EPS : Rencontre avec le CEDREPS : Redéfinir la « matrice disciplinaire » 

Nous avions rencontré il y a quelques mois le CEDREPS (Collectif d’Étude Disciplinaire pour le Renouvellement de l’Enseignement de l’EPS) pour une série de rencontre autour de son identité, et ses différentes réflexions. Dernièrement, deux groupes ressource de l’AE-EPS (Association pour l’enseignement de l’EPS) ont élaboré des propositions adressées au Conseil Supérieur des Programmes invitant notamment à redéfinir notre « matrice disciplinaire ». Logiquement, nous avons voulu en savoir davantage.

 

Quels regards portez vous sur les programmes actuels et notamment la place laissée à la culture artistique ?

 

Raymond DhellemmesLes programmes actuels correspondent à un cadre d’écriture formalisé autour de notions telles que Objectifs Généraux, Compétences Propres, Méthodologiques, Compétences attendues dans les APSAD, types de connaissances… L’EPS se présente ainsi au travers d’ une addition d’APSAD classifiées et traitées sous le terme de compétences. Sa cohérence serait assurée par un double équilibre ; le premier entre différents types de pratiques le second entre la dimension propre (CP) et la dimension transversale (CM-CS, visées éducatives). Les propositions des différentes compétences dites attendues (4 à 5 niveaux dans 30 APS) constituent selon nous, un facteur d’éclatement de la discipline et perpétuent ainsi une des illusions majeures de l’EPS : on peut tout étudier tout le temps. En ce qui concerne la dimension propre de l’EPS qui serait centrée sur la motricité au sens large, la progressivité en EPS est pensée comme une progressivité dans les niveaux d’habiletés d’une APS. Quant à la dimension transversale, on constate que l’on s’en remet le plus souvent aux vertus éducatives du sport.

 

Nous pensons que ce « curriculum prescrit » est aujourd’hui arrivé au bout d’une logique. (Voir nos articles et nos entretiens précédents de 2013). Il devient de plus en plus hasardeux, de superposer et d’emboiter des ensembles de compétences de signification différente ; de garantir l’illusion d’une « évaluabilité » de tous les effets de l’enseignement ; d’hésiter entre deux logiques, une logique de simple organisation de l’enseignement, une logique de définition précise des compétences à atteindre ; de proposer des progressivités par niveaux de maitrise souvent homomorphe des progressivités proposées dans les formations spécialisées.

Notre collectif est convaincu que les finalités de l’école, les conditions scolaires de pratique, les ressources et les motivations des élèves, l’évolution des pratiques sociales, rendent de plus en plus irréalistes ces options actuelles. Ceci est particulièrement observable au travers de la manière dont la profession s’est emparée de la notion de forme de pratique scolaire que nous avons proposée il y a plusieurs années. En effet, elle met en évidence l’affirmation que les APSA en tant que pratiques sociales majoritairement orientées par la compétition et l’opposition et pris comme objet de connaissance devient, discutable.

 

Notre Collectif (rappel : d’Étude pour le Renouvellement de l’Enseignement de l’EPS), tente de mettre en perspective (sans prétendre à un produit fini, construit, arrêté), les éléments d’une matrice alternative encore balbutiante. Donc, les critiques adressées au programme actuel portent plus sur le devenir de l’EPS qui est mis en perspective que sur des éléments factuels qui nous paraitraient inadaptés. Cela dit, les programmes d’aujourd’hui sont bons parce qu’ils existent et qu’ils représentent le degré d’avancement d’une discipline qui continue de se construire. Ils constituent le produit du travail des enseignants, de la réflexion des organisations professionnelles, de débats et de rapports de force, et de formalisations de l’encadrement. Mais ce programme ne nous paraît pas en l’état, porteur d’une vision renouvelée et contemporaine de l’EPS

 

Pouvez vous nous repréciser les quatre bascules que vous souhaitez proposer ?

