Les Rencontres philosophiques de Langres questionnent l'Histoire 

Les Rencontres Philosophiques de Langres, initiées par Luc Chatel en 2011, connaîtront leur quatrième saison les 19, 20 et 21 septembre prochains. Organisées par la Ville de Langres et le Forum Didrerot, soutenues par le ministère de l’Éducation nationale, les Rencontres s'organisent autour de 3 pôles : conférences scientifiques, séminaires de formation pour les enseignants stagiaires de philosophie et activités culturelles variées ouvertes à tous. Elles seront associées cette année au nouveau Musée des Lumières de Langres, inauguré en octobre 2013 pour le tricentenaire de la naissance de Diderot. Autre changement : la présidence du Comité scientifique passe de Jean-Luc Marion à Claudine Tiercelin, professeur au Collège de France. Gage de continuité dans une certaine tradition universitaire, qui caractérise l'événement depuis ses origines.

 

Mêler enseignants et grand public

 

Une centaines de professeurs venus de la France entière et des DOM sont attendus cette année encore, nous explique Thomas Damoiseau, chargé de l'organisation locale de l'événement. Ouvert en priorité aux stagiaires en formation initiale, les Rencontres accueillent aussi des professeurs plus chevronnés qui en font la demande auprès de leur Inspection. Quant aux autres publics, se sont plus de 3000 participants, essentiellement locaux ou