Réflexions d'une maîtresse… C’est qui Charlie ?  

Ce soir, la France, notre République, notre démocratie, notre peuple sont en deuil. Les enfants, au sein de leur foyer, ont certainement senti l’émotion des adultes poindre face à cette horreur innommable, devant la télévision : nul ne peut rester insensible à ce drame et il est même utopique de vouloir comprendre (ou simplement d’essayer !) comment des êtres humains, dotés d’un cœur et d’un cerveau, puissent être victimes d’un tel long processus de deshumanisation qui les amène à de telles extrémités.

 

Certains de nos jeunes élèves auront peut-être vu les vidéos des fusillades, les images de ce policier assassiné de sang froid, images passées en boucle sur les réseaux sociaux et les chaînes d’informations. Nous, enseignants du premier degré, aurons pour mission de répondre à leurs questions dès demain matin. Pire, nous serons peut-être les seuls à pouvoir répondre à ces questions… Des parents absents ou des parents démissionnaires, des gosses livrés seuls après l’école à zapper devant la télé ou à s’épancher sur les réseaux sociaux, ce n’est malheureusement pas rare. Pour certains d’entre nous, sensibles, atterrés, choqués, l’exercice s’annonce difficile. Trouver des mots à mettre sur des maux irréparables et abjects… Tout en respectant la sensibilité des enfants, en ménageant ceux qui auront été tenus à l’écart de cette atroce nouvelle et en n’oubliant pas que ce ne sont « que » des enfants qui pour la plupart vivent encore dans un monde protégé, d’innocence, de jeux, d’imagination, de légèreté…

 

Demain, dans nos classes, il nous faudra résoudre cette terrible équation : libérer la parole de nos élèves choqués tout en préservant leur âme d’enfant… Leur donner aussi les outils pour réfléchir, se forger une opinion, aiguiser leur esprit critique, comprendre les dangers des extrémismes qui sont une menace pour notre Humanité tout en luttant contre les préjugés ou amalgames déjà nombreux à ces âges-là et en respectant toutes les identités présentes dans nos classes afin que nul ne puisse se sentir responsable ou coupable de ces actions, quel que soit sa religion ou son origine… L’apprentissage de la tolérance passe aussi par cela…

 

Et si nous leur donnions tout simplement des crayons demain matin ?

 

« Demain, j’ai juste envie de leur donner des crayons en arrivant et de les laisser dessiner ce qui leur plaira… ». C’est l’une des idées qui circule chez les instits de divers groupes sur les réseaux sociaux en ce mercredi soir. Pour ma part, j’ai aussi envie d’afficher ces dessins autour d’une grande pancarte « je suis Charlie »… Sans dire quoique ce soit d’autre. Cependant, inévitablement, des questions vont venir…

 

Maîtresse… C’est qui Charlie ?

 

Mais, qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur répondre, moi, demain, à ces p’tits loups ? Formée à la belle époque des IUFM, je n’ai cependant pas reçu d’enseignement en psychologie infantile et je suis souvent bien démunie face à leurs interrogations et à leurs grands yeux curieux… Comment mettre des mots sur la barbarie humaine ? Sur l’inexcusable, l’atroce et l’impardonnable ?

 

Et puis, je ne veux pas risquer de créer une ambiance trop anxiogène… Après de rapides recherches sur le net où de nombreux spécialistes y vont de leurs petits conseils, je comprends qu’il faut que j’accueille les émotions et les sentiments de mes élèves, que je les aide à formuler et reformuler ces émotions (colère, peur, tristesse) avec des mots simples. Il va falloir leur expliquer que des hommes et femmes ont été tués à cause de dessins, pour exprimer une colère très violente (« oui mais maîtresse… Pourquoi ils ont fait ça ? Pourquoi ils n’ont pas simplement jeté les dessins à la poubelle ? ») Je vais aussi très certainement condamner cet attentat et rappeler l’horreur des Guerres de religions, des Croisades, au programme cette année pour notre classe, mais aussi pourquoi pas aborder le thème du nazisme et de l’Holocauste… Enfin, je pense que je me permettrai néanmoins de les rassurer  en leur disant que cet acte reste heureusement exceptionnel et qu’ils sont en sécurité à l’école comme à la maison…

 

Que leur dire encore et encore demain et les jours d’après alors qu’on ne cesse de leur répéter en récré ou en classe « faut pas insulter », « faut pas taper », « faut respecter » ?

- Que les gens qui ont commis ces attentats n’ont pas bien écouté à l’école.

- Que les exactions commises ne sont pas tolérables dans un Etat de droit et de justice, qu’il s’agit d’actes de folie furieuse.

- Que la meilleure façon de s’exprimer, c’est encore avec un crayon à la main : la grandeur des mots, la faiblesse des violents…

 

Alors oui, demain, dans ma classe de CE2-CM1, je serai certainement très émue lorsque viendra le moment de parler de tout cela mais… Demain dans ma classe, « je suis Charlie » et « nous sommes Charlie », tous ensemble, parce que nous sommes un groupe, que nous vivons et évoluons dix mois ensemble et que mon seul désir, c’est d’amener mes élèves à grandir, à réfléchir par eux-mêmes, à avoir envie d’aller de l’avant, d’occuper leur cerveau pour qu’ils ne soient pas un jour les « victimes »  désabusées d’un système d’embrigadement guerrier et totalitaire.

 

A la grande époque des jeux vidéo violents et de la téléréalité, est-ce encore un idéal accessible pour les maîtres et les maîtresses que nous sommes ? Quoiqu’il en soit, je ne cesserai pendant toute ma vie de maîtresse d’essayer encore et encore… A la mémoire des Cabu, Wolinski, Tignous, Charb et autres inconnus tombés au front ce matin pour notre Liberté !

 

Alexandra Mazzilli

 

 

Par fjarraud , le jeudi 08 janvier 2015.

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