C'était le thème de la conférence d'ouverture des journées de l'APMEP le 18 octobre à Toulouse. Selon S Dehaène, les recherches actuelles en neurosciences permettent de démontrer que nous sommes tous doués en maths. De quoi répondre à tous ceux qui pensent que « les maths ne sont pas faites pour eux » ?
Stanislas Dehaene est chercheur en psychologie cognitive. Guidé par sa passion pour les mathématiques (il a étudié cette discipline à l'ENS) il étudie notamment les bases cérébrales de l'arithmétique et de la numération en utilisant les techniques d'imagerie cérébrale. Il est d'ailleurs l'auteur de « La Bosse des maths » paru en 1996 chez Odile Jacob. L'APMEP l'a convié à venir expliquer ses découvertes lors des journées annuelles.
Une représentation du nombre innée
Plusieurs expériences ont permis de montrer qu'il existe une prédisposition précoce pour le nombre. L'une de ces expériences a été menée sur des nourrissons vieux de seulement quelques heures : on leur fait écouter un certain nombre de sons identiques (4 pour un groupe, 12 pour un autre). On leur montre ensuite des images avec des points colorés. On observe alors une attention plus forte (en terme de temps) lorsque le nombre de points sur l'image est congruent avec le nombre de sons entendus. Autrement dit, les nourrissons « reconnaissent » le nombre de points. Il n'y a pas de discrimination fine, les nouveaux-nés seraient incapables de faire la différence entre 4 et 5, mais la notion de nombre est tout de même déjà présente.
Une autre expérience menée cette fois sur des bébés de quelques mois a permis de montrer qu'il existe également une intuition arithmétique : les bébés ont une idée de ce qu'est une addition ! Plus généralement, les recherches en neuroscience ont mis en évidence l'existence d'une zone dans le cerveau donc l'activation est liée à l'activité mathématique : c'est la bosse des maths. Et tout le monde l'a !
Des symboles pour permettre l'automatisation
Pour Stanislas Dehaene il y a trois étapes dans l'élaboration d'une activité mathématique : d'abord des représentations intuitives qui existent aussi chez les animaux, ensuite l'humain y attache des symboles, c'est ce qui va lui permettre de progresser, enfin il accède à l'automatisation. Ainsi, l'éducation amène un changement des zones d'activation dans le cerveau : une activité qui demande un effort à un jeune enfant, comme calculer 2 + 8, active le cortex préfrontal. Après automatisation, cette opération n'activera plus que la zone du sillon intra-pariétal associée au mathématiques. Il est alors possible d'utiliser le cortex préfrontal, la zone de l'effort, pour d'autres tâches.
Et chez les mathématiciens professionnels ?
Une autre expérience : on présente à des adultes des propositions et on observe grâce à un IRM l'activité de leur cerveau. On observe ainsi que la réflexion mathématique n'active pas les mêmes zones que d'autres types de réflexions (on a présenté des phrases du type « est-ce que Leonard De Vinci a pu rencontrer Machiavel ? »). En revanche il n'y a que très peu de différences entre les zones activées par différents domaines mathématiques. Il y a donc bien une activité cognitive spécifique aux mathématiques.
Quelle est la différence alors entre un mathématicien professionnel et un adulte lambda ? Et bien le premier a plus automatisé, il peut donc utiliser sa « bosse des maths » pour réfléchir aux propositions mathématiques. Il a pour ainsi dire recyclé le réseau des nombres et de l'arithmétique pour le consacrer à la réflexion mathématiques. C'est la pratique intensive qui le lui a permis, et non un don.
Des coordonnées géométriques inscrites dans le cerveau
Les recherches ne sont pas encore aussi avancées sur les questions de géométrie mais il semble qu'un système de coordonnées géométriques fasse partie intégrante de nos réseaux neuronaux. Il s'agirait d'un repère constitué de triangles équilatéraux qui nous permettrait de nous déplacer dans l'espace. D'ailleurs, en terme d'évolution, le sens de l'espace est bien plus ancien que le sens du nombre : tous les animaux qui se déplacent en ont besoin. Une expérience sur des fourmis du désert a permit de montrer qu'elles disposent d'un système d'intégration de leur trajet, une sorte de GPS intégré ! En effet si la fourmi se déplace de façon aléatoire pour chercher sa nourriture, elle rentre ensuite directement à son nid quand elle a trouvé quelque chose d'intéressant à ramener. Autrement dit elle suit un vecteur. Elle a donc « connaissance » d'un sens, d'une direction et d'une norme. D'ailleurs si on augmente la taille des pattes de la fourmis (en la mettant sur de petites échasses par exemple, et ce n'est pas une blague) elle va dans la bonne direction mais dépasse son nid : la norme est connue en fonction d'un nombre de pas. Autre découverte, une expérience effectuée sur un peuple qui n'a pas développé de géométrie (les Mundurucus) a permis de montrer que la géométrie euclidienne n'est pas une « géométrie naturelle ». Les Mundurucus utilisent la géométrie euclidienne instinctivement bien sur, mais si la situation s'y prête, ils peuvent aussi construire un modèle mental faisant intervenir une géométrie sphérique.
Les hommes pas plus doués que les femmes
La question qui fâche a été posé à Stanislas Dehaene à la fin de la conférence : est-ce que les recherches montrent une différence cérébrale dans l'activité mathématique entre les hommes et les femmes. Sa réponse a été très simple: il n'a pas connaissance de recherche ayant montré une différence. En revanche le poids de l'éducation est très fort sur l'évolution du cerveau au cours de la vie. Et pour lui, si différence il y a, elle est très probablement due à l'éducation et aux stéréotypes qu'elle véhicule. Une idée résumée par une phrase qui lui a valu de chaleureux applaudissements de tout l'amphithéâtre : « l'influence de l'éducation dépasse le biologique ».
Laure Etevez
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