Le "scandale des exclusions de cours" 

"Les exclusions abusives de cours sont un véritable fléau, une face noire de l'éducation nationale, une des causes importantes de perte des heures d'enseignement dues aux élèves" écrit l'inspecteur général Didier Bargas dans Administration & Éducation. Il estime leur nombre à 100 à 500 par an en collège, 500 à 1000 en lycée. Et autant d'heures de classes perdues. Voire plus car il n'est pas rare que l'exclu saisisse l'occasion pour disparaitre une demi-journée. D Bargas pointe alors le risque de décrochage et d'échec scolaire.

 

En principe les exclusions de cours devraient être très rares. Une circulaire de 2000 rappelle qu'elle n'est justifiée que "par un manquement grave" et qu'elle doit demeurer "exceptionnelle". Une nouvelle circulaire de 2011 revient sur ce caractère "exceptionnel" pour exiger "une prise en charge de l'élève". Elle inscrit pour la première fois ces exclusions dans la liste officielle des punitions scolaires.  Malgré cette tentative de domestication, les exclusion de cours restent en fait gérées par 'usage fort variable selon les établissements.

 

Et malgré leur caractère "exceptionnel" régulièrement rappelé elles sont banales. Une étude réalisée par Agnès Grimault-Leprince publiée en 2007 portant sur près de 3000 élèves montre une très grande diversité des pratiques. "On observe dix fois plus d’exclusions par élève pour le collège zone violence que pour le collège favorisé", écrit-elle. La diversité est également dans les motifs. L'agitation vient en tête (environ 4 cas sur 10). Mais on trouve aussi des faits beaucoup moins graves voire sans rapport avec la gêne d ela classe :  l'absence de matériel (un cas sur 10) ou le bavardage (1 sur dix aussi). L'étude  de Grimault-Leprince montre aussi l'inégalité sociale devant la sanction : "la catégorie socioprofessionnelle du père (notée par le CPE suivant les déclarations de l’élève exclu) a également un effet net significatif sur l’exclusion de cours. Les élèves de milieu défavorisé ont en effet une probabilité 2,4 fois supérieure d’être récidivistes, toutes choses égales par ailleurs".

 

D'autres repérages d'établissement permettent d'en donner la géographie et le temps. L'exclusion a lieu davantage en 4ème qu'en 6ème ou en 3ème. Elle porte plutôt sur la 3ème heure de la matinée ou la seconde de l'après midi; davantage en hiver qu'au printemps.

 

Les stratégies des établissements sont aussi variables. En principe il devrait y avoir "un dispsitif connu de tous". En réalité il y a des usages. Un repérage dans les collèges de la région de Provins (77) montre que quand c'est le principal adjoint qui vient chercher l'élève en classe, le nombre d'exclusions est plus faible. Une autre stratégie qui réduit les exclusions consiste à obliger l'élève à téléphoner à sa famille.

 

Au final la question des exclusions de cours est assez révélatrice du système éducatif. Au sommet on lance des injonctions vers la base avec l'intention de culpabiliser davantage que responsabiliser. Et elles sont inefficaces. Les circulaires pleuvent sans effet notable. Par conséquent c'est au terrain de se débrouiller. Les principaux mouillent al chemise (et leurs chaussettes ) et engagent leur autorité dans un combat perdu d'avance. Parce que la logique du système veut que la question retombe au final sur les CPE. La séparation entre vie scolaire / éducation et professeurs / instruction joue à plein. C'est ce qui explique qu'une bonne partie des exclus sont des récidivistes. Le professeur de français ignore ce que vient de décider le professeur de maths. Et personne ne s'intéresse vraiment aux effets sur les apprentissages. C'est pourtant pour les récidivistes qu'un vrai problème se pose.

 

La question des exclusions de cours a beaucoup à voir avec d'autres questions soulevées en ce moment, comme le redoublement par exemple. On peut toujours constater les dégâts qui sont bien réels. On peut faire des circulaires et aborder la chose administrativement. On peut crier à l'abus ou au scandale et prendre la question sous l'angle moral. C'est en pure perte. Pour une bonne raison : l'exclusion de cours, si elle est néfaste pour la scolarité de l'élève, a son utilité dans le système tel qu'il est. Elle y a sa source et y est utile. Plus que de circulaires c'est de réponses dont ont besoin les enseignants. Qui s'y colle ?