 

La première serait de mieux finaliser la formation offerte par l’EPS. Le rôle de l’école et de l’EPS plus particulièrement, est de donner les moyens à chacun d’interroger l’assujettissement possible du corps à des représentations sociales normatives, de se départir des nombreux préjugés et opinions, conditions d’un bon usage de soi, d’accéder à des valeurs fondées sur le respect de soi et d’autrui. Dans ce sens les finalités actuelles doivent être repensées, hiérarchisées. Le nouveau curriculum pourrait missionner les enseignants d’EPS pour opérationnaliser certaines des finalités actuelles (par exemple sur la contribution singulière de l’EPS à une éducation pour la santé).

 

La seconde viserait à mieux caractériser  « ce qui fait culture en EPS ». Nous défendons l’existence d’une culture sociale complexe des pratiques corporelles, et d’une culture scolaire des APSAD « relativement autonome », qui se construit par recours, mais aussi par une mise à distance des cultures de référence. Cette culture cible des adaptations motrices non-usuelles que proposent les pratiques d’APSAD, adaptations les plus singulières, remarquables et intégrables compte tenu du contexte scolaire.

 

La troisième bascule serait de changer de point de vue sur les savoirs de l’EPS, leur statut, leur progressivité. Nous défendons l’option d’un programme organisé et circonscrit aux savoirs les plus significatifs. Nous avons la conviction que ces savoirs sont repérables tant dans les productions professionnelles actuelles que dans un ensemble de publications laissées pour compte par le format des programmes actuels. La notion de projet d’acquisition corporelle appuyé sur un dialogue entre sensibilité et efficacité, devrait offrir un cadre  organisateur déterminant de la cohérence des savoirs.

 

Enfin, la quatrième bascule porterait sur un usage différent de la notion de compétences Nous revendiquons l’utilisation de ce concept de compétence comme moyen d’apprécier dans quelle mesure un objet de savoir est réellement intériorisé par les élèves, mobilisé en situation complexe. La compétence est alors ancrée, du côté de l’efficacité dans une situation comme on peut le voir dans les programmes actuels, mais également du côté d’un savoir ciblé. Ce que nous nommons « forme de pratique scolaire d’une spécialité » constituerait le contexte privilégié dans lequel serait révélé la compétence. Ce contexte doit permettre aux élèves de s’engager dans des formes de socialisation propres ou cohérentes avec le fonds culturel des APSAD

 

Et concernant la question de la place laissée à la culture artistique et sa place dans vos projets ?

 

Poser cette question est essentiel pour éviter les confusions. D’abord quelques mots sur ce qu’est une culture artistique. Par exemple, dans les programmes actuels, les activités physiques artistiques sont associées à la gymnastique sportive semant le trouble dans ce qu’est effectivement une activité artistique. Celle-ci est avant tout une activité de re-questionnement sensible au travers d’une activité corporelle, en rupture avec des « allants de soi » de notre relation au monde. Le corps et ses propriétés, en l’occurrence celles du mouvement, sont considérés ici comme des matériaux plastiques, théâtraux et poétiques. Par les contraintes qu’il se donne à lui même, l’artiste s’engage dans l’acte de création et « s’explique avec le monde ». Toutes les formes, toutes les initiations du mouvement,  toutes les modalités de son déroulement, ainsi que tous lieux pour le présenter sont possibles pourvus qu’ils servent le projet de création de l’auteur.

 

La lenteur, absente du sport, peut par exemple, être l’objet d’un questionnement, d’une exploration, nous renvoyant à l’attente, la vieillesse,  la durée… Les évocations peuvent être multiples. Cette approche, cette liberté du corps n’a pas d’équivalent dans le domaine du sport contraint pour être pratiqué, par un règlement qui légifère les affrontements dans l’espace et dans le temps. Par ailleurs sur le plan éducatif, les élèves sont invités en activité artistique, à représenter, interpréter ce qu’ils ressentent. Ils explorent les registres possibles de leur identité masculine ou féminine et se construisent dans leur singularité. Cela est rendu possible par l’articulation de registres multiples et variés tant au plan moteur qu’affectifs, sensibles ou rationnels, mais aussi par la compréhension des partis-pris artistiques qui structurent les œuvres chorégraphiques, circassiennes abordées.

