Education prioritaire : La bombe de la nouvelle politique de répartition des moyens 

« Je suis la ministre des 12,3 millions d’écoliers, de collégiens et de lycéens. Je serai tout particulièrement celle, aux côtés des équipes pédagogiques et éducatives, des 20% d’élèves en grande difficulté dès la fin de l’école élémentaire et de tous ceux qui subissent le poids des déterminismes sociaux ». Ce que N. Vallaud-Belkacem a annoncé le 28 novembre, dans son intervention au Salon de l’éducation, est bien révolutionnaire. La ministre entend lier les moyens donnés aux établissements aux difficultés sociales et scolaires de leurs élèves. Dans un système éducatif très inégalitaire, la ministre affirme vouloir s’attaquer aux privilèges pour mieux soutenir l’Education prioritaire et les établissements « sortants de zep ». C’est une vraie bataille que N. Vallaud-Belkacem veut mener.

 

Nous ne les laisserons pas tomber

 

 « L’objectif que je me suis fixée est à la fois extrêmement simple et profondément ambitieux : faire reculer les déterminismes sociaux dans l’école… Notre école exacerbe aujourd’hui les inégalités sociales alors même qu’elle a pour mission d’offrir à tous les mêmes chances de réussite. Comment pourrons-nous construire la République de demain si nous donnons aux jeunes générations l’image d’une société qui, non seulement ne leur donne pas les mêmes chances, mais accroît les désavantages initiaux ? Je veux mobiliser la Nation autour d’une priorité : plus d’égalité pour la jeunesse. Je veux faire de ma politique éducative une politique publique au service de l’égalité et de la solidarité. » S’exprimant au Salon de l’éducation , N Vallaud-Belkacem a affirmé avec force des choix éducatifs clairs et volontaires. En préparation depuis son arrivée rue de Grenelle, ils devraient être détaillés courant décembre. La ministre a saisi l’occasion du Salon de l’Education et des manifestations des écoles et établissements sortis de zep pour annoncer la couleur.

 

« Nous ne les laisserons pas tomber », promet la ministre en parlant des écoles et établissements sortants de zep. « En réformant notre système d'allocation des moyens, nous prendrons désormais en compte les réalités de chaque établissement et mettrons fin aux effets de seuil qui les inquiètent. L'alternative ne sera plus être ou ne pas être en éducation prioritaire. A côté de ces réseaux où nous concentrons 350 millions d'euros supplémentaires, nous veillerons à ce que chaque établissement se voie doté le plus finement et le plus justement possible des moyens adaptés aux freins sociaux constatés ».

 

Une nouvelle répartition des moyens dès janvier

 

Mais la réforme annoncée par N Vallaud-Belkacem est plus globale. « J’ai décidé, à peine arrivée au ministère, de réformer le système de répartition des moyens d’enseignement entre les écoles et établissements scolaires », explique la ministre. « Le système actuel est largement aveugle aux différences de situation économique et sociale des élèves, alors même que l’on sait que les inégalités économiques et sociales sont le premier déterminant de la réussite scolaire. Dès janvier, les écoles, les collèges et les lycées recevront des moyens proportionnés non seulement à la démographie, mais aussi aux difficultés sociales et scolaires de leurs élèves ».

 

Interrogée par le Café pédagogique sur les inégalités entre établissements scolaires, la ministre confirme sa volonté de lutter contre les privilèges. « Vous constatez qu’en effet il y a des établissements où les avantages et les privilèges y compris non calculés comme l’expérience des enseignants se cumule. Et d’autres où les handicaps se cumulent. Il faut que nous rééquilibrions un peu mieux notre dotation aux établissements en fonction de cette réalité. On est en train de la mesurer et de la prendre en considération pas seulement dans el cadre de l’Education prioritaire mais plus généralement dans notre politique publique générale de répartition des moyens. Ca mettra fin aux effets de seuil que craignent els établissements qui sortent de la carte de l’éducation prioritaire ». La ministre devrait annoncer en même temps la nouvelle carte de l’éducation prioritaire et  la nouvelle répartition des moyens.

