Personnels de direction et parents : Le grand écart 

Menacés et insultés par des parents, les personnels de direction considèrent très négativement leur place et leur rôle dans les établissements scolaires. Près d'un chef d'établissement sur trois leur dénie même un rôle éducatif positif envers leurs enfants, surtout quand les parents sont de milieu modeste. Voilà quelques enseignements de l'étude que publie Georges Fotinos à partir d'une enquête représentative auprès des personnels de direction. Les parents des milieux populaires s'éloignent-ils vraiment de l'Ecole ? Ou les personnels de direction ont-ils du mal à accepter la démocratisation de l'Ecole ?

 

Réalisée avec le soutien du Snpden, le principal syndicat des personnels de direction, cette enquête a touché près de 14% des chefs d'établissement ce qui lui donne une sérieuse représentativité. Elle est publiée avec le soutien de la Casden. Ses grandes lignes avaient été révélées en janvier 2014 par le Café pédagogique suite à l'audition de Georges Fotinos devant une commission de l'Assemblée nationale. La publication de l'enquête entière apporte de nouvelles précisions qui prennent aussi sens dans le climat général de l'Ecole.

 

Agressions et dénis

 

L'enquête montre d'abord que els personnels de direction sont victimes de façon assez fréquente d'agressions de la part de parents. Disons tout de suite qu'il s'agit très rarement d'agressions physiques : seuls 18 cas sont signalés dans l'enquête. Par contre 73% des chefs d'établissement signalent des différends avec des parents. Les punitions et le comportement de l'élève sont le plus souvent à l'origine de ces différends. Trois personnels de direction sur 10 déclarent avoir été insultés dans l'année par des parents. Quatre sur dix ont été menacés et un sur deux déclare être harcelé par des parents. Les taux les plus importants ont lieu en collège zep : un sur deux y a été menacé.

 

A cette violence des parents, les personnels de direction répondent par une violence symbolique à l'encontre des parents. Deux personnels de direction sur trois jugent les représentants des parents non représentatifs. Ce taux monte à 81% en lycée professionnel. 42% estiment que ces représentants ne s'occupent que de leurs enfant et 37% qu'ils ne jouent pas leur rôle de relation envers les parents. Là aussi le taux est plus important en L. P. (71%) et en collège zep.

 

Les parents s'éloignent-ils de l'Ecole républicaine ?

 

Mais il y a pire. Un chef d'établissement sur trois juge que la majorité des parents de son établissement n'inculquent pas les valeurs républicaines à leurs enfants. C'est vrai pour 40% des principaux de collège zep. Cette opinion est majoritaire (53%) chez les proviseurs de lycée professionnel. Une majorité de chefs d'établissement estiment aussi que les parents critiquent les contenus des enseignements, mais cette fois ci cela concerne les lycées polyvalents. " Ces résultats sont le signe d’une défiance si ce n’est d’une méfiance envers les parents construite ici sur les reproches de ne plus être le relais de la transmission des valeurs collectives du « vivre ensemble » et du sens de la laïcité dans une  « Ecole libératrice »" écrit G Fotinos. "Si cette évolution se confirmait, elle serait en capacité de fragiliser fortement notre école et d’amplifier un délitement des liens sociaux, des modes de relation qui trouvent (encore) et en grande partie leurs sources et leur solidité dans notre système éducatif. En un mot, le contrat républicain de l’école avec les parents serait en voie d’être rompu."

 

G Fotinos relève aussi le lien entre la position sociale des parents et le jugement des personnels de direction (perdir). " La caractéristique « socio-économique » des établissements est en très forte correspondance avec les opinions et pratiques des Perdir sur les parents", écrit G Fotinos. "De fait, cette étude fait apparaître une véritable hiérarchie de jugement selon ce critère. C’est ainsi que « la faute des familles » dans la dégradation des relations avec les enseignants est forte pour les Perdir exerçant hors Zep et faible pour ceux exerçant en Zep.  De même, l’enseignement familial du  respect des valeurs de l’école républicaine aux enfants est nettement plus indiqué par les Perdir exerçant dans des établissement où la population de parents est « favorisée » que pour ceux exerçant en milieu PCS « défavorisée ». Enfin, ce sont les parents de LP (et dans une moindre mesure des collèges Zep) qui concentrent le plus d’opinions négatives sur leur participation à la vie de l’établissement, au suivi de la scolarité de leurs enfants, au respect des valeurs de l’école républicaine".

 

Pour G Fotinos, "nous sommes ici peut-être face à l’enseignement majeur de cette étude. Les classes populaires se détachent de plus en plus de l’Ecole de la république. Le fossé paraît s’être considérablement élargi depuis quelques années". Mais cette affirmation ne repose que sur le seul sentiment des personnels de direction. Interrogé par le Café pédagogique, G Fotinos estime qu'elle est confirmée par une série de faits comme le succès de la Journée du retrait de l'école ou quelques faits divers.

