Réseaux sociaux : Avec @miclick, un jeu d’enfant ? 

Vous arrivez dans une école intergalactique où, nouvel élève, vous vous sentez isolé de vos camarades : pour élargir votre cercle, vous vous inscrivez sur le réseau social en vogue @miclick… Tel est le point de départ d’un jeu sérieux destiné aux enfants de 9 à 12 ans pour les aider à bien utiliser les réseaux sociaux et à en percevoir les risques et limites. 90 % des CM2, rappelle son maître d’œuvre Dominique Pichard, ont un accès à internet à leur domicile, plus de 50% une adresse mail personnelle et plus de 30% un compte Facebook. C’est dire si, par-delà les interdits qui invitent à la transgression, il s’agit plutôt de prévenir, de sensibiliser, d’apprendre les bons usages. Réalisé en équipe dans l’académie d’Orléans, le jeu @mickick est amené à devenir une référence et un précieux outil pour les enseignants et les parents. Parce qu’il fixe comme exigence la responsabilité. Parce qu’il fait le pari de l’éducabilité. Parce qu’il propose de fructueux chemins : le plaisir de la réussite, l’activité raisonnée, l’échange avec les pairs et les adultes.

 

Créer un jeu sérieux autour des réseaux sociaux pour les enfants de moins de 12 ans peut sembler a priori étonnant dans la mesure où il leur est officiellement interdit de s’y inscrire : pourquoi alors le choix d’une telle « cible » ?

 

Il s’agit d’un étonnement légitime. En effet, si je prends l’exemple d’un réseau social bien connu comme Facebook, la limite d'âge est fixée à 13 ans. Cela apparaît être le bon sens car on sait qu’avant cet âge il semble très difficile pour un enfant de prendre du recul par rapport à son environnement, d’avoir un esprit critique sur le monde qui l’entoure et donc d’être vigilant sur les risques liés à l’usage d’un réseau social : le fait d’avoir un discours « libéré » peut avoir de graves conséquences, le risque de faire de mauvaises rencontres (notamment en terme de pédophilie), d’être victime ou auteur de harcèlement…

 

Cependant, il faut être pragmatique, et la réalité sur le terrain, celle que les enseignants vivent au quotidien et que je constate pour être souvent dans les classes, montre que de nombreux élèves d’école élémentaire ont un compte avec un accès aux réseaux sociaux.  Une enquête menée auprès de 1569 élèves de cycle 3 au printemps 2012  par Lionel Tordeux,  inspecteur de l’Education nationale  et expert auprès de la DGESCO, montre que « si 90 % des CM2 ont un accès à internet à leur domicile, plus de la moitié disposent d'une adresse mail personnelle et un tiers possèdent déjà un compte Facebook. » Plus de 34,12% pour les élèves de CM2 et 25,54% pour ceux de CM1 disaient avoir un compte Facebook. Dans le département du Loiret, nous avons demandé,  de manière non scientifique,  à environ un millier d’élèves s’ils utilisaient un compte avec accès à un réseau social. Les résultats étaient identiques, avec parfois plus de la moitié d’une classe déclarant utiliser un réseau social. Il ne suffit pas d’interdire, preuve est faite, malgré l’interdiction les enfants sont aujourd’hui en nombre sur les réseaux sociaux.

 

Peut-on, doit-on rester au constat et ne rien faire ?

 

Pour répondre clairement au choix de cette « cible », j’ai fait le choix de l’intelligence, le pari éducatif de l'éducabilité des moins de 12 ans. Le principe d’éducabilité est une exigence éthique. Je suis convaincu que les élèves seront sensibilisés et adopteront ensuite une attitude responsable sur le web. Je fais confiance aux enseignants, toujours très investis pour faire en sorte que les élèves progressent et je sais pouvoir compter sur leur engagement pour sensibiliser les jeunes à un usage raisonné des réseaux sociaux grâce à @miclik. Il est fort probable qu’à l’âge de l’adolescence  au moment où se développe davantage l’esprit critique et où on transgresse plus fortement les interdits, il sera trop tard.

 

Vous avez choisi de mener cette éducation à internet par un jeu sérieux : quels vous semblent les intérêts d’un tel outil d’apprentissage ?

 

 « Jeu » et « sérieux » semblent être deux mots qui ne sont pas faits pour vivre ensemble ! Le jeu est associé à la notion de plaisir et l’école est associée à la notion d’effort et d’apprentissage. Certes une des missions de l’école est l’apprentissage de l’effort et tout enseignement exige de la part des élèves de la concentration, de la ténacité, de la rigueur, mais rien n’interdit aux enseignants d’avoir recours au jeu quand celui-ci contribue à faire progresser les élèves. On sait que le jeu est l'activité fondamentale de l'enfant. Pour Jean Piaget, le jeu est un moyen d’aborder le monde, il permet au Moi d’assimiler la réalité.  Quand on connaît l’intérêt du jeu pour l’enfant, l’utiliser dans l'enseignement se trouve justifié. @miclik est un « jeu sérieux » interactif destiné à aider les élèves de CM, 6ème, voire de 5ème à utiliser de manière raisonnée les réseaux sociaux et à en percevoir les risques et les limites.

