifs, sans négliger les apports didactiques tels que lire, écrire, compter, s’exprimer à l’oral comme à l’écrit sous forme de remédiation quotidienne. Développer les parcours d’éducations artistique, culturelle, sportive et écologique.

 

Imaginons que les programmes soient élagués pour n’en garder que l’essentiel, laisser place à des enseignements utiles à l’intégration sociale et plus enrichissants pour la vie personnelle. Une réorganisation, une refonte des programmes du CP à la 3eme qui assurerait une véritable continuité éducative et une coopération étroite entre les enseignants des différents degrés. Une pédagogie en rupture avec la compétition, l’individualisme et qui repose sur la coopération. Imaginons que les enfants aient à s’impliquer à l’échelle du groupe, de la classe, de l’établissement scolaire, voir même de certaines structures du quartier, à  travers des instances participatives et la pratique du débat démocratique. Connaître les droits et les responsabilités des acteurs et les mettre en œuvre. Imaginons enfin, que l’établissement scolaire devienne une « maison de l’éducation » dédiée à l’enfance, où la journée de l’enfant soit rythmée et organisée de façon autonome par une collaboration entre les enseignants et les autres acteurs éducatifs : les Atsem, les animateurs du périscolaire, les associations et les parents et plus globalement les personnes intervenants dans l’école.

 

Une école qui structure l’identité personnelle, qui favorise la solidarité, qui encourage la curiosité, l’envie de comprendre, de connaître et d’apprendre. Une école qui permette d’imaginer le nouveau profil des « enfants de la République » Nous sommes bien loin du métier d’élève... Un rêve sans doute.

 

Paul Bron

Elu municipal. Ex adjoint à l’Education de la ville de Grenoble

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 12 février 2015.

Commentaires

  • chbauducco, le 21/02/2015 à 20:42

    Les « pédagogues reconnus » et les enseignants, en particulier ceux de maternelle, veulent aider les enfants à devenir élèves : une évidence qui ne peut faire débat! Car, sauf à inventer une autre Ecole, c’est sur cet enjeu là qu’il faut s’engager fortement pour effacer les différences sociales et  culturelles des élèves. Entre ceux qui grandissent dans des familles qui donnent les codes de l’école et ceux pour qui rien n’est acquis en dehors de la classe. C’est dans cet apprentissage du devenir élève que l ‘école prend du sens, que les enfants les plus défavorisés comprennent  sa fonction. Pour ces derniers, il est nécessaire de  mettre en œuvre des situations qui les conduisent à connaitre, comprendre et s’approprier les codes et les attendus de l’école : « Apprendre l’école POUR apprendre à l’école »*. C’est bien là aussi que l’école va garder sa spécificité, se démarquer des activités péries et extra scolaires proposées dans d’autres structures et montrer « qu’elle fait école ».      Il est regrettable de penser que les professeurs des écoles dissocient ce qui constitue « apprendre, comprendre, savoir » et « les valeurs de citoyenneté ». Les pratiques enseignantes quotidiennes démontrent l’attachement à faire grandir chaque enfant en élève et en citoyen,  l’un n’excluant pas l’autre. …..Le socle commun, les programmes depuis bien longtemps ,de l’école maternelle au collège ,  mentionnent des compétences à acquérir en matière du vivre ensemble, du respect, de l’autonomie, de l’initiative …..                On peut être en partie d’accord avec Paul BRON car le contexte actuel et l’évolution de notre société nécessitent une attention et un développement du « apprendre à devenir un citoyen » mais en désaccord sur la hiérarchisation, l’opposition qu’il avance dans « Apprendre à devenir un citoyen, plutôt qu’apprendre le métier d’élève  ».                                                                                                                                          * connotation «apprendre à l’école, apprendre l’école, »Elisabeth BAUTIER    