 

Des réformes pédagogiques liées

 

La ministre a lié des réformes pédagogiques à cet objectif social. « C’est parce que je veux faire de ma politique éducative une politique publique au service de l’égalité que je veux agir enfin sur les programmes et l’évaluation des élèves », a-t-elle déclaré. « Les nouveaux programmes devront répondre à la même exigence. La qualité des programmes est un des déterminants de la qualité des apprentissages et de la réussite des élèves. Les programmes doivent être adaptés aux temps des apprentissages. Les programmes doivent également être adaptés aux évolutions de la société et aux besoins des élèves d’aujourd’hui. C’est pourquoi je souhaite, pour ne prendre qu’un exemple, que tous les collégiens puissent apprendre les langages informatiques ». S’agissant du collège, N Vallaud-Belkacem souligne les objectifs qu’elle attribue à sa réforme. « Son organisation actuelle n’apporte pas les solutions adaptées aux élèves rencontrant des difficultés significatives à l’entrée en 6e. Elle conduit même à l’aggravation de ces difficultés. 12% des élèves ne maîtrisent pas les compétences de base attendues en français en fin de CM2. Ils sont 25% dans ce cas en 3ème. 9% des élèves ne maîtrisent pas les compétences de base attendues en mathématiques en fin de CM2. Ils sont 13% dans ce cas en 3ème. Je ne peux pas l’accepter. C’est l’existence même du collège unique qui est en jeu… Les différenciations pédagogiques doivent être construites dans le cadre d’un tronc commun partagé par tous jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. Le nouveau collège sera ainsi organisé autour d’un tronc commun d’une part, et de pratiques différenciées adaptées aux besoins et permettant la prise en charge spécifique de tous les élèves, notamment de ceux en grande difficulté scolaire, d’autre part ».

 

Un véritable défi lancé aux plus favorisés

 

S’attaquer ainsi aux inégalités à l’intérieur du système éducatif est un véritable défi. Le risque de transférer des moyens peut mobiliser de très nombreux établissements si la communication n’est pas claire. Pire, Vincent Peillon a échoué quand il a tenté de réduire les moyens des CPGE, la filière la plus privilégiée du système éducatif.

 

Alors N Vallaud-Belkacem prend déjà les devants. « L’excellence et la justice ne sont en rien contradictoires. Bien au contraire. Plus la base de ceux qui réussissent est large et diverse, meilleure est l’élite. Encore faut-il que l’accès à cette élite ne soit pas verrouillé par des considérations sociales », dit-elle. Et elle rappelle l’enjeu républicain de sa réforme d’allocation des moyens. « Les chances de réussite pour les élèves défavorisés sont moins grandes en France qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE », affirme-t-elle. « 96% des enfants issus d’un milieu très favorisé réussissent l’examen du diplôme national du brevet quant 75% des enfants issus d’un milieu défavorisé obtiennent ce diplôme. Un enfant d’ouvrier et d’employé a deux fois moins de chances qu’un enfant de cadre d’obtenir un baccalauréat général. Un enfant d’ouvrier et d’employé a deux fois moins de chances qu’un enfant de cadre d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur. Seul un redoublant de CP sur dix aura la chance d’obtenir un baccalauréat général ou technologique, comme si le destin scolaire s’écrivait à l’âge de six ans ». N’en doutons pas. Pour cruels que soient ces chiffres, pour s’attaquer vraiment à cette situation là, il faudra à la ministre du courage, des soutiens et de l’habileté.

 

François Jarraud

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 01 décembre 2014.

Commentaires

  • maria1958, le 09/11/2015 à 10:06
    La com' ministérielle est habile et culpabilisatrice à souhait, mais les faits sont têtus...

    Quand le budget de l'Educ est +/- stationnaire, et que les effectifs à scolariser augmentent, maintenir (ou augmenter un peu) les moyens dans une poignée d'établissements, revient à déshabiller les autres taxés de "favorisés", c'est-à-dire dégrader les conditions d'apprentissage de l'écrasante majorité des élèves - et singulièrement, plomber les chances de réussite des élèves en difficulté, dont la MAJORITE se trouve hors Education Prioritaire...
    Pas sûr que la France améliore ses résultats dans PISA en enfonçant la majorité de ses élèves en difficulté...