 

Julian Alvarez, Docteur en science de l’information et de la communication, donne la définition suivante du jeu sérieux : « application informatique, dont l'objectif est de combiner à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de manière non exhaustive, l'enseignement, l'apprentissage, la communication, ou encore l'information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game). Une telle association a donc pour but de s'écarter du simple divertissement. » Julian Alvarez interrogé par François Jarraud pour le Café Pédagogique indiquait lui-même : « Dès qu'une dimension interactive est introduite par le biais de la pédagogie active ou l'introduction d'une dimension ludique ou vidéo ludique, les salles ne désemplissent plus et la motivation des apprenants semble au rendez-vous. »

 

Mais ne nous méprenons pas, il ne suffit pas de jouer pour apprendre. Le jeu peut servir de support à l'apprentissage, mais à condition de réunir chez l'apprenant différentes modalités, tels le savoir-faire, le vouloir-faire, le pouvoir-faire... @miclick a cette ambition première de proposer aux enfants de manière ludique un apprentissage des savoir-être et des savoir-vivre dans l’univers virtuel dans lequel ils vont devoir évoluer. Dans cette perspective, le jeu reprend certains principes inspirés des jeux de rôles et des jeux vidéo dans le but d’optimiser auprès des enfants l’aspect ludique des objectifs à atteindre.

 

La question que vous me posez est finalement celle-ci : « Apprend-on mieux en jouant grâce au numérique ? » Je vais m’appuyer sur le contenu de l’excellent livre d’André Tricot et Franck Amadieu « Apprendre avec le numérique, mythes et réalités » (Editions RETZ, octobre 2014), dont je conseille la lecture. Certes le jeu sérieux, et c’est pour cela que nous avons choisi ce mode d’apprentissage, est plus motivant, mais on sait aussi que l’enthousiasme s’estompe avec la familiarisation. André Tricot et Franck Amadieu rappellent  que le rôle central est le scénario pédagogique, sinon on risque d’arriver au constat suivant : « Jouer à un jeu permet d’apprendre…. à jouer à ce jeu ! » J’y reviendrai plus tard, concernant la mise en œuvre d’@miclik dans les classes, mais le groupe de travail que j’ai dirigé (conseillers pédagogiques et conseillers au numérique) a élaboré un guide pédagogique d’accompagnement à destination des enseignants. Il est indissociable du jeu sérieux. Sans ce guide,  le scénario pédagogique risque de ne pas atteindre ses objectifs.

 

L’aspect ludique, l’attirance de l’élève grâce au travail d’infographie, l’interaction de l’élève avec l’outil sont autant d’éléments qui nous ont fait choisir ce type d’outil. C’est le fait de combiner le scénario ludique avec le scénario pédagogique  qui doit permettre aux élèves d’être sensibilisés à un usage raisonné des réseaux sociaux.

 

Comment le jeu est-il globalement conçu ?

 

Le jeu est conçu selon un scénario accessible et motivant pour les enfants de 9-12 ans. Ils incarnent un personnage imaginaire : un avatar dont ils créent le profil.

Ils arrivent dans une école intergalactique où l'avatar, nouvel élève, se sent isolé des autres camarades. Ce dernier apprend l'existence d'un réseau social @miclik, l'occasion ainsi pour lui d'élargir son cercle de connaissances.

 

Les élèves arrivent ainsi dans un aéroport intergalactique, univers graphique attirant et imaginaire qui contextualise le réseau social du futur. Un robot intergalactique lui servira de guide. Différentes missions avec attributions de points lui seront dès lors accessibles pour utiliser de manière raisonnée ce réseau social, passage obligé pour atteindre le grade ultime de commodore de l'école intergalactique. Les décors dès lors sont variés : chambre de l’enfant, photo de classe, monde intergalactique,…

 

Quels sont les divers objectifs et modalités de jeu, pour le joueur et donc pour l’apprenant ?

