Dernier mot aux parents : Pour l'Inspection, le bilan de l'expérimentation reste mince 

L'expérimentation du "dernier mot laissé aux parents" à l'issue de la 3ème est-elle un leurre ou une véritable mutation de l'éducation à l'orientation ? L'Inspection générale de l'Education nationale, sous la plume d'Aziz Jellab et Alain Taupin, publie un rapport mitigé qui montre que l'injonction ministérielle a eu peu d'impact finalement, au grand soulagement de nombreux acteurs du système éducatif. Les questions de l'éducation à l'orientation, du lien à construire avec les familles les plus éloignées de l'Ecole restent posées.

 

 A l'origine de l'expérimentation du "dernier mot laissé aux parents" pour l'orientation en fin de 3ème, une décision d'un Comité interministériel de la Jeunesse en février 2013. Lors du débat sur la loi d'orientation, la Commission des affaires culturelles de l'Assemblée propose que le dernier mot soit laissé aux parents pour l'orientation. Mais finalement cette proposition fait les frais des négociations entre groupes. Finalement la loi prévoira une simple expérimentation du "dernier mot laissé aux parents" en fin de 3ème. C'est elle qui fait l'objet du rapport de l'Inspection générale.

 

L'expérimentation

 

Normalement, "en cas de désaccord, un entretien est proposé à la famille par le chef d'établissement. Le chef d'établissement peut assortir sa décision de faire droit à la demande d'orientation de l'élève de la condition que celui-ci s'engage à suivre un dispositif de remise à niveau.. Si le désaccord persiste, le chef d'établissement doit motiver sa décision et la famille dispose de trois jours pour faire connaître son choix de recourir à une commission d'appel. La décision de celle-ci est définitive". Les taux de désaccord tournent autour de 2% des élèves de troisième, si l'on en croit les chiffres officiels du ministère. L'expérimentation supprime la commission d'appel, prévoit un entretien entre la famille et le principal. Le choix de la voie d'orientation est laissé en dernier ressort à la famille.

 

Inscrite dans la loi d'orientation, l'expérimentation n'a fait l'objet d'un décret qu'en janvier 2014. Mais elle a été lancée dès juillet 2013. Le ministère a annoncé en septembre 2013 la participation de 117 collèges, un nombre ensuite ramené à 101 collèges, 16 établissements se retirant d'une expérimentation introduite par en haut. Le rapport souligne que " la mission a relevé un malaise implicite chez des chefs d’établissements déclarant avoir été obligés de mettre en oeuvre, sans concertation, l’expérimentation", selon un schéma bien connu dans l'Education nationale. Le rapport montre clairement que le choix des collèges expérimentateurs a été parfois imposé.

 

Ce qu'aurait du changer l'expérimentation

 

"L’expérimentation, en actant d’emblée le fait que la décision ultime d’orientation reviendra aux familles, modifie le rôle du chef d’établissement et des équipes éducatives. Ceuxci devraient davantage occuper une position de conseillers aidant les familles et les élèves à prendre une décision en s’appuyant sur des arguments plus « pédagogiques » et moins strictement « scolaires »", note le rapport. Le cahier des charges de l'expérimentation invite "à une meilleure reconnaissance de la place des parents et à l'affirmation du principe de coéducation". Il vise aussi "une revalorisation de la voie professionnelle" et "une évolution du pilotage pédagogique par le chef d'établissement".

 

Ce que constate l'Inspection est bien plus nuancé. Si dans certains collèges on repense le parcours des élèves et l'éducation à l'orientation, dans d'autres "l'expérimentation est peu suivie de véritables changements dans le mode d epréparation et d'accompagnement des élèves et des parents". Le rapport donne en exemple un collège prioritaire de l'académie de Toulouse où "le chef d'établissement et les équipes éducatives ne paraissent pas suffisamment impliqués dans l'expérimentation" et où s'est installé un certain fatalisme. Globalement, " la « bonne orientation », pour la plupart des équipes éducatives interrogées, est celle qui  correspond à la décision du conseil de classe. Ainsi, les « cas litigieux » ayant donné lieu à des entretiens avec le principal et le conseiller d’orientationpsychologue à l’issue du conseil de classe du troisième trimestre sont considérés comme « résolus » lorsque la famille se range à la décision de l’équipe éducative. Le dernier mot aux parents est alors à interpréter davantage comme l’occasion de renforcer les échanges avec les équipes éducatives et moins comme une opportunité d’exprimer un voeu et de l’assumer".

 

Quel impact sur l'orientation finale ?

