Vers de nouveaux programmes en EPS : Une nouvelle ère pour l'EPS pour le Snep ?  

Nous avions rencontré il y a quelques semaines Christian Couturier, secrétaire national du SNEP, responsable du secteur éducatif, afin d’évoquer l’histoire de la construction des programmes de la discipline. Nous proposons dans cette nouvelle rencontre, les propositions du syndicat autour de la construction de nouveau programme en EPS. Cet entretien est le dernier volet du dossier sur les nouveaux programmes d'EPS

 

Le Conseil supérieur des programmes (CSP) a proposé un projet de socle, les programmes devraient être revus, quels sont les enjeux ?

 

Dans notre précédent entretien, j’ai essayé de rappeler quelques épisodes qui montrent que les programmes actuels sont le fruit d’un processus aux interprétations multiples. Leur architecture (finalité/objectifs généraux/domaines d’action rebaptisés aujourd’hui compétences propres) est dans la filiation d’une conception, pensée il y a maintenant 30 ans, par Claude Pineau, qui était Doyen de l’Inspection Générale au début des années 90(1) . Or depuis 30 ans, l’École, l’enseignement, l’EPS ont beaucoup changé. Les conditions pratiques et matérielles ont changé, les objectifs de l’École ont changé, les élèves ont changé, les connaissances, la culture physique sportive et artistique ont changé…

 

Au moment de la loi dite de refondation de l’École (2012-2013), nous avons souhaité relever le défi d’une rénovation des contenus scolaires. Facile à dire, probablement, moins facile à faire, certainement. Nous avons donc travaillé, collectivement, à bâtir des alternatives, avec la volonté de les mettre en discussion dans la profession. Sans les enseignants, pas de refondation possible. Or depuis quelques années, ils ne sont plus écoutés, encore moins entendus. Ils sont sommés d’être les applicateurs zélés de la bien-pensance d’un microcosme.

Les enjeux de la période à venir sont simples : faire évoluer les programmes d’EPS pour qu’ils servent concrètement l’enseignement et les apprentissages et donnent à l’EPS une certaine sérénité, débarrassée de tous ses discours inutiles et dépassés, comme par exemple celui sur la culture qui ne serait qu’un « support ». C’est un non sens qu’aucune autre discipline ne se permet.

 

Le CSP propose un projet dont nous estimons qu’il permet de voir le socle sous un nouveau jour : Il n’y a plus de « piliers » dont certains sont disciplinaires et d’autres pas ; En conséquence il n’y a plus de hiérarchie entre les disciplines, certaines identifiées comme fondamentales et d’autres comme l’EPS, inexistantes dans le socle Fillon ; Tous les champs de culture sont présents et la culture physique sportive et artistique est enfin reconnue dans ses dimensions essentielles. Elle est présente dans les 5 domaines proposés ; Il n’y a plus de « valse notionnelle » entre compétences, capacités, attitudes, connaissances…

 

Nous avons critiqué l’idée de socle, le principe du socle. Il n’a fait nulle part, ici ou ailleurs, la preuve de sa supériorité comme outil éducatif. Mais il est inscrit dans la loi, nous sommes obligés de le prendre en compte. Et dans ce contexte, il faut mesurer les avancées, même si on peut encore faire mieux.

 

Vous travaillez à des alternatives aux programmes actuels, où en êtes-vous ?

 

Notre première préoccupation est d’impliquer le maximum de monde dans le processus. Rappelons rapidement quelques faits récents : l’écriture d’un « manifeste » qui a été discuté dans toutes les académies puis finalisé à notre congrès national. Plus de 3000 collègues ont participé à ces réflexions. Ensuite une enquête par questionnaire sur les textes officiels. 4000 réponses en un mois et un document envoyé au Ministère, au CSP. Des États Généraux, 120 représentants à Paris en 2013. Un travail approfondi dans quelques APSA, et, aujourd’hui, un colloque. Le tout en rendant compte, en permanence, des productions à la profession (tout est public, dans nos bulletins, sur le site…)

 

Ainsi, nous avons travaillé sur 2 axes : Remodeler les programmes pour réduire la fracture entre les prescriptions et les pratiques ; et travailler, critiquer, mettre à l’épreuve l’identification des savoirs et compétences faisant « culture commune ».

 

Remodelage ? Qu’est-ce que ça veut dire, changement radical ou relooking ?