 

François Jarraud

 

Etude Grimault Leprince

 

 

Par fjarraud , le jeudi 23 octobre 2014.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 23/10/2014 à 16:43
    Ce n'est pas "les exclusions" qui sont un fléau, mais l'absence de soutien des enseignants pour faire appliquer les règles nécessaires à la vie dans la collectivité dans la classe. La France est  le pays où on perd le plus de temps à faire de la discipline, le pays où les enfants se plaignent le plus du manque de discipline dans la classe. 
    Non, les enseignants n'excluent pas sans raison. Dans ceux qui ont oublié le matériel, c'est parfois la 5ème fois en une semaine et c'est un moyen de tester l'enseignant. 
    Ce n'est pas une heure de cour de perdue par un élève qui n'écoute pas qui va le plonger dans la difficulté scolaire. Cette accusation montre une méconnaissance des mécanismes d'apprentissages. Un enfant qui veut pas apprendre n'apprendra pas. La seule conséquence d'une interdiction de le sortir de classe est que les autres n'apprendront pas non plus.
    Les exclusions sont un moyen qui rend capable un établissement de maîtriser l'application de la règle. C'est un moyen pour l'enseignant de faire une gestion de classe efficace. 
    Il y a quelques cas où ce n'était pas la meilleure solution. Dans ce cas, il faut que le chef d'établissement donne raison à l'enseignant devant les enfants et qu'un collègue discute avec ce dernier pour qu'il expérimente d'autres méthodes pour gérer la classe.
    C'est le boulot du CPE de gérer les élèves exclus de la salle de classe. Il faut que l'éducation nationale lui donne les moyens nécessaires.
     En résumé, l'affirmation "Les exclusions sont un fléau" est des "mensonges volontaires" de l'éducation nationale qui permet aux pontes des services centraux de ne pas régler les problèmes et d'accuser à tort les enseignants. 
    Il faut que les moyens soient mis pour que dans aucun établissement de France se soit les jeunes qui imposent leur loi, et non les adultes. Pour cela, il faut supprimer toutes les restrictions idiotes aux moyens d'agir des enseignants (comme interdire l'exclusion des classes) et mettre les moyens en surveillance, animation et formation pour arriver à cette finalité.
    • JLSIMON, le 24/10/2014 à 12:58
      Le bon argument des moyens qui permet de s'exonérer de toute remise en question...
      la suite de votre raisonnement va probablement mettre en avant les deux pires sentences moult fois entendues : "on a toujours fait comme ça" et "on n'a jamais fait comme ça".

      Le CPE est une invention française et n'existe pas ailleurs. Elle a selon moi fait oublier à certains enseignants qu'ils sont tout autant éducateur que passeur de savoir disciplinaire.

      le Monde change, changez avec lui ou changez de métier (si d'aventure vous étiez dedans).
      JLS

      • Viviane Micaud, le 24/10/2014 à 15:04
        Allons bon!!!! Je regarde les séries américaines. Il y a l'équivalent d'un CPE qui d'ailleurs cumule avec le rôle de conseiller d'orientation. Par contre, les enseignants de collège et lycée participent à la surveillance des cours de récréation. Je doute que cela soit possible en France. 
    • Rothkomorocco, le 23/10/2014 à 21:16
      Cpe depuis fort longtemps, je suis surprise de lire encore en 2014 que "C'est le boulot du CPE de gérer les élèves exclus de la salle de classe. Il faut que l'éducation nationale lui donne les moyens nécessaires."
      Quels moyens ? Je suis fort curieuse de le savoir.

      • eplantier, le 24/10/2014 à 01:15
        Ne vous affolez pas : Mme Micaud se présente en spécialiste de l'Éducation mais est, en réalité, totalement à côté de la plaque.
        • Viviane Micaud, le 24/10/2014 à 15:32
          Non je ne suis pas une spécialiste de l'éducation, mais une spécialiste du système éducatif. Je serais incapable de faire cours à une classe de primaire ou de collège.
          Par contre, je suis capable de développer une vision globale des systèmes sociaux et des mécanismes humains qui leur donnent une stabilité, puis de comprendre les causes de leur dysfonctionnement. J'observe le système éducatif français depuis 14 ans et je l'analyse et écris mes analyses depuis 2008.
          Vous pouvez écrire que je suis totalement à côté de la plaque. Cependant j'ai prévu les dysfonctionnements du lycée de Chatel, de la mise en place des rythmes scolaires (article qui a fait le buzz et conseillé sur facebool 1300 fois). J'ai été la seule à diagnostiquer que le principal problème de l'orientation était l'affectation en lycée professionnel. Je suis arrivée à faire admettre que la matières sur laquelle se joue la discrimination était le Français, et non les maths.
          La prochaine fois, pourriez vous contrer les arguments  ? J'adore le dialogue, cela me fait avancer.