 

Aujourd'hui en fin de troisième, 65% des élèves sont envoyés en seconde générale et technologique (GT) et 32% en seconde professionnelle ou CAP. Quelques progrès ont été réalisés depuis 1997, le taux de passage en 2de GT étant passé de 59 à 65%.  Le taux de redoublement a reculé passant de 7 à 3%. Pour autant les décisions d'orientation ne sont pas à l'abri des inégalités sociales. Ainsi si 89% des enfants de cadres sont orientés en 2de GT, ce n'est le cas que pour 36% des enfants d'inactifs et 43% des employés de service. Or les demandes des familles sont en cause selon une étude de la Depp. Ainsi 91% des cadres demandent la seconde GT pour leur enfant quand ce n'est que 36% des inactifs. A notes égales, les écarts entre les souhaits sont importants. Quand ils sont très bons, 98% des enfants de cadres demandent la seconde GT quand c'est seulement 80% des enfants d'ouvriers non qualifiés.

 

L'expérimentation a-t-elle permis de diminuer les inégalités sociales devant l'orientation ? "Les éléments recueillis par la DGESCO montrent une stabilité globale des intentions d’orientation qui masque des tensions ponctuelles", note le rapport. Sur 90 collèges on observe peu de différences si ce n'est une légère augmentation des orientations vers la 2de GT : sur  9200 élèves la variation serait d'environ 70 élèves. Mais dans un tiers des collèges on aurait " une augmentation importante en proportion des intentions d’orientation vers la seconde générale et technologique même si, en raison de fluctuations d’effectifs, cellesci ne se traduisent pas forcément par un nombre plus important d’élèves concernés... À l’inverse, dans d’autres collèges on constate une baisse importante des intentions d’orientation vers la voie générale et technologique au profit soit de la voie professionnelle soit du redoublement".

 

Quel impact sur les enseignants ?

 

"Le travail sur l’ambition des familles n’a pas produit les mêmes résultats selon la manière dont le collège a établi des liens et un dialogue avec les parents", note le rapport. Dans tel collège l'expérimentation est utilisée pour travailler sur les projets des élèves. Dans tel autre elle sert à limiter les ambitions des élèves pour les dissuader d'aller en 2de GT... Le rapport note aussi qu'une conséquence de l'expérimentation est al hausse des demandes d'orientation en CAP.  Globalement, " la mission n’a pas observé la moindre réflexion conduite par les équipes éducatives sur ce que signifie le niveau, alors que l’on sait que la notation reste assez aléatoire car soumise à une pluralité de variables (caractéristiques scolaires de la classe, mode  de notation par les enseignants, contexte du collège…). Par ailleurs, le lien entre les notes et le projet de l’élève est faiblement interrogé." Le rapport estime cependant qu'il y a " une évolution du regard sur les parents et une prise de conscience de la nécessité de participer à la connaissance du devenir des élèves à l’issue du collège".

 

Une mesure qui leurre les familles ?

 

Si globalement l'expérimentation a été accueillie positivement par les familles, elle a été aussi source d'angoisse devant les responsabilités reportées sur elles ou devant un risque de stigmatisation pour les jeunes passés malgré le conseil de classe. Surtout le rapport souligne la "confusion" entretenue entre l'orientation et l'affectation. " La confusion entre orientation et affectation reste forte, malgré les explications apportées. Elle est significative de la volonté des familles que la décision prise soit réellement suivie d’effet, ne soit pas seulement un exercice formel et démagogique. La mission attire l’attention sur le fait que le consensus relatif entre les équipes éducatives du collège et les parents concernent les seules décisions d’orientation. S’il est remis en cause par l’affectation finale de l’élève, cela pourrait accentuer les déceptions visàvis de l’institution, ravivées par l’accent mis dans l’expérimentation sur la liberté de choix donnée aux familles". Notamment la mission " attire l’attention sur l’affectation des élèves dans les spécialités professionnelles convoitées".

 

Globalement aussi, " le dialogue avec les familles est partout pratiqué, mais reste encore très institutionnel et les collèges de l’expérimentation n’abordent que rarement la question de la « place des familles » dans une réelle visée de coéducation". L'expérimentation n'a pas radicalement changé la donne. Le travail sur l'orientation reste partout à construire.

 

François Jarraud

 

Le rapport

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 22 décembre 2014.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 22/12/2014 à 19:39

    Le dernier mot aux parents est une idée issue des cadres de l’Education Nationale, provenant de l’époque entre 2007 et 2012 où il fallait diminuer à tout prix le redoublement quels que soient les conséquences pour l’avenir de l’élève, pour les tensions dans la société français dues à la désespérance des jeunes et pour la capacité du pays à avoir les diplômés nécessaires pour affronter l’avenir.