 

Nous sommes arrivés au bout d’une logique avec les programmes actuels. Il est temps de changer de logiciel comme on dit. Mais nous voulons nous appuyer sur ce qui a constitué depuis 2000 une avancée dans la conception des programmes : le travail autour des « compétences attendues ». L’institution pédagogique reste cramponnée à l’approche que j’ai nommée « quatre quart » dans la précédente rencontre : les « Compétences Propres » sont le nec plus ultra pour aborder les questions de « motricité », et les « Compétences Méthodologiques et Sociales » pour définir « l’éducation physique ». Impasse intellectuelle, scientifique, pratique.

 

Mais ce faisant, le travail sur les « compétences attendues » a été négligé et non évalué dans ses fondements. L’institution ne développe que le versant idéologique, dans une opposition ridicule à une « entrée par les APSA ».

 

Pour les enseignants, sous certaines conditions didactiques, ces compétences  pourraient constituer de véritables repères. Nous avons collecté, au travers des stages et réunions avec les collègues, diverses informations qui nous amènent à repenser le contenu même de ces compétences. D’une part elles sont actuellement le fruit d’un bricolage qui mêle définition de l’activité, dispositif pratique, observables de l’activité de l’élève. D’autre part le découpage en niveaux ne fonctionne pas. Il est formel et, souvent, non adapté, en particulier au découpage temporel. Nous proposons donc à la profession de retravailler en mettant à plat et en séparant

- ce qui de l’ordre du sens de l’APSA, qui détermine le sens de l’activité de l’élève. A quel jeu on joue ? ;

- ce qui est de l’ordre de ce que certains appellent « la forme de pratique scolaire ». Que retient-on à l’École, à tel niveau de scolarité, comme règle du jeu ? Selon les activités et l’âge, l’écart avec les pratiques sociales de référence peut être plus ou moins grand. C’est une pratique empirique que les enseignants mettent en œuvre depuis longtemps (par exemple ça fait longtemps que l’on ne fait plus jouer les élèves à 7 contre 7 en HB en sixième…) ;

- ce qui permet de « voir » comment s’exprime la compétence à la fin du cursus ou curriculum : la « performance scolaire significative » (2)  attendue comme signe des transformations et de la maitrise des différents savoirs mis en jeu ;

- Les savoirs (au sens large), avec une ou plusieurs étapes-clés dans la construction de leur maitrise ;

- Les volumes horaires nécessaires pour accéder à cette culture commune. Aujourd’hui le découpage niveau 1 = 10h, niveau 2 = 20h ne fonctionne pas. Largement insuffisant dans la plupart des cas, il met toutes les APSA à égalité sans tenir compte du développement réel des ressources pour apprendre.

 

Ce travail a déjà largement été fait dans les différentes spécialités, mais, bizarrement, c’est absent de nos programmes. Il faut maintenant rassembler en puisant dans notre patrimoine professionnel et didactique.

 

Le SNEP va-t-il vraiment produire des programmes ?

 

Non, mais nous ouvrons des pistes et nous proposons un cadre de réflexion. Le but n’est pas de remplacer la prescription IG par la prescription SNEP, mais de s’interroger sur la prescription tout court. Or, pour ce faire, livrer un produit fini n’est pas la bonne méthode. C’est la profession qui met en œuvre, les transformations passeront par les pratiques quotidiennes et un débat collectif. Actuellement, c’est ce que nous livrerons au colloque des 20 et 21 Novembre, nous proposons plusieurs pistes et hypothèses de travail.

 

Quelles sont justement vos pistes ?

 

La première hypothèse concerne l’étude des APSA, les finalités, le socle. Nous avions vu que l’histoire de l’EPS est remplie de controverses sur l’identité de la discipline, presque indépendamment d’une interrogation sur l’Ecole, sa fonction, ses missions en tant que service public. Nul doute que ces débats ont eu leur fonction dans la construction de la discipline. Mais on peut aussi se demander si ça n’a pas participé à une forme de fragilisation interne. Nous proposons de stabiliser un certain nombre de choses, en prenant en compte le contexte du moment, en particulier le nouveau socle. En effet les futurs programmes, pour le primaire et le collège en tout cas, ne vont pas s’écrire comme précédemment, de façon plus ou moins autonome. Il y a le socle et il y aura des programmes par cycle. Le cycle 3 par exemple est à cheval sur le primaire et le collège (CM1-CM2-6ème) et le cycle 4 correspond à la 5ème, 4ème, 3ème. Il n’y aura donc pas un programme pour tout le collège, mais deux.