  • Viviane Micaud, le 12/02/2015 à 09:28

    Les concepts et les savoirs sont des outils pour créer un sentiment à une communauté, pour décrypter le monde et pour communiquer. Cependant, il y a d'autres compétences comme le travail en équipe, la capacité de se projeter dans le monde des adultes, chercher un positionnement qui convient puis le faire évoluer ou apprendre à agir pour changer le monde. Avoir appris les concepts ne veut pas dire savoir les utiliser et pour cela il faut un accès à la culture populaire. Pour bien s'intégrer dans un réseau, il faut commencer par donner, ce qui est possible sans attendre de retour. Le retour viendra quand on aura besoin d'aide.
    La vision que j'ai est, de transmettre : 
    - la nécessité d'appliquer les règles de la communauté, le retour d'une narration de l'histoire de France qui permet à tous d'avoir sa place dans cette histoire, basée sur des faits fondateurs associés à des dates qui donnent des repères, les concepts qui permettent de décrypter le monde.
    - l'apprentissage de l'action collective, de l'échange et la solidarité,
    - la connaissance des règles pour accéder aux positions de pouvoir, la réalité de la compétition pour accéder aux enseignements sélectifs (mais basée sur des règles explicites avec une recherche d'égalité par la prise en compte des biais sociaux), les règles du jeu pour accéder à un emploi dans une entreprise et monter dans la hiérarchie.
    Pour cette raison je suis d'accord avec Paul Bron sur les compétences qu'il souhaite développer. Mais, l'oubli de la création d'une "identité commune", l'oubli de l'enseignement des concepts (en sociologie, en technologie et en science) qui ont mis 20 siècles à se stabiliser et qui servent à décrypter le monde, me semble une erreur.
    Le refus d'enseigner les règles de jeu pour l'accès au pouvoir, me semble une hypocrisie délétère surtout après les événements Charlie. En effet, il est prouvé que c'est bien le principal moteur du plafond de verre lié aux origines sociales. C'est ce qui fait que les jeunes issus des quartiers pensent que les dés sont pipés. Il y a des précautions à prendre, mais chacun  et chacune doit choisir le destin qu'il ou qu'elle souhaite tester en connaissance de cause. Il et elle doit se choisir une ambition raisonnable. Nous devons arrêter de mentir sur les règles qui permettent d'accéder à chacune des formes de réussite apportant une reconnaissance de la société. Si Paul Bron est conseiller municipal, c'est qu'il connaît les règles pour être coopté dans une position de pouvoir. Sa démarche, pour imposer un refus de voir, me semble d'autant plus critiquable.

    • jplievre, le 13/02/2015 à 06:48
      On peut être d'accord en partie avec P. Bron. En partie. La question qui se pose est de savoir si former le citoyen installe au second plan connaissances et méthodes? Si la réponse est oui. Il n'est pas sûr que nous obtenions en bout de scolarité des citoyens instruits du monde et ayant la tête bien faite. Si la réponse est non. Alors il nous faut penser les connaissances en même temps que leurs utilités et leurs constructions. Leurs utilités d'abord sachant que tout savoir est utile si il est apparu, construit collectivement puis ou en même temps partagé socialement. Pascal inventa la machine à calculer parce que son père croulait sous les difficultés de comptabilisation. !Leurs constructions ensuite. Il est aisé de constater que l'on apprend pas de la même façon les mathématiques, les sciences de la vie et de la terre et la gymnastique de la même façon. Il est facilement concevable qu'un problème de géométrie ne se résout pas de la même façon qu'une équation trigonométrique. La matière investie n'étant pas de même nature, l'approche, la démarche nécessite des mobilisations intellectuelles différentes. La conception du monde vue par le géographe n'est pas du tout la même que celle vue par le biologiste. C'est pourtant cet ensemble de problèmes auquel sera confronté l'élève qui va lui permettre de construire sa propre représentation du monde, voire sa propre action sur le monde. Et ce de manière de plus en plus complexe au fil des classes et des sections. Et pendant ces longues années de découverte de soi et du monde, de soi dans le monde (qui est aussi le monde des autres) le citoyen ne pourra advenir que si nous gardons présent dans toutes les situations d'apprentissage deux éléments incontournables évoqués par deux maitres : "ni rire, ni pleurer, mais comprendre" de Spinoza, et "science sans conscience n'est que ruine de l'âme" de Rabelais.   
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