 

La culture artistique est-elle dévalorisée aujourd’hui ? Quelle place prendrait-elle dans nos projets ?

 

Serge TestevuideD’abord pourquoi une place mieux circonscrite et définie ? Cette culture est essentielle pour qui souhaite accéder à une authentique connaissance sensible des usages du corps. Les savoirs concernant ce champ d’activité sont d’une autre nature et méritent une place spécifique. L’un des axes à privilégier est l’activité de symbolisation dans laquelle les élèves doivent s’immerger pour explorer, éprouver des émotions, des états, des personnages. La principale vertu de cette activité est d'autoriser des voyages identitaires qui en retour nous construisent. Par exemple, si je suis un être tonique, hyper actif, explorer la lenteur, le relâchement, voire l’immobilité m’ouvrira d’autres horizons. Savoir explorer les caractéristiques physiques et psychiques d’un personnage, savoir jouer avec le mouvement pour le détourner du quotidien l’amplifier ou au contraire le réduire, l’accélérer, le ralentir ; rechercher par la répétition un détournement de sens et donner à voir ma vision d’un monde intérieur partagé ou non, sont autant de contenus propres à ce champ d’activité. Plus prosaïquement retenir des séquences gestuelles longues, donner une qualité à un geste simple comme dire « bonjour », être là, présent, conscient du déroulement intégral de son mouvement, et créer une atmosphère de partage par l’imaginaire sont d’autres savoirs spécifiques.

 

Il faut alors donner aujourd’hui une autre place à ce champ d’activité. Aujourd’hui cette place est d’une part insuffisante et d’autre part trop dispersée pour atteindre des objectifs éducatifs on le voit, ambitieux. Ici encore, le ciblage des thèmes et objets d’étude, une progressivité d’exigence dans les transformations envisagées au collège, aux lycées, et la mise en perspective de projets coordonnant plusieurs disciplines deviennent incontournables. Composer, interpréter, réceptionner une œuvre sont autant de thèmes d’étude propices à l’appropriation des savoirs précédents. Les formations initiales et continues en EPS devront mieux prendre en compte les activités de représentation artistique par le corps et permettre aux enseignants de saisir ce qui se joue dans l’articulation du «fonctionnel, de l’émotionnel et de l’imaginaire ». Une série de thèmes comment  autant d’objets de savoirs à organiser dans un programmes renouvelé devraient ainsi être formulés, comme c’est déjà le cas pour l’enseignement de l’enseignement arts-danse. Mais pour cela, il faudrait que l’ensemble de notre matrice aille dans ce sens.

 

Vous invitez en effet à un programme organisé et circonscrit aux savoirs les plus significatifs, c’est à dire ? Quelles conséquences sur les programmes ?

 

Notre perspective est en effet de mieux caractériser ce qui fait culture dans les divers champs d’APSAD, et de choisir des objets culturels de savoir qui paraissent pertinents au regard des conditions scolaires et des objectifs de l’école. Nous proposons de rompre avec tout référent issu des classifications d’APSA, pour structurer un parcours de formation « complet et équilibré » autour des savoirs identifiés, en référence aux étapes du curriculum de l’élève.

 

Le programme EPS actuel ne propose pas d’objets de savoir à enseigner comme tels. Il faut aller dans les interstices des éléments du curriculum pour trouver ces savoirs par exemple dans les formulations de certaines compétences attendues, dans les référentiels. Cela dit, des pans entiers de notre culture professionnelle ont été mis à l’écart. Souvenons nous des propositions du schéma directeur, de l’enquête d’Hébrard sur les programmes lycées (analyser, planifier, réaliser, évaluer, gérer) ; des compétences de groupes d’activités du programme collège des années 96 – 98 qui représentaient en fait des thèmes d’enseignement valables pour des APSAD présentant certaine similitude dans les problèmes adaptatifs à résoudre, des documents « d’accompagnement », de la publication du SNEP suite à un colloque en   « EPS : Ce qui s’enseigne ».