 

Une succession de 6 missions est à réaliser pour naviguer sur un réseau social en toute sécurité. Celles-ci ne s'effectuent pas forcément en continu et la plupart sont divisées en 3 modules. Les enfants incarnent un personnage imaginaire : un avatar dont ils créent le profil. Ils sont introduits dans un univers graphique qui contextualise visuellement les missions à effectuer. A chaque action, les enfants sont confrontés à un choix de propositions. Un robot intervient alors et leur signifie le degré de pertinence de la réponse qu'ils ont choisie. Simultanément, des points leur sont accordés, les faisant accéder à des « grades » supérieurs. Ces gains permettent d'accroître la motivation des enfants qui peuvent jouer autant de fois qu'ils le veulent et ainsi modifier leur score de réussite. Le choix a été fait de proposer « une évaluation positive ». On obtient des points quand l’action est adaptée. Dans le cas contraire, on ne nous en retire pas.

 

De façon générale, @miclik vise des objectifs relatifs au développement de l’interaction, du raisonnement, d’une attitude de responsabilité vis-à-vis de ces outils interactifs, de l’estime de soi, du respect de l’intégrité des personnes y compris de la sienne, de la connaissance des risques liés à l’usage d’internet, de l’interdiction absolue des atteintes à la personne d’autrui, de l’importance de la règle de droit dans l’organisation sociale (la société dans laquelle les enfants vivent, dont l'internet).

 

Pouvez-vous nous éclairer sur ces différentes missions que le joueur doit réaliser ?

 

Les objectifs se déclinent effectivement en fonction de chaque mission. Dans la mission 1, il s’agit d’apprendre à gérer ses amis. Cette phase incite à la vigilance quant aux demandes d’amis. Il faut notamment s’assurer que la personne fait réellement partie de son environnement proche avant de lui accorder sa confiance. Il s'agit de faire prendre conscience aux enfants que la même prudence est de mise dans la vie virtuelle que dans la vie réelle.

 

Dans la mission 2, il s’agit d’apprendre à publier des photos. Cette activité dans le jeu incite le joueur à n'autoriser l’accès à ses photos qu'à des personnes proches et dignes de confiance. Une photo publiée sur internet, et notamment sur un réseau social, peut être réutilisée sans limite de temps et sans contrôle possible.

 

La mission 3 s’attache à l’objectif « publier, commenter ». Les enfants sont des cibles privilégiées pour les publicitaires. Cette activité a pour but de leur montrer que leur écran peut être envahi par des contenus dont ils ne peuvent plus sortir : les fenêtres prennent le dessus sur le contenu de la page, et les enfants peuvent être influencés par les messages publicitaires.

 

La mission 4 vise à apprendre à interagir. Il est important de ne pas accepter des propos insultants ou déplacés sur son mur. Cependant, il est préférable de s'adresser directement à la personne concernée. Répondre publiquement (sur le mur) présente un risque de mise en avant inutile (effet boule de neige). Des désaccords ou des insultes sur le réseau social risquent de se transposer dans la vie réelle avec des conséquences dommageables. Le recours à un adulte doit être encouragé pour régler ce genre de problème.

 

La mission 5 fixe un but : savoir gérer son profil. De nombreuses sociétés commerciales cherchent à récupérer des informations personnelles sur les réseaux sociaux. Les centres d'intérêt, la géolocalisation, sont pour elles des sources précieuses de renseignements, qu'elles revendent ensuite à d'autres entreprises. Il convient d'en informer spécifiquement les élèves.

 

Enfin, la mission 6 veut apprendre à jouer en toute sécurité. Être vigilant quant aux sollicitations que l’on trouve sur le mur, concernant les applications des jeux proposées. Le fait de cliquer dessus expose à l’envoi de spams, de pop-ups, et de virus qui peuvent au mieux perturber le bon fonctionnement de l’ordinateur et au pire mettre l'enfant sérieusement en danger.

 

Le jeu sérieux @miclik permet ainsi de travailler plus particulièrement les compétences des domaines 2 et 5 du B2i (Brevet Informatique et Internet). C’est à-dire le domaine « Adopter une attitude responsable » : « L’élève sait qu’il a droit au respect de son image et de sa vie privée et à la protection de ses données personnelles. Il respecte les autres dans le cadre de la communication électronique et de la publication en ligne (propos injurieux, diffamatoires, atteinte à la vie privée ou toute autre forme d’atteinte). Il connaît et tient compte des conditions d'inscription à un service en ligne ; il sait quelles informations personnelles il peut communiquer ; il se protège et protège sa vie privée ». Et aussi le domaine « Communiquer, échanger avec les technologies de l’information et de la communication » : « L’élève connaît et applique les règles propres aux différents modes de communication (courrier électronique, message court, contribution à un blog ou à un forum, réseaux sociaux, communication instantanée, etc.) »

 

Comment faire selon vous le meilleur usage possible du jeu @miclick : à l’école et/ou en famille, en autonomie et/ou en groupe … ?