 

Ce contexte nouveau aura ensuite quelques incidences sur l’écriture du programme. En effet, ce qui est de l’ordre des généralités, finalité, objectifs… sera contenu dans le socle et les programmes par cycle : « Elle (la scolarité obligatoire) donne aux élèves la culture commune, fondée sur les connaissances et compétences indispensables, qui leur permettra de s'épanouir personnellement, de développer leur sociabilité, de poursuivre leur formation tout au long de leur vie, quelle que soit la voie choisie, de s'insérer dans la société où ils vivront, et de participer, comme citoyens, à son évolution. Cette culture commune doit devenir une référence centrale pour la Nation, en ce qu’elle définit les finalités de l’éducation dans le monde contemporain et qu’elle a pour exigence que l’école tienne sa promesse pour tous les élèves. » (3) Il sera donc inutile de revenir, dans les programmes, sur ce qui est déjà énoncé. Cela devrait nous éviter des débats totalement ridicules comme en 2008 où, tout en précisant que la présentation des objectifs généraux n’a pas d’ordre, on a fait glisser subrepticement l’objectif sur la santé en première position !

 

L’autre point, plus important à nos yeux, est de préciser la fonction de la discipline EPS, là encore en évitant des contorsions habituelles que personne autour de nous ne comprend. L’École est une institution dédiée à l’étude. On va à l’école pour étudier, c’est sa fonction première, elle a été créée pour cela. Cette notion d’étude a été largement expliquée et développée tant dans le champ didactique (S. Johsua par exemple) que dans le champ des sciences de l’éducation (JY Rochex et groupe Escol). On étudie quoi ? Et bien, pour répondre à l’objectif assigné à l’École de faire acquérir à tous et toutes une culture, on étudie des objets culturels reconnus et sélectionnés par et pour l’École. Chaque discipline est fondée sur un ou plusieurs champs : les mathématiques, l’histoire, les arts plastiques… En EPS ce sont les APSA qui constituent le champ d’étude. Et qu’on ne se méprenne pas, ça ne s’oppose en rien à la question des compétences qui est une question pédagogique : on n’étudie pas une compétence, sauf si on est dans le champ de la recherche en ergonomie par exemple ! La compétence c’est ce qui s’acquiert, entre autres choses, dans le cadre de l’étude justement. On étudie une APSA comme on étudie l’algèbre ou la géométrie. Donc on enseigne une APSA. Là aussi il y a un jeu de discours qui ne mène à rien, car si certains disent : regardez ces culturalistes ils disent n’importe quoi, l’APSA n’est pas un but en soi… Certes, pas plus que le théorème de Thalès n’est un but. Et pourtant, on l’étudie. De plus il est toujours étonnant de voir à quel point ce que l’on n’accepte pas pour certaines APSA, on l’accepte très facilement pour d’autres. Quelques exemples récents : dossier EPS n°80, préfacé par Jean-Pierre Barrué, précédent doyen de l’IG : « Enseigner les activités physiques d’entretien » ; livre coordonné par G. Cogérino « L’EPS face au sensible et à l’artistique » : chaque auteur parle d’enseignement de la danse, des pratiques artistiques etc. Ainsi, on n’enseignerait pas le Handball, mais on enseigne les activités d’entretien, les arts du cirque… artistiques… ?

 

Nous proposons d’arrêter de nous perdre en conjectures qui nous détournent du travail à faire. L’EPS, c’est l’étude des APSA. Et c’est en étudiant ces APSA, que les élèves augmentent leurs pouvoirs d’agir, apprennent penser, à se connaitre et à vivre société, acquièrent les outils pour comprendre le développement de la culture physique sportive et artistique, deviennent des acteurs critiques, etc. C’est donc en étudiant l’APSA que l’élève travaille les 5 domaines du socle. On peut, c’est un débat possible, discuter comme le fait le CEDREPS de l’impossibilité d’étudier « toute » l’APSA dans le temps scolaire. On peut effectivement en discuter, mais ça ne change pas le principe.

 

Justement, si vous évoquez  le socle, qu’en est-il concernant l’approche curriculaire ?