 

L’évolution des conditions concrètes spécifiquement scolaires, des caractéristiques des élèves, ont fini de convaincre bon nombre d’enseignants qu’il fallait effectuer des choix, cibler des savoirs ambitieux et réalistes à la fois. Le choix et l’équilibre des savoirs seront réalisés en tenant compte des quatre déclinaisons (bascules) de la finalité de l’EPS que nous avons proposées précédemment.

 

Pour compléter cette approche de la coordination des savoirs il nous faudra également la repenser autrement que sous l’angle de la progressivité des performances. Par exemple en Gymnastique « utiliser les bras amortisseurs ou/et appuis ou/et percuteurs » ce que Coston Alain nomme « les bras acrobatiques » ; En tennis de table, un objet se savoir pourrait être « la mise à distance en Coup Droit pour donner de la vitesse à la balle pour dominer». Autres exemples : la continuité du déplacement par la gestion des ressources dans les déplacements longs, l’optimisation des rapports fréquence amplitude dans les locomotions terrestres et aquatique de courte durée ; les propriétés d’un espace scénique etc.

 

Nous pensons ainsi que l’EPS peut aujourd’hui dépasser l’opposition aussi formelle que  « culturalisme/ développementalisme ». D’autres principes d’intelligibilité s’offrent à nous, mettant en perspective une culture scolaire de la corporéité (DEVELAY). Celle-ci serait acquise au travers d’objets de savoir appartenant spécifiquement aux APSAD mais également réinvestissables (grâce à l’enseignement qui permet des re-contextualisations). Les propriétés d’un espace scénique ont ainsi des points communs pour diverses pratiques sociales de représentation artistique du corps, à condition que l’enseignant les « fasse vivre aux élèves", ce qui suppose bien entendu une qualification à la hauteur des années d’étude consenties pour devenir enseignant d’EPS.

 

Des conséquences sur les programmes ?

 

Thierry TribalatCe changement de matrice est un chantier que nous mettons en perspective. Il devrait aboutir à un curriculum recomposé en EPS (prendre son temps est impératif). Le programme doit organiser des objets de savoir sous forme de thèmes appartenant à une douzaine de catégories au maximum assez proche des feu « compétences de groupement » des collèges des années 96-98. Chaque thème doit proposer des objets d’enseignement qui puissent être étudiés au travers de diverses APSAD. Ainsi le thème des déplacements replacements entre les frappes en jeux et sports de raquette peut faire l’objet de divers savoirs ; apprécier l’effet de sa frappe (offensive ? défensive ?) ; apprécier la probabilité des trajectoires de retours ; trouver les moyens d’accélérer ou de ralentir l’échange … Mais c’est bien dans une APSAD spécifique que ces objets de savoir seront étudiés par exemple en badminton. Ainsi en escalade le thème de « la reconstruction de la perception de l’alignement vertical» pourrait être traité certes en escalade à des différents niveaux en faisant varier les différentes contraintes du supports, mais également dans une autre APSA comme la gymnastique. Nous serions alors dans une rupture avec la logique de progressivité par niveaux d’habiletés. On enseignera plus les APSA « en soi », ni les compétences du programme actuel.

 

On n’enseignera donc ni le tennis de table « en soi » ni le badminton « en soi », ni les compétences du programme actuel. On enseignera des objets de savoir, des contenus permettant d’outiller les élèves pour qu’ils transforment leur organisation spontanée dans ces spécialités, qu’ils s’adaptent plus rapidement à de futures activités similaires,  pour qu’ils pratiquent avec jubilation et bien être, pour qu’ils observent des compétitions de haut niveau avec un œil exercé.

 

Par niveau scolaire il ne devrait pas y avoir plus de deux spécialités requises par objet d’étude. Une spécialité centrale (d’accroche, par exemple le badminton), visant à contextualiser le contenu d’enseignement, les objets d’étude, et une spécialité permettant des  recontextualisations (par exemple le tennis de table). Bien entendu un tel schéma doit être retravaillé selon les champs de spécialités.