    Les trémolos sur l'aide aux plus défavorisés seraient plus crédibles si NVB ne lâchait pas le morceau:  l'objectif visé n'est pas de réduire sérieusement les écarts de réussite, encore moins de faire réussir tous les élèves, mais de dégager, encore et toujours, une "élite", simplement, une élite aux origines sociales un peu plus mixtes.... "Plus la base de ceux qui réussissent est large et diverse, meilleure est l’élite. Encore faut-il que l’accès à cette élite ne soit pas verrouillé par des considérations sociales ".
    On ne peut mieux ripoliner ce qui est, en fait, un renoncement à faire réussir tous les élèves....

    Accessoirement, l'argumentation sociologique est toujours aussi boiteuse: NVB pointe le taux de réussite moindre des fils d'ouvriers et d'employés: " Un enfant d’ouvrier et d’employé a deux fois moins de chances qu’un enfant de cadre d’obtenir un baccalauréat général".
    Mais pour justifier un classement dans la future Education prioritaire, le critère sociologique obstinément utilisé par le Ministère est .... le taux de "défavorisés" au sens INSEE du terme, c'est-à-dire exclusivement les ouvriers, exit les fils d'employés ! Où est la cohérence ??

    Une refonte sérieuse de l'Education prioritaire, c'est pour quand ?

  • Franck059, le 01/12/2014 à 14:19
    Tout cela me paraît être du bon sens, être évident. Mais il s'agit de paroles, en fait de poudre aux yeux. On attend les actes.

    A budget constant, il s'agira sans doute d'habiller Paul en déshabillant Jean. Si tel est le cas, cela ne passera pas dans l'opinion publique qui n'est pas dupe.

    On insiste encore sur le collège unique. Un échec total mais on poursuit. Je crains que ne soient mis en place des pseudo solutions telles que celles imaginées en lycée.

    Il est à craindre aussi un nivellement par le bas : cela ne sera pas accepté par l'opinion publique. J'en suis certain.

    On en est toujours à vouloir faire réussir tout le monde. Alors que chacun ne peut développer que certaines capacités. On n'est pas obligés d'être bons partout. Ce n'est pas parce qu'un élève ne supporte pas le violon qu'il deviendra un bon violoniste grâce à des cours de violon renforcé...

    Pour les bases de l'écriture, de la lecture et du calcul, ce devrait être une priorité absolue à l'école primaire et dans les actes, pas uniquement dans un discours de façade. Ce n'est pas dans un CP à 30 élèves qu'on apprend à lire et écrire correctement. 

    Enfin, c'est bien joli sur le papier de prôner davantage de solidarité alors que paradoxalement s'est développée ces dernières années une hyper individualisation dans l'Education Nationale : faire réussir CHAQUE enfant. 

    Et enfin que l'on finisse par admettre que certains élèves, encouragés dans ce sens par des parents et une institution irresponsables, ne VEULENT PAS travailler. Pourquoi le feraient-ils puisqu'ils évoluent d'un niveau à un niveau "supérieur" chaque année sans ne fournir aucun effort.
    Allez demander à des bosseurs d'aller travailler avec des paresseux ! Il y aura incompatibilité d'humeur !!!



    • eplantier, le 01/12/2014 à 15:46
      Du verbiage, je le crois également.

      Il faut réformer complètement le collège unique pour en faire le collège pour tous.
      En primaire, il faut du bombardement de la langue, avec, au CP, l'imposition des méthodes syllabiques contre les méthodes mixtes qui ont fait la preuve de leur nocivité. Deux dossiers sur lesquels les spécialistes s'entendent, contre des syndicats et autres ayatollahs qui font barrage.

      Il faudra également des années pour remettre sur pieds une formation initiale et continue des professeurs de qualité.