          • eplantier, le 26/10/2014 à 14:42
            Et en plus, vous avez les chevilles enflées : "J'ai prévu"..., "J'ai été la seule à diagnostiquer...", "Je suis arrivée à faire admettre..." :-D

            Vous êtes drôle ou pitoyable, c'est selon l'angle de vision. En tous cas, pas sérieuse.
  • eplantier, le 23/10/2014 à 12:35
    "La séparation entre vie scolaire / éducation et professeurs / instruction joue à plein. C'est ce qui explique qu'une bonne partie des exclus sont des récidivistes."

    Eh oui. La séparation de l'éducatif et de l'enseignement est en cause. Comme toujours.
    Rappelons que cette séparation artificielle est née en 1975 avec René Haby et le collège unique fondé sur le modèle du lycée napoléonien de l'élite. Unique également est ce système français, là où les autres ont fait le choix de l'école fondamentale.

    Donc rien ne sert de dire "le scandale des exclusions de cours". C'est le scandale du collège unique sur le modèle de l'élite qu'il faut corriger. En engageant une vraie continuité avec le modèle de l'école.

    Qui s'y attèlera vraiment ? Je veux dire : courageusement ?
    • amalric, le 23/10/2014 à 21:26

      L'article L. 912-1 du Code de l'éducation prévoit que les enseignants sont responsables de l'ensemble des activités scolaires des élèves et, à ce titre, une décision d'exclusion de cours peut être prise en fonction de l'intérêt général et pour assurer la continuité des activités de la classe.

      Justifiée par un comportement inadapté au bon déroulement d'un cours, l'exclusion ponctuelle doit demeurer exceptionnelle et donner lieu systématiquement à une information écrite au conseiller principal d'éducation ainsi qu'au chef d'établissement. Elle s'accompagne d'une prise en charge de l'élève dans le cadre d'un dispositif prévu à cet effet de manière à assurer la continuité de la surveillance.


       Si monsieur l'inspecteur veut bien se donner la peine de nous proposer d'autres alternatives...

      • Viviane Micaud, le 24/10/2014 à 15:27
        Merci Amalric, je ne connaissais pas cet article.

        Et rien n'empêche, d'avoir tous les mois une discussion entre les adultes de l'école sur chacun des enfants souvent exclus pour l'accompagner dans la prise de conscience que, dans l'établissement, comme dans le monde du travail, il y a des règles et que "la liberté des uns se termine là où commence celles des autres".
        D'ailleurs, dans le collège que je connaissais cela se faisait. 

        Les combats d'arrière-garde de l'inspecteur général Bargas, sont souvent et heureusement, filtrés par la hiérarchie intermédiaire. Cependant, cela fait quant même beaucoup de dégâts, car ils gênent considérablement la mise en place d'une ambiance scolaire "bienveillante" dans l'établissement. 
        • amalric, le 25/10/2014 à 08:13
          Il y a le texte et les interprétations que la direction ou le CPE peuvent en faire en fonction de leurs priorités. Par exemple, accepter uniquement les exclusions en cas de "mise en danger" (il sort une tronçonneuse l'élève ou un lance flamme ?) pour  mieux refuser les autres motifs, y compris les perturbations graves de cours afin de ne pas surcharger la Vie scolaire.

           Le code de l'éducation nous donne le droit d'exclure un élève afin de bien enseigner.
          • wenidie, le 23/03/2015 à 21:58
            la question n'est pas tant d'avoir le droit d'exclure ou pas mais de savoir si cette exclusion est bénéfique ou pas...aussi bien au groupe classe + enseignant qu'à l'élève exclut. Au final le véritable débat doit se centrer sur la dimension éducative de ces exclusions afin de réintégrer cet élève perturbateur: le véritable enjeu est de trouver du sens à la sanction afin de responsabiliser les élèves, afin qu'ils se dépassent...dire que  c'est l'affaire du CPE ou qu'on a le droit d'exclure afin de bien enseigner...c'est véritablement nier son rôle d'éducateur, chose paradoxale lorsqu'on travaille dans l'éducation nationale.
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