 

Outre des programmes, le curriculum pourrait alors proposer des référentiels permettant d’évaluer dans quelle mesure les élèves ont intériorisé les objets de savoir, en appui sur des situations d’intégration (proche des formes de pratique scolaire) et sur les repères de performance. Les compétences attendues dans telle ou telle APSAD traduiraient donc dans quelle mesure les élèves ont suivi l’enseignement de l’EPS avec profit. Par ailleurs de nombreuses confusions sont à lever. De ce point de vue, il faudra rompre avec la superposition de la notion de performance comme finalisation de la pratique d’une APSAD (côté anthropologique) et performance comme résultat obtenu à une épreuve scolaire d’appréciation des acquisitions (côté didactique). La confusion est permanente depuis la notation en athlétisme avec la table Letessier.

 

Au regard de ces propositions, quelle place laisser aux équipes ?

 

Nous proposons que les équipes pédagogiques prennent la responsabilité du choix d’APSA compte tenu des contextes particuliers, pour enseigner les objets de savoir des programmes sous la forme indiquée précédemment. Nous suggérons même que les équipes EPS d’établissement ou de district, aient le choix entre un certain nombre d’objets d’enseignement adaptés à leur contexte singulier. Ces choix seraient ensuite validés par l’institution. Si l’on veut proposer une EPS équilibrée sur l’ensemble du parcours de l’élève, il semble important d’organiser une vigilance sur  deux points au moins. La première, veillerait à ce que chaque élève vive au cours de sa scolarité « trois mondes différents », celui du sport, celui de l’art, celui de la condition physique. La seconde s’attacherait à  faire vivre un certain nombre de types d’expériences culturelles qui nous paraissent à ce jour significativement différentes, et dont la connaissance est incontournable pour chacun.

 

Nous proposons également d’offrir plus de responsabilité aux équipes dans la façon de gérer les volumes horaires d’enseignement qui pourraient être globalisés, pour proposer à certains moments du cursus, des pratiques massées ou plus distribuées. On permettrait également une distinction plus nette entre le temps de pratique et le temps d’enseignement. Ainsi les élèves peuvent acquérir par l’action (savoirs pratiques), des connaissances sur l’entrainement au cours de séquences d’enseignement avec un nombre réduit d’élèves. Ils peuvent ensuite fréquenter des espaces scolaires d’entrainement autonome sous la responsabilité d’un enseignant. C’est en ce sens qui nous proposerions de laisser plus de liberté/responsabilité aux équipes

 

Un projet de socle vient d’être publié et une consultation a été organisée. Quelles conséquences et quels enjeux concernant le cadre d’écriture des futures programmes EPS ?.

 

L’enjeu du socle est essentiel. Il redéfinit en effet, et probablement pour la première fois, une vision moderne de « l’honnête homme » telle qu’elle a été portée par l’école républicaine depuis près de deux cents ans. Cette vision est restée foncièrement rationnelle et scripturale, n’accordant que peu de place au corps, à la culture artistique, aux disciplines de geste d’une manière générale. L’école aujourd’hui se réforme, s’ouvre sur le monde, et tente, en sortant d’un processus cumulatif d’acquisition des savoirs et de leurs usages qui aujourd’hui s’essoufflent, de dessiner le portrait de l’homme moderne de demain. Le socle stratégiquement doit être porteur de cette nouvelle vision pour stimuler les acteurs de l’école.

 

L’est-il vraiment aujourd’hui ?

 

On ne peut certes, qu’être satisfait de la nouvelle écriture de celui-ci, même si quelques modifications devraient être apportées , notamment, pour ce qui nous concerne, le domaine 1. Ce domaine des langages devrait s’ouvrir à ce que d’aucuns nomment « sémiotricité », c’est-à-dire aux signes et aux significations dont le corps est porteur dans divers contextes : artistiques,  jeux et sports collectifs. Comment ne pas remarquer par exemple, la différence entre la version du CSP de mai 2014 (Boissinot) et celle du 8 juin de la même année ? la disparition dans ce domaine 1 (objectifs de connaissances et de compétences) de la rubrique « langage du corps »  est étonnante. Cette rubrique comportait de nombreuses avancées pour l’EPS, avancées aujourd’hui diluées dans l’ensemble des domaines ou abandonnées. Quels motifs pour cette exclusion ? La domination du rationnel et du scriptural persisterait-t-elle ?