 

L’accès aux réseaux sociaux se fait en dehors de l’Ecole. Pour autant, celle-ci est concernée, elle fait partie de la vraie vie ! Nous avons fait le choix de rendre le dispositif @miclik accessible aux enseignants et aux parents. Dans le dossier, nous avons préféré le terme « d’enfant » à celui « d’élève ». D’abord destiné aux enseignants et à leurs élèves, le dispositif est accessible aux parents et à tout utilisateur du net. Les enfants peuvent y jouer en autonomie et terminer le jeu. A l’école, en famille, en autonomie ou en groupe, le mode d’organisation n’est pas le plus important.

 

Cependant @miclik ne peut atteindre ses objectifs sans une alternance entre les phases de jeu et les phases d'échanges avec un adulte (parent, enseignant…) qui permettra d'en optimiser les enseignements. Cela est primordial. C’est pourquoi, avant de placer les jeunes devant le jeu, il est indispensable pour l’adulte qui accompagne le dispositif de prendre connaissance du dossier pédagogique accessible au bas de la première dans « l’espace enseignant » et de prendre connaissance de « l’aide au jeu.»  Les commentaires du robot sont succincts, il est indispensable que l’enseignant les complète en suscitant des échanges. La mise en place de débats va permettre de prendre conscience et de mettre en mots explicitement les enjeux et les risques inhérents aux réseaux sociaux. Il est important que les enfants connaissent la démarche à suivre, tant sur le plan individuel que vis-à-vis des autres. Il faut les inciter à faire appel à un adulte chaque fois que la situation les dépasse (harcèlement d’un camarade ou d’un enfant par un camarade).

 

Pour chacune des missions, des commentaires expliquent le contexte et les interactions possibles. Parmi les propositions faites au joueur, celle qui est attendue est en gras et soulignée (dans un tableau récapitulatif). Les commentaires en rouge précisent des éléments de contexte, propres à chaque mission, indispensables à connaître pour interpeler les enfants sur les enjeux réels de la dite mission.

 

La loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l'École concrétise l’engagement de faire de la jeunesse et de l’éducation la priorité de la Nation. @miclik est une des pierres de l’édifice.  Ce jeu sérieux est un dispositif qui entre parfaitement dans le cadre des conseils école/collège et de la mise en place du nouveau cycle 3, cycle de consolidation, en cours moyen première année, cours moyen deuxième année d'école élémentaire et en classe de sixième, au collège.

 

Concrètement, comment le jeu a-t-il été conçu et fabriqué ?

 

L’idée a germé à Ludovia en 2012 (grâce notamment à Olivier Rampnoux, auteur avec Julian Alvarez de la définition de Jeu sérieux sur Wikipedia). Je suis inspecteur de l’Education en charge d’une circonscription et responsable de la mission TICE dans le département du Loiret. Un inspecteur est fait pour inspecter, mais clairement le rôle essentiel de l’Inspecteur du 1er degré doit être la pédagogie. C’est là le cœur du métier. Si on veut améliorer les résultats de nos élèves, il faut aider les enseignants dans leurs pratiques, les conseiller, les former… Ils en sont demandeurs.

 

Je veux insister sur un élément déterminant. J’ai d’abord présenté mon projet à Monsieur Denis Toupry, l’IA-DASEN du Loiret. Celui-ci m’a accordé toute sa confiance et permis de réunir régulièrement durant deux ans, un groupe de 8 personnes : des conseillers pédagogiques et des conseillers au numérique. Sans ce soutien, @miclik ne serait pas né. J’ai donc dirigé ce groupe durant deux années. Il s’agit d’un travail immense car nous sommes partis d’une feuille blanche et tout est « fabrication maison ». Outre, les rencontres mensuelles, chacun a consacré un temps personnel très important. La motivation et les compétences diverses de chacun ont été les moteurs essentiels. Il se trouve aussi que deux conseillers au numérique du groupe ont des compétences spécifiques, l’un en programmation, l’autre en infographie. Il y a la partie visible de l’iceberg et la partie immergée, mais tous les éléments de cette réalisation sont indispensables, indissociables, et l’un n’a pas d’existence sans l’autre. Cette réalisation s’est faite sans aucun financement spécifique, mais le temps de travail des personnes du groupe, les frais de déplacements sont des éléments qui ont toutefois un coût pour l’Education nationale.

 

Comme tout dispositif, celui-ci est perfectible. Il pourra être critiqué, amélioré… Il faut rester humble, mais nous avons un mérite : celui d’avoir tenté de trouver une solution éducative à la problématique grandissante de l'utilisation des réseaux sociaux par des enfants de plus en plus jeunes.

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Le jeu @amiclick en ligne

Notice du jeu pour les enseignants

 

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 13 novembre 2014.

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