    Ce principe était basé sur deux mensonges volontaires  venant de l’intérieur de l’éducation nationale.

    -       Il était prétendu qu’à compétence égale, les jeunes des milieux populaires étaient plus souvent refusés en 2nde générale. C’est faux, ils en font moins la demande. Ils font moins appel quand le conseil de classe refuse une orientation. Aujourd’hui, les commissions d’appel se posent qu’une question : Est-ce que le jeune vu ses acquis et sa motivation a une chance raisonnable de réussir la filière qu’il demande ? En cas de doute, la demande est acceptée.

    -       Il était prétendu que le refus d’une orientation entrainait une désespérance en lycée professionnel. Ce qu’une étude de l’AFEV montrait être faux. Ce que regrettaient les jeunes était de ne pas avoir affectés dans la filière qu’ils souhaitaient. (Un tiers des élèves sont dans ce cas). Le lycée professionnel était considéré comme mieux que le lycée général et beaucoup mieux que le collège.

    Ce qui explique que les concepteurs de la loi ont transformé ce qui devrait être un principe général en une expérimentation. En effet, donner le droit à ceux qui sont dans la spirale de l’échec au collège à cause de leurs fortes lacunes en expression de continuer un an de plus au lycée générale n’a aucun intérêt. Les autres élèves sont aujourd’hui acceptés au lycée général s’ils en font la demande.

    D’autant plus que rien n’est fait pour améliorer l’affectation dans la filière du professionnel (qui est le vrai problème de la fin de 3ème), et les familles concernées ont du mal à comprendre la subtilité entre « orientation » et « affectation » au sens de l’Education Nationale, comme l’explique en langage diplomatique le dernier paragraphe de cet article.

    Le premier paragraphe indique des pressions sur les chefs d’établissement pour mener l’expérimentation. Celles et ceux qui connaissent les coutumes de l’EN, savent que dans ce cas il faut remonter les statistiques et les éléments de langage souhaités par l’inspection générale. Ce qui veut dire pression sur les équipes éducatives pour avoir les « résultats chiffrés attendus dans les décisions du conseil de classe». Cela influe sur les conseils donnés aux familles. Aussi, il est impossible d’en déduire quoi que ce soit de cette expérimentation sur le comportement des parents en fonctionnement stabilisé.

    Je conclus comme François Jarraud  « Les questions de l'éducation à l'orientation, du lien à construire avec les familles les plus éloignées de l'Ecole restent posées. »

    • Viviane Micaud, le 22/12/2014 à 19:50
      Une question sans réponse concerne les élèves dans la spirale de l'échec à cause de leurs lacunes en expression depuis la Quatrième. Combien y-en-a qui ont été admis en Seconde Générale ? Que leur est-il arrivé ? 
      Personnellement, je ne pense pas qu'il soit possible de rattraper des lacunes sur les fondamentaux incrustées depuis 10 ans, en une heure par semaine d'enseignement "personnalisé" par groupe de 17 élèves.
  • JCP67, le 22/12/2014 à 14:19
    Pour parler de "revaloriser la filière professionnelle" et considérer simultanément comme un "progrès" que les élèves s'orientent davantage en filière générale, il faut une bonne dose d'hypocrisie ou de "foutage de gueule" ! Cet article et/ou le rapport dont il rend compte suintent le mépris dans lequel est tenue la filière professionnelle !
  • Franck059, le 22/12/2014 à 09:35
    Les injonctions ministérielles, les décision verticales venant d'en haut n'ont plus d'impact, ou très peu.
    Il faut cesser de vouloir imposer par la grande hiérarchie. L'éducation nationale souffre d'un manque de responsabilisation de ses acteurs de terrains. La hiérarchie n'est pas faite pour imposer (d'ailleurs souvent des idées démagogiques) à ses subalternes un schéma précis de réponses à toutes les situations variées. Son rôle devrait consister à établir de bonnes conditions pour que les acteurs de terrain puissent faire des choix éclairés.
  • Franck059, le 22/12/2014 à 09:35
    Les injonctions ministérielles, les décision verticales venant d'en haut n'ont plus d'impact, ou très peu.
    Il faut cesser de vouloir imposer par la grande hiérarchie. L'éducation nationale souffre d'un manque de responsabilisation de ses acteurs de terrains. La hiérarchie n'est pas faite pour imposer (d'ailleurs souvent des idées démagogiques) à ses subalternes un schéma précis de réponses à toutes les situations variées. Son rôle devrait consister à établir de bonnes conditions pour que les acteurs de terrain puissent faire des choix éclairés.
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