Le film de la semaine : "Mon fils" 

Quels sont les fondements de la citoyenneté dans une société en crise ? Comment construire le bien-être commun si certains se sentent moins considérés que d’autres ? Comment appartenir à un pays ostracisant certains de ses enfants ? Depuis ses premiers films –«Les Citronniers », « La Fiancée syrienne »-, Eran Riklis, cinéaste israélien, est taraudé par ces interrogations essentielles. Cette fois encore, avec « Mon fils », il y répond de belle et généreuse façon, à travers le portrait sensible d’un jeune garçon arabe et citoyen israélien. Même si le récit, situé dans les années 80-90, oscillant entre burlesque et tragédie, ne gomme pas le contexte « guerrier » du Proche-Orient, son approche du conflit intérieur secouant la société israélienne prend une dimension universelle. Le réalisateur pose, en effet, un regard lucide et aimant sur son pays. Il accompagne avec bienveillance les pas difficiles d’un lycéen pas comme les autres, déjouant l’assignation identitaire. Et ces partis-pris, audacieux, sèment le trouble en nous parce que « Mon fils » nous renvoie à une question fondamentale, posée aujourd’hui à nos démocraties malades : la fraternité peut-elle s’incarner si l’égalité n’existe pas ?

 

La récompense de l’excellence

 

Dans une ville arabe d’Israël vit Iyad, enfant turbulent à l’esprit vif, au sein d’une famille modeste (son père est cueilleur de fruits), au cœur chaleureux et à l’esprit frondeur. Nous sommes en 1982 au commencement de la guerre du Liban. Les parents se promettent ‘d’acheter une télévision couleur et le câble’ si leur enfant, tombé du toit où il rafistolait l’antenne, se remet de l’accident ! Et quelques plans plus tard, les mêmes prient en regardant les avions de chasse dans le ciel pour que ‘Dieu protège les enfants palestiniens du Liban’. A l’école, tous chantent l’hymne israélien mais l’élève doué aime bien provoquer le maître (qui lui demande la profession de son père) en répondant, malgré les coups répétés et les pleurs ainsi provoqués, que son papa est ‘terroriste’. Si Iyad l’insolent est arabe comme 26% des citoyens israéliens, il est le seul et le premier, quelques années plus tard[en 1988], à être admis dans le prestigieux internat juif du lycée des arts et des sciences de Jérusalem.

La joie et la fierté de sa famille se conjuguent aux siennes et le brillant lycéen ne mesure pas encore l’ampleur de l’événement. Certes, il parle hébreu (avec un léger zézaiement charmant), son intelligence et ses capacités d’adaptation devraient faire le reste mais les signes de sa mise à l’écart, les preuves de son isolement s’accumulent.

 

Amour, amitié, identités

 

En dépit de la solitude, des manifestations de mépris de la part de certains congénères, Iyad (Tawffeek Barhom) cultive un amour naissant pour Naomi, étudiante juive, fine et indépendante, et une amitié touchante pour Yonathan (Michael Moshonov), un garçon juif de son âge, fou de musique , cloué dans un fauteuil roulant par une maladie dégénérative. A travers ces deux rencontres fondatrices, il croit se préserver du risque de ‘séparatisme’ ; il plonge en fait au cœur du conflit intérieur qui l’habite et fait l’expérience des contradictions traversant la société toute entière. Si la famille de la jeune fille et ses projets professionnels (entrer ‘dans le renseignement’) rendent l’officialisation de la relation amoureuse entre Naomi et Iyad dramatiquement impossible, la complicité des deux garçons se renforcent du partage de leur différence : l’un à cause du handicap physique, l’autre parce qu’il est arabe. ‘Nous nous ressemblons puisque nous sommes tous les deux atteints d’une maladie héréditaire !’, confie l’un des deux.

 

La maladie du jeune handicapé s’aggrave et la vie d’Iyad, complice en lecture et en musique, s’en trouve bouleversée encore, lorsqu’il se rapproche de lui et propose son aide. Edna (Yaël Abecassis), avocate sépharade d’origine marocaine, élevant seule son fils, prend cette proposition au pied de la lettre et invite Iyad à s’installer dans leur maison pour la soutenir dans l’assistance au malade. Par ce geste d’accueil qui conduira le garçon arabe à accompagner le garçon juif jusqu’au bout de la nuit, la mère brouille davantage les repères ‘identitaires’ et accepte l’ami de la famille comme un ‘deuxième fils’.

 

Nous tairons par quelles épreuves, individuelles, et par quel stratagème, commun, notre héros au vacillement troublant met à mal et transgresse les appartenances identitaires auxquelles l’histoire dont il vient, le pays où il vit l’assignent.

 

Mère patrie

 

Aux spectateurs bouleversés, le cinéaste n’offre pas de solution facile. Il nous laisse méditer sur l’expérience douloureuse d’Edna, une mère pour deux enfants réconciliés, dans un pays à la recherche chaotique de réconciliation. « Mon fils », fable moderne, mêlant la guerre et l’amour, servie par une partition musicale aux accents électro-jazzy, résonne longtemps en nous comme un appel pathétique à la fraternité concrète.

 

Samra Bonvoisin

 

« Mon fils », film d’Eran Riklis-sortie le 11 février 2015

Sélection officielle, festival de Locarno 2014 ; Prix du public, rencontres de Cannes 2014 ; Grand Prix, festival de Bastia 2014

 

Par fjarraud , le mercredi 11 février 2015.

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