Quant aux domaines  4 (observation et compréhension du monde) et 5 (représentation du monde et activité humaine), leurs dénominations, ambiguës, et leurs contenus, sont parfois mal circonscrits pour ce qui nous concerne. Nous avons depuis quelque temps défendu l’ouverture, dans le cadre de notre discipline, au monde de l’art et de l’entretien physique. Ce sont les savoirs relatifs aux usages du corps en mouvement dans le champ d’une culture corporelle élargie qui deviennent le dénominateur commun au delà de ceux relevant d’activités fondées sur la compétition et la performance sportive.

 

Cela dit, globalement, on ne peut qu’être satisfait de la nouvelle écriture du socle qui a abandonné ses « piliers » même si nous souhaiterions quelques modifications, exprimant l’ouverture pour nos élèves, à des éléments de compréhension et d’intégration à la société d’aujourd’hui indispensables notamment quand il s’agit de s’adonner à une pratique physique.

L’EPS gagnerait en lisibilité et donc en efficacité dans son lien avec le socle ?

 

Oui, quand elle aura rendu explicite les objets de savoirs qu’elle souhaite transmettre dans les divers champs des cultures corporelles. Dans le cas contraire, nous n’avons pas d’inquiétude pour que les enseignants parviennent à tricoter des relations formelles entre leur impact éducatif et les compétences du socle : ils sont rompus à ce genre d’exercice qui consiste à mettre dans des cases nouvelles, des propositions anciennes. Comment éviter cela ? Comment permettre des transformations de pratiques professionnelles apportant de façon plus explicite de l’eau au moulin des domaines du socle ?

 

Au CEDREPS nous savons parfaitement que cela passera d’un côté par des changements de pratiques d’intervention personnelles des enseignants, et d’un autre côté, par des projets d’équipe acceptant de se soumettre à l’évaluation des effets de leurs décisions. Nous avons traité ces divers points dans deux de nos cahiers précédents. Les N° 11 (L’EPS entre innovations et programmes) et 12 (L’EPS entre programmes et innovations). Ce double titre inversé n’est pas le fruit du hasard. Il souhaitait montrer la dialectique entre les changements de pratique et les textes qui encadrent les activités professionnelles, dialectique quel que peu mise à mal ces derniers temps.

 

Pour l’ensemble des disciplines il restera donc à éviter tout lien formel avec le socle. Pour y parvenir, la mise en place des formations nécessaires pour opérationnaliser les domaines du socle et la construction de dispositifs pluridisciplinaires. A quelles conditions évitera-t-on de la sorte, la dilution dans des approches transversales stériles ? La question reste posée et pas seulement à l’EPS.

 

Comment combattre la vision publique d’une EPS qui ne serait « qu’un espace temps » de pratique des sports ?

 

La difficulté est que l’EPS est également quand même, « par nature », un espace temps de pratique. Elle est à la fois une discipline d’enseignement et une discipline de vie scolaire qui « fait pratiquer ». Les deux doivent être distingués pour mieux se coordonner. Notre idée est que le côté discipline d’enseignement doit s’accompagner d’objets de savoir obligatoires, acquis par et dans l’action, et considérés comme indispensables pour devenir le citoyen pratiquant physiquement cultivé et exigeant du point de vue d’une culture des activités physiques, corporelles.

 

Autre difficulté, c’est d’en finir avec plusieurs raisonnements redondants et simplistes, voire mal posés qui ne font plus avancer le débat. Par exemple l’idée que l’EPS n’a pas à être utile. Communiquer une culture des APSAD suffirait « en soi ». Quelle culture alors ? Pourquoi ? Suffit-il de pratiquer pour « savoir » ? Ce présupposé d’apprentissage par imprégnation doit être combattu. Autre exemple : on « enseigne les APSAD et plus récemment : les APSAD sont des « objets d’étude » (Couturier dernier entretien avec le café pédagogique). Oui, mais quoi enseigner d’une APSAD ? « Quel pratiquant lycéen veut-on former » ? Pourquoi ne pas se poser la question des savoirs EPS que le lycéen, LE collégien ne devraient pas ignorer à l’issue de leur  scolarité ? Toutes ces questions ont été travaillées dans le passé. Elles doivent certainement être repensées dans le cadre de principes d’intelligibilité renouvelés.