 

En effet, nous questionnons dans notre deuxième hypothèse l’approche curriculaire. Cette notion de curriculum est une idée qui date. John Dewey  (4) au début du siècle précédent a été un des premiers à l’utiliser. Mais elle arrive à la mode aujourd’hui chez nous. Très utilisée chez les sociologues, dans les faits, elle indique surtout l’idée que la formation s’organise dans un cursus continu, dont le découpage en tranches n’est pas forcément approprié. Cela dit, on n’échappe pas au découpage. Aujourd’hui on nous annonce une soi-disant petite révolution avec la rénovation des cycles : nous sommes un peu sceptiques sur le réel pas en avant annoncé !

 

Mais pour ce qui concerne l’EPS, nous avons avancé par rapport à la logique cumulative des textes de 96 (6ème), 97 (5ème et 4ème) et 98 (3ème). En 2006, en réponse à une lettre du Doyen de l’IG pour revisiter les programmes, le SNEP écrit (courrier du 19 octobre 2006) : « Un programme pour le collège, pas par niveau de classe. L'éducation physique, contrairement à d'autres disciplines, se prête mal à un découpage cumulatif. Nous en avons eu l'expérience pour les collèges en 96 et pour les lycées ensuite. Il est plus facile de fixer des compétences attendues en fin de cursus. On pourrait alors n'avoir qu'un seul programme, les équipes ayant à définir les étapes intermédiaires en fonction de leur contexte et de leur choix. ».

 

Cette idée verra le jour en 2008. On parle désormais de programme par niveau d’enseignement : primaire, collège, lycées. C’est devenu évident pour tout le monde.  Mais la tendance au découpage s’est malgré tout insérée dans le dispositif en introduisant 2 niveaux de « compétence ». Niveau 1 et 2 au collège, 3 et 4 au lycée (5 si on rajoute les options). Qu’est-ce que cela apporte ? Un seul niveau de fin de cursus, pour tous et toutes, n’aurait-il pas suffi ? D’autant que pratiquement, tout enseignant en a fait l’expérience, ça ne marche pas : selon les activités, il est concrètement impossible de rapporter un niveau aux volumes horaires proposés (10 h par cycle pour un niveau). Ça ne tient compte ni de l’APSA elle-même (pour certaines, le temps est plus long que d’autres pour arriver à un premier niveau significatif) ; ni du niveau culturel des élèves, ni de leurs ressources. Ça rassure, dans une vision classique du découpage scolaire, mais ça ne fonctionne pas. Certains auteurs ou acteurs de l’EPS ont montré que la construction de la compétence était « spiralaire » et non par cumulation de niveaux qui s’emboitent. Maurice Portes l’a montré dans son approche du Handball, Daniel Bouthier l’a modélisé pour décrire l’activité de la personne aux prises avec les APSA.

 

C’est la raison pour laquelle nous proposons de profiter du moment institutionnel offert par le travail du conseil supérieur des programmes pour penser la logique « curriculaire » et en faire découler l’organisation de la formation. Il faut alors identifier une performance (qui est d’après Perrenoud l’autre facette de la compétence, sa partie visible et actualisée) significative d’un niveau attendu pour tous et toutes. Cette performance doit se réaliser dans une situation complexe identifiée dans l’APSA, qui en préserve à la fois le sens social (anthropologique) et le sens scolaire (ce qui est attendu du point de vue de l’étude). Mais l’identification de la « performance », qui correspond en réalité à ce que l’on appelle aujourd’hui « compétence attendue », ne suffit pas, car on n’identifie pas les savoirs et les ressources mobilisés. C’est la raison pour laquelle nous proposons un nouveau cadre d’écriture.

 

Vous évoquez également un cadre d’écriture nouveau, c’est à dire ?

 

Les prochains programmes (primaires, collèges) ne pourront pas s’écrire avec le même cadre pour au moins une raison : le socle puis les programmes de cycles vont, d’une certaine manière, puiser dans les considérations générales des programmes actuel. Comme nous l’avons dit plus haut, nous faisons l’hypothèse que ça devrait sortir ce qui est de l’ordre des finalités, objectifs, principes de programmation… des programmes strictement disciplinaires.

