SVT : Comment enseigner le climat ? 

Comment enseigner les sciences du climat en classe ? Que pense une paléoclimatologue sur l’enseignement du climat en France ? Comment se construit une vocation de chercheur ? Alors que le réchauffement climatique revient au devant de la scène, Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue française, ingénieure au Commissariat à l’Energie Atomique impliquée au GIEC et dans la diffusion des connaissances grand public sur le climat, évoque l'enseignement du climat et el métier de chercheur.

 

Vous êtes intervenue lors de l’université d’été Mer-Education sur le réchauffement climatique. Quel bilan dressez-vous de cette semaine en immersion avec 56 enseignants du second degré ?

 

C’était une belle occasion d’échanges, autour de nombreux sujets. J’espère que cela a permis de décrypter les méthodes de travail dans les laboratoires. Cela m’a beaucoup fait réfléchir sur la manière de transmettre nos connaissances vers les jeunes, et j’ai particulièrement été intéressée par les l’apprentissage par les jeux, lors des ateliers. Il y avait une qualité d’attention lors de cette université d’été qui est rare. J’espère que ce type d’initiative pourra être poursuivi et élargi, par exemple dans le cadre de l’Institut Pierre Simon Laplace. On pourrait aussi y associer les médiateurs qui interviennent dans le milieu scolaire et péri-scolaire (« Petits Débrouillards » par exemple).

 

L’enseignement des sciences du climat n’est véritablement abordé qu’au lycée et plus précisément en terminale scientifique spécialité SVT. Le gouvernement annonce la révision des programmes pour le collège dans 2 ans. Préconisez-vous d’aborder la thématique climat au collège dans le programme commun ? Sous quelle forme ?

 

Les nouveaux programmes de lycée ne permettent pas de construire un enseignement cohérent sur les sciences du climat, sauf en spécialité de terminale scientifique SVT, effectivement. Ce serait utile d’avoir une approche transverse entre disciplines, pour aborder différentes facettes du changement climatique (histoire-géographie, physique, exercices en mathématiques, économie, par exemple). Il me semble important qu’il y ait une cohérence entre les connaissances de base et l’application au climat (par exemple, il faut avoir abordé les transferts de rayonnement pour pouvoir parler d’effet de serre). Pourquoi ne pas mettre en place un enseignement en fin de collège (4ème et 3ème), et une épreuve de type « développement durable » au brevet, comme il y a une épreuve d’histoire des arts ?

 

Les derniers rapports du GIEC ne soulignent pas d’amélioration, pis les concentrations de CO2 en 2012 dépassent les pires scénarios envisagés dans les années 2000. A travers ces annonces peu encourageantes, le risque de tomber dans un rôle moralisateur et pessimiste est réel. Quelle posture avoir en tant qu’enseignant ?

 

Il est possible d’aborder d’une part les sciences du climat (méthodes, évolutions passées, notion de modélisation, rétroactions…), et d’autre part les enjeux complexes posés, au niveau international, pour maîtriser le changement climatique. Ensuite, il est indispensable d'aborder des exemples concrets de solutions et d’innovations qui existent pour la transition énergétique, dans tous les domaines (efficacité énergétique, bâtiment, transports, agriculture, organisation sociale…), et pour l’adaptation au changement climatique (avec quelques exemples pour différents secteurs/régions).

 

La prochaine conférence sur le climat aura lieu à Paris en décembre 2015. La circulaire de cette rentrée de l’Education-Nationale préconise un investissement important des écoles et établissements du second degré pour ce temps-fort. Avez-vous des pistes de travail à fournir aux professeurs ?

 

L’objectif de cette conférence importante sur le climat est de construire un chemin qui permette d’éviter les dangers d’un changement climatique non maîtrisé, pour les jeunes générations. C’est certainement aussi une opportunité pour expliquer le fonctionnement des institutions internationales comme les Nations Unies, et son programme cadre pour l’environnement, et tout l’exercice des négociations entre pays pour convenir d’une feuille de route commune. Parmi les pistes de travail, certains ont proposé l’organisation de débats citoyens parmi les élèves, pour lesquels au préalable il faut avoir fourni des connaissances essentielles. Cela pourrait aussi être une opportunité d’échanges entre établissements et élèves de différents pays, une occasion de dialogues pour comprendre les points de vue des uns et des autres. Enfin, les projets d’établissement, concrets, peuvent aussi montrer l’exemple à travers des réalisations concrètes. Cela peut aussi l’être l’occasion de susciter des rencontres avec des intervenants d’horizons différents et qui apportent chacun un éclairage à la fois sur cette conférence climat, et sur différents métiers liés à ces enjeux. A l’initiative de collègues de Toulouse, nous envisageons d’organiser un « CLIMATOUR » en train, dans différentes régions de France, en octobre 2015. Cela permettrait d’organiser des rencontres avec les enseignants, les élèves, le grand public…

 

Quelques mots sur votre parcours et votre engagement dans la diffusion des connaissances. Quels souvenirs avez-vous de l’enseignement des Sciences de la Vie et de la Terre (ou sciences naturelles) lors de vos années collège et lycée ? Comment s’est construite cette vocation scientifique au cours de ces années ? Et pourquoi le climat ?

 

J’ai fait mes études à Nancy, en Lorraine, jusqu’au lycée, avec un bac scientifique (maths-physiques) et des classes préparatoires (option physique), puis intégré l’Ecole Centrale de Paris, et fait le choix d’un DEA en physique des fluides et des transferts, puis un stage et un doctorat au CEA sur l’étude des climats passés. J’ai donc dû acquérir beaucoup de notions de SVT par moi-même à ce moment-là (tout ce qui touche aux climats passés).

 

J’ai plusieurs souvenirs marquants, par exemple à l’école primaire, lorsque pour la première fois en CM2 nous avons fait un « projet de classe » sur les volcans. Au collège, j’ai été marquée par des vacances passées dans un camping au bord d’un lac de Lorraine, avec un ami de mes parents qui était justement enseignant de SVT et m’a expliqué beaucoup de choses sur ce qui nous entourait. Enfin, j’ai eu la chance de découvrir l’archéologie avec un voisin qui était un amateur passionné et passionnant. Pour les cours de SVT, je me souviens surtout des sorties pour observer l’écosystème d’une forêt, ou les coupes géologiques du relief lorrain. Malheureusement, le dégoût profond que j’éprouvais lors des TP de dissection m’avait totalement découragée de faire des études de médecine ou de biologie.

 

De nombreuses matières m’intéressaient et le choix des études scientifiques est venu d’une envie de mieux comprendre le monde. J’ai toujours aimé rêver en regardant les nuages, et le déclic pour le climat est venu au lycée, à la lecture de magazines de vulgarisation scientifique qui relayaient de grands résultats issus de l’étude des climats passés, ou le début de la modélisation de l’effet de serre et des changements climatiques possibles. Mes professeurs de classe préparatoire m’avaient déconseillé de passer le concours de l’école de la météorologie… mais j’ai persévéré dans cette direction, par des voies détournées ! En reprenant plus tard ces magazines de vulgarisation, j’ai trouvé les coordonnées de chercheurs interrogés, qui m’ont très chaleureusement accueillies. Le hasard des possibilités de stage et de thèse m’a permis d’arriver dans le laboratoire où j’ai travaillé au cours des derniers 21 ans.

 

Propos recueillis par Julien Cabioch

 

Université Mer-Education

 

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Par fjarraud , le mardi 23 septembre 2014.

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