 

Combattre certaines visions dominantes est une vraie difficulté qui relève d’une responsabilité politique des instances en charge du système éducatif dans sa globalité. Des instances institutionnelles qui gèrent l’EPS également (l’IGEN), mais qui doivent affronter l’obstacle de la lisibilité externe de notre discipline. L’EPS demeure pour les politiques les plus éclairés (voir le rapport Toussaint de 2011), un espace et un temps scolaire des pratiques de sport. « C’est bon parce qu’on bouge et on respire » ! Et si en plus c’est plaisant, que demander d’autre ?

 

Sur ce sujet, la responsabilité des instances professionnelles est également à interpeller dans leur rapport avec le politique. Le SNEP (en même temps syndicat des professionnels du sport), accompagne nécessairement les options majoritaires des enseignants syndiqués. Il ne peut aller à rebrousse poil des convictions de la majorité de ses membres. On sait qu’il offre aujourd’hui une double identité historiquement constituée. Une organisation qui accompagne les enseignants de la discipline, qui assure par exemple une présence dans les instances administratives qui gèrent les carrières. Et une identité d’association d’enseignants spécialistes de la discipline EPS. Il occupe  ainsi un espace laissé libre par l’absence d’autres groupements (y compris universitaires) en charge de la construction de la discipline.

 

Ajoutons que cette double identité a largement contribué historiquement à améliorer le statut éducatif de notre discipline. Elle peut cependant constituer aujourd’hui une difficulté du fait même de ce côté fusionnel. Toucher aux conceptions dominantes qui organisent le métier, c’est un peu toucher aux personnes, nous le comprenons bien. Ainsi souvent, les enseignants EPS superposent-ils la « discipline » à la « profession » dans une approche quelque  peu fusionnelle. Mais le développement de la réflexion au travers du groupe « EPS et société » peut, comme nous l’avons vu dans un passé récent, ouvrir la porte à de saines controverses.  Nous constatons par exemple, au travers de récents propos tenus par C Couturier lors du dernier entretien avec le café pédagogique (novembre 2014), à quel point les propositions du CEDREPS ont été « métabolisées » par le SNEP (rapport aux APSAD, formes de pratique, objets d’enseignement …Etc.…).

 

Enfin, précisons que nous ne prétendons pas détenir une vérité. Nous constatons pour l’instant, que seuls, les enseignants les plus innovants ont fait le choix de transmettre des contenus d’enseignement ciblés, parfois en rupture avec les progressions classiques, rarement en ignorant le cadrage actuel de la discipline vécu cependant comme trop fermé. On ne peut également que constater la difficulté à admettre une « disciplinarisation » ouverte qui incorporerait les approches contemporaines d’une culture corporelle … Autant de raisons pour continuer d’y travailler.

 

Les transformations se feront dans la durée et au travers d’un mouvement enraciné dans des pratiques professionnelles émergeantes puis progressivement dominantes. Encore faut-il savoir dans quel sens aller ! De beaux débats en perspective ! On ne peut que remercier le « café pédagogique » d’en offrir l’opportunité.

 

Propos recueillis par Antoine Maurice

 

Mr Raymond Dhellemmes (membre du Cedreps coordonnateur de l’entretien, IA IPR honoraire) ; Mr Serge Testevuide (responsable du Cedreps, professeur agrégé STAPS de Nantes), Mr Thierry Tribalat (Membre du Cedreps, IA IPR honoraire ).

 

Le site de l’AE-EPS

Le CEDREPS une identité

Que pouvons-nous proposer à l’étude des élèves en EPS ?

Comment s’y prendre pour transformer les élèves ?

« Matrice disciplinaire » vous avez dit : « matrice disciplinaire » !?

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 28 novembre 2014.

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