Nous proposons alors un cadre d’écriture qui permette d’entrer directement sur « la référence centrale pour la nation » (ce que dit le socle) que sont les connaissances et compétences indispensables, que nous nommons, pour utiliser un terme plus surplombant : les savoirs essentiels. Le schéma, à affiner et à confronter à l’exigence concrète de l’écriture, serait alors le suivant :

- Les savoirs « clés » qui permettent, soit de passer un palier dans la compréhension du monde, soit d’accéder à de nouveaux pouvoirs (sportifs, artistiques… pour ce qui nous concerne. Ils peuvent être de différentes natures, technique, tactique, etc.). L’idée principale est ici de mieux identifier les « objets » à étudier, de mieux les exploiter, pour qu’ils fassent « référence » ;

- Les modalités de raisonnement attendues (analyse, comparaison, analogie, modélisation…), les attitudes (engagement, effort, entraide…) dans les différentes phases d’apprentissage (mise en action, construction de sens, essais et erreurs, prise de conscience des problèmes, répétition, etc.). Cette partie prend sens pour les élèves dans un « apprendre à s’entraîner », qui signifie s’inscrire dans un projet de développement, donc de progrès, en rationnalisant de plus en plus, en fonction des âges et des cycles, les méthodes pour atteindre le but fixé ;

- Les expériences essentielles à vivre. Il s’agit ici d’identifier ce que tout le monde doit avoir vécu « comme tranche de vie culturelle globale » au moins une fois dans le cycle concerné dans la discipline d’enseignement concernée. En EPS par exemple on pourrait dire qu’il faut « vivre » certaines situations : produire un « vrai » spectacle devant des spectateurs autres que les membres de la classe, avoir vécu une « vraie » rencontre sportive en équipe, avoir vécu une épreuve en pleine nature, etc ;

- Ce que l’élève doit être capable de mettre en application par l’intégration des connaissances issues de la pratique des APSA. Sous certaines conditions, cela peut revenir à intégrer concrètement dans la discipline concernée, ce que l’on met parfois dans les « éducations à… ». Par exemple en EPS, les répercussions de la nutrition sur les différents types d’effort, la gestion de la récupération par le contrôle de soi, l’éthique sportive… Ceci ouvre bien sûr le travail sur les dimensions pluri et interdisciplinaires.

 

Votre quatrième hypothèse affiche la volonté de lier approfondissement et polyvalence !

 

Nous avons plusieurs fois fait le constat qu’un des maux de l’EPS était son excessive polyvalence. Fruit d’une idéologie dont la fonction était de se démarquer à tout prix du sport, cette polyvalence montre aujourd’hui ses limites : les élèves n’ont plus le temps d’apprendre. En collèges les élèves pratiquent en EPS en moyenne 10 à 14 APSA différentes, au lycée, au moins 6. Le nombre d’années entre 2 cycles d’une même activité peut être important… bref, contrairement à ce qui peut se dire ici ou là, l’éternel débutant n’est pas généré par l’incompétence des profs qui n’insisteraient pas assez sur les « méthodes », mais d’abord par un effet structurel : un saucissonnage exagéré. Dans notre sphère on a toujours essayé d’opposer, idéologie encore, polyvalence et approfondissement. Dans le cadre du collège, mais aussi des lycées, il est possible de concilier les 2 dans le temps scolaire actuel.

 

Pourquoi concilier les deux ?

 

D’abord pour acquérir dans au moins une activité un niveau de compétence suffisant pour pouvoir « jouer avec ses pouvoirs », se faire plaisir, gagner en estime de soi, réutiliser son expertise dans d’autres domaines, etc. toutes choses possibles seulement en atteignant un niveau significatif. Ensuite pour avoir une ouverture culturelle qui est aujourd’hui bloquée par les listes d’APSA. Les listes au collège et dans les lycées sont des compromis, bâtis d’ailleurs on ne sait comment, qu’il faut aujourd’hui dépasser par justement cette combinaison entre développement culturel (dans un nombre limité d’APSA et avec des volumes horaires importants) et ouverture culturelle (ancrage sur le tissu local, découverte de nouvelles activités, etc.). Nous proposons de sortir du carcan actuel : un cycle = 10h = un niveau, qui est formel et ne permet pas la réussite de tous. Le bilan chiffré, notamment sur les notes du BAC avec plus de 13 de moyenne, ne trompe personne dans la profession. Il faut réorganiser l’EPS dans le sens d’un véritable curriculum, en prévoyant ses temps fort (approfondissements), en faisant coïncider l’offre avec l’âge des l’élèves (faut-il faire étudier les mêmes activités à tous les âges ? Est-ce que la gym ne doit pas être réservée à l’enfance et la pré-adolescence ? etc.), et des temps de découverte de nouvelles APSA, y compris sur des horaires massés (stages).