 

C'est aussi ce que pense Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden. Interrogé par le Café pédagogique il estime que G Fotinos "objective des choses que l'on sent à l'ouvre dans l'Ecole. Cette défiance envers l'Ecole est bien normale suite à la montée des inégalités dans le système éducatif. C'est un vrai problème et on le dit depuis des années au Snpden. Maintenant l'idée de la ségrégation scolaire s'est popularisée et cela contribue à la montée de la défiance".

 

Ce n'est évidemment pas l'avis des parents. Pour Paul Raoult, président de la Fcpe, "c'est l'avis des chefs d'établissement ce n'est pas la réalité. Ca n'engage qu'eux. On n'a aucun élément pour le savoir. De quelles valeurs parlent-ils ? Par contre il y a bien des affrontements de valeurs culturelles entre certains milieux populaires et l'Ecole. Mais ce n'est pas grave si les uns et les autres comprennent qu'ils oeuvrent dans le même sens. Quant à la représentativité des élus des parents, si les personnels de direction veulent dire que peu de personnes votent et donc qu'il y a peu de représentativité,  c'est vrai par exemple en L.P. Mais la responsabilité en revient en partie aux chefs d'établissement". Par contre P Raoult dénie le fait que les élus  ne défendent que leur intérêt personnel car la fédération forme les parents élus.

 

Que faire ?

 

Pour G Fotinos il faut bien sur former les enseignants à travailler les relations avec les parents. On trouvera d'ailleurs à la fin de l'ouvrage des conseils très concrets du psychiatre JM Horenstein pour gérer mieux les rencontres avec les parents. Mais G Fotinos avance des idées plus originales comme la création d'instances consultatives de sparents dotées d'un droit d'autosaisine pour désamorcer les conflits. Il rappelle aussi l'engagement de création d'un statut de parent délégué. Il préconise aussi la publication d'un tableau des sanctions dans l'établissement afin de faire toute la transparence utile sur cette question.

 

P Tournier insiste sur les responsabilités gouvernementales. "Il faut que les pouvoirs publics s'emparent vraiment de cette question. Sur le voile par exemple, on est consterné de voir que sur un sujet de cette importance les ministres donnent leur avis avec légèreté. Puis aucun élément solide ne vient aider les personnels de direction. Il faut que les ministres assument leur position avec des texte solides", nous a-t-il dit.

 

Pour Paul Raoult, " sans les parents les enfants ne peuvent pas réussir à l'école. Il est donc important que les parents y entrent". Pour lui ça passe par l'arrêt des devoirs à la maison et par des rencontres. "Il faut que les écoles soient ouvertes hors temps scolaire aux parents avec des activités. Que les parents aient l'habitude d'entrer à l'école. Que les enseignants expliquent ce qu'ils font et ce qu'ils attendent des parents". Enfin il pose la question du pouvoir. "Aujourd'hui les parents n'ont aucun pouvoir dans l'Ecole. Il faut donner plus de pouvoir aux représentants des parents et qu'ils aient le temps de faire ce qu'ils ont à faire. On attend toujours le statut de délégué". Il avait été promis par F. Hollande en avril 2012.

 

Dans un court texte qui cloture le livre de G Fotinois, J Vauloup fait 10 propositions anti frustations qui permettraient d'améliorer el climat dans les établissements. Par exemple ouvrir davantage les conseils de classe aux parents et demander aux chefs d'établissement d'en faire le compte rendu. Il relève aussi des paradoxes savoureux (ou amers !) dans la façon dont l'Ecole traite parents et élèves qui contribuent aussi à creuser el fossé. Nous vous laissons les découvrir (page 172).

 

François Jarraud

 

 

L'enquête

Le grand fossé entre l'Ecole et les parents

Etude au primaire

 

 

Par fjarraud , le mardi 04 novembre 2014.

Commentaires

  • Franck059, le 04/11/2014 à 13:13
    "Il faut que les écoles soient ouvertes hors temps scolaire aux parents avec des activités. Que les parents aient l'habitude d'entrer à l'école (...) Enfin il pose la question du pouvoir. Aujourd'hui les parents n'ont aucun pouvoir dans l'Ecole. Il faut donner plus de pouvoir aux représentants des parents et qu'ils aient le temps de faire ce qu'ils ont à faire."

    Cela fait froid dans le dos...

  • Bernard Girard, le 04/11/2014 à 12:14
    Une étude portant sur 14% des chefs d'établissements peut-elle réellement être qualifiée de "représentative" ? 

    "Les personnels de direction sont victimes de façon assez fréquente d'agressions ..." : mais on relève au final 18 cas d'agression physique... sur 9000 établissements secondaires publics. 

    Comme on en avait déjà fait l'observation pour une étude comparable portant sur le primaire, les statistiques, ça sert à tout, à condition de savoir s'en servir.
    • fjarraud, le 04/11/2014 à 17:55
      bonjour Oui avec 14% cette étude est techniquement représentative. Pour la plupart des sondages en France on se contente de beaucoup moins de 1% Par ailleurs le livre contient l'appareil critique. Enfin sur "agressions" vous jouez sur les mots. Ce n'est pas bien. Cordialement
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