      La situation française, qui voit l'école renforcer les inégalités (!!!), réclame des adaptations de structure, et non des ajustements de moyens, sachant que ces derniers sont en baisse de toutes façons.
      • emapi, le 01/12/2014 à 20:59
        "au CP, l'imposition des méthodes syllabiques contre les méthodes mixtes qui ont fait la preuve de leur nocivité"
        Pitié! Nous n'allons quand même pas revenir à l'époque de Robien et ressusciter les sites internet où il s'agissait de dénoncer les instits aux pratiques honteuses?!

         "Deux dossiers sur lesquels les spécialistes s'entendent, contre des syndicats et autres ayatollahs qui font barrage".

        Il existe d'autres façons de penser, y compris dans la recherche, ne vous en déplaise.  
        Quand allons-nous enfin sortir de ce débat qui a prouvé sa stérilité?
  • delacour, le 01/12/2014 à 10:00
    "Seul un redoublant de CP sur dix aura la chance d’obtenir un baccalauréat général ou technologique, comme si le destin scolaire s’écrivait à l’âge de six ans"

    C'est dire l'importance de l'école élémentaire (celle sensée donnée les éléments pour poursuivre une bonne scolarisation, de bons apprentissages).

    On dispose de statistiques des redoublants, mais on peut imaginer les difficultés de ceux qui passent en CE1 sans savoir lire correctement. Non pas qu'il faille rétablir le redoublement, mais former des maîtres capables, avec une pédagogie ayant fait déjà ses preuves, d'apprendre à lire à tous les élèves de CP.

    Et apprendre à lire ce n'est pas seulement être capable de comprendre un texte, mais aussi de mettre en oeuvre des capacités développées au moment de l'apprentissage de l'écrit au service de la manière d'apprendre, de la façon d'établir une confiance en soi nécessaire pour aborder avec succès beaucoup d'autres découvertes. Rater le départ, c'est assurer de décliner de plus en plus, ce que malheureusement prouvent les statistiques.

    Plutôt que de coller des gommettes sur les trous des connaissances des collégiens, il vaudrait mieux mettre réellement le paquet sur l'école primaire et ne plus accepter que des élèves de CM2 soient déjà en échec scolaire dans des domaines aussi vitaux que la lecture et le calcul. Faire réussir tous les élèves en primaire, voilà le vrai défi..

    • Viviane Micaud, le 01/12/2014 à 10:44
      Il est totalement possible avec des méthodes adaptées de continuer à apprendre les fondamentaux de la lecture au CE1 à ceux qui ne l'ont pas encore acquis, pour diverses raisons qui peuvent ne rien à avoir à faire avec l'école. 
  • Viviane Micaud, le 01/12/2014 à 09:11
    Elle a raison, la compétence structurante sur laquelle s'appuie de nombreuses discriminations jusqu'à la fin de la vie est la maîtrise de la lecture et l'expression orale et écrite. C'est sur cette compétence que ce fait l'élimination du lycée Générale et Technologique, et l'élimination des filières générales. Il faut mettre les moyens pour que tous les enfants de France qui ont des lacunes par rapport à leur niveau dans cet apprentissage, puissent progresser au maximum de leur capacité dans toutes les classes du CP à la 3ème. Dans certains cas, cela suppose des cours de Français en petits groupes différents de ceux de leurs camarades : en particulier pour les très fortes lacunes ou les handicaps cognitifs importants. 
    Les intégristes de l'école inclusive devraient arrêter leur doctrine et penser un peu à ces enfants-là. 
    Je suis partisane d'un collège unique avec un programme comportant des connaissances en nombre limité pour être accessibles au plus grand nombre, et l'apprentissage de la solidarité et de l'auto-organisation pour ceux qui apprennent plus vite. Mais collège unique, ne veut pas dire  cours en classes hétérogènes pour 100% des enseignements. Collège unique veut dire recherche d'équilibre entre : vivre ensemble, progression de tous dans la contrainte des moyens à disposition. Les moyens doivent être adaptés à la population de l'établissement. La ministre a raison.
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