 

Vous évoquez souvent la distance des enseignants avec les programmes. Par conséquent, pensez-vous que cela puisse changer le rapport avec ces derniers ?

 

Dans une certaine mesure oui : il faut trouver les idées qui peuvent réduire l’écart, trop grand aujourd’hui, entre les prescriptions et la réalité de ce qui se fait et peut se faire sur le terrain. Cet écart est dû à deux choses principalement : d’une part à la méthode de construction des programmes qui a reposé, principalement depuis 2008, sur l’idée que la profession ne fait pas très bien son boulot, et qu’il faut la « plier » à une sorte de pensée officielle. D’autre part sur un principe descendant qui consiste à vouloir déduire les contenus d’enseignement des finalités, des objectifs et autres généralités. Dans l’histoire ça a donné la pédagogie par objectifs, et aujourd’hui les dérives de l’approche par compétences dont le LPC est le pire exemple. Ça entraîne la plupart du temps une multiplication, un émiettement de la formation. Il faut sortir de cette logique et en trouver une autre. Ce que nous proposons ne consiste ni à déduire, ni à induire (partir à de la pratique pour remonter…) mais à poser clairement les enjeux (finalités, objectifs, ce qu’il faut atteindre…) qui est une décision « politique » qui ne concerne pas seulement les enseignants, et de voir, après analyse, en quoi l’acquisition des savoirs, des compétences… qui ont un sens culturel dans un contexte donné, participent, contribuent avec leur spécificité et leur originalité aux visées de l’École. Il s’agit d’une rencontre et non d’une subordination des uns aux autres.

 

Mais je voudrais conclure en relativisant un peu. S’intéresser aux programmes et à leur construction, comme nous le faisons actuellement, c’est bien. Mais c’est largement insuffisant. En tout cas, ce ne sont pas les programmes qui transformeront à eux seuls l’enseignement. Ce qui est déterminant, c’est ce que les enseignants en font, comment ils traduisent les prescriptions en ressources pour agir. Et là nous avons trois problèmes qui se cumulent : la formation initiale dont les jeunes sortent en pensant qu’il faut « appliquer » les programmes. Il y a aujourd’hui un hyper formatage dont il faut sortir au risque de réellement « dé-former » les futurs enseignants. Le deuxième problème est celui de la formation continue sans laquelle rien n’est possible. Elle est aujourd’hui gravement déficitaire en ne permettant pas aux enseignants de continuer à réfléchir à leur enseignement. Et quand elle existe, dans beaucoup de cas (mais pas tous), elle sert aussi à formater les enseignants sur la pensée officielle. Enfin, un des éléments les plus problématiques pour l’avenir, c’est l’extrême faiblesse, en volume, de la recherche en didactique (et plus largement sur l’intervention) en STAPS. Même chose dans les ESPE. Il faudrait un engagement volontariste du ministère pour développer ce champ de recherches sans lequel la lutte contre l’échec scolaire ne peut se mener. Nous avions, il y a deux ans, lancé un appel pour développer la recherche en/sur/pour l’éducation. Il faudrait que toutes les disciplines puissent en être convaincues.

 

Enfin, le SNEP ne peut réfléchir aux programmes sans, dans le même temps, que sans équipements sportifs dignes de ce nom, et sans une réduction conséquente du nombre d’élèves par classe, on aura beau avoir les meilleurs programmes du monde, rien de changera véritablement. Trop d’enseignants sont encore aujourd’hui dans des conditions de travail déplorables. 36 élèves, 1h10 (en moyenne) effectives par semaine dans un lycée, comment individualiser le travail ou simplement donner l’envie et le goût d’apprendre…

 

Propos recueillis par Antoine Maurice

 

Notes :

1  Les préoccupations étaient affichées : texte clair et lisible, court, décentré des APSA. Comme aujourd’hui.

2  Pour une définition plus précise, voir l’ensemble du dernier numéro de la revue ContrePied. www.epsetsociete.fr

3  Proposition de socle. CSP 2014, sur le site du ministère.

4  Philosophe américain (1859-1952)

 

Le point du SNEP concernant le socle

Point de vue du SNEP sur les stratégies pédagogiques

Appel pour développer la recherche en/sur/pour l’éducation

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 14 novembre 2014.

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