Comment doit se comporter une maîtresse d’école face à une élève sans repères familiaux ? Où se situe la frontière entre la fonction de pédagogue et le rôle d’éducatrice ? Existe-t-il des situations de détresse justifiant la transgression des règles de conduite inhérentes à l’exercice du métier d’enseignante ? A sa façon, « Cañada Morrisson » de Matias Lucchesi apporte des réponses franches, humaines, pleines de justesse. Le jeune cinéaste argentin nous entraîne dans le sillage aventureux d’une gamine obstinée, en quête d’un père inconnu et confortée dans cette démarche par le soutien indéfectible d’une institutrice solidaire. Pour son premier film, il nous fait traverser grandes plaines et montagnes arides et nous offre un ‘road movie’ sobre et émouvant où les spectateurs perçoivent que les chemins empruntés par l’enfant comptent autant que la découverte de ses origines.

Seule au monde

 L’aube orangée perce de grands nuages sombres, un vent froid souffle et d’immenses montagnes grises accentuent d’emblée la solitude de la petite fille que nous découvrons, occupée à détacher une plaque en cuivre accrochée à un pylône. Non loin de là, un cheval blanc, lourdement chargé. Quelques notes de guitare sèche accompagnent leur arrivée devant de longs baraquements construits à flanc de montagnes. Peu à peu nous comprenons que Lila, 12 ans, est, comme de nombreux enfants de ces régions rurales, interne dans ce pensionnat et totalement ‘ailleurs’ pendant un cours de sciences naturelles. En dépit de l’attention appuyée de son institutrice, elle s’enferme dans le silence et s’isole de plus en plus avec son secret : elle n’a pas connu son père et ne possède comme preuve supposée de l’existence de ce dernier que la plaque en cuivre sur laquelle figure le nom d’une compagnie d’électricité pour laquelle il aurait travaillé.

Portée par le désir obsédant d’aller à la rencontre de ce père, elle tente de fuir l’internat à cheval en pleine nuit.  Une échappée que l’enseignante parvient à contrer sans toutefois convaincre son élève de renoncer à sa quête. La détermination de cette enfant en détresse la conduit alors à s’affranchir de certaines règles ‘éducatives’ et conventions sociales pour nouer une relation de confiance et apporter un soutien matériel et affectif à cette enquête très personnelle. C’est ainsi que nous suivons, de routes cabossées en villages isolées, la jeune Lila et Jiména, la conductrice, toutes deux à bord d’un automobile, à la recherche d’indices concordants, à la rencontre de témoins plus ou moins consentants, sur les traces d’un possible géniteur.

6 heures à cheval pour rejoindre l’école

« Cañada Morrisson » s’ouvre à nous comme un récit initiatique mais aussi comme une histoire d’apprentissage, fortement ancrée dans la réalité de l’Argentine d’aujourd’hui. Pour atteindre les écoles rurales perdues dans les montagnes, certains enfants font 6 heures de trajet à cheval, comme le souligne le jeune cinéaste. En tournant dans la vallée de Traslasierra et les montagnes de Cordoba, Matias Lucchesi, doté d’une solide formation initiale en théâtre et dramaturgie, déjà réalisateur de plusieurs courts métrages, choisit le dénuement des grands espaces, la sècheresse et la sobriété du trait. La simplicité de la mise en scène, les partis pris réalistes laissent toute leur place à la grâce des interprètes féminines : Paula Ganlinelli Hertzog et Paola Barrientos.

A travers ce duo subtil, deux personnes, l’enfant en construction et l’adulte en devenir, l’élève et son enseignante, trouvent leur(s) voie(s) pour appartenir pleinement à la communauté des hommes.

Samra Bonvoisin

« Cañada Morrisson », film de Matias Lucchesi-sortie le 19 novembre

Grand prix Génération Kplus, festival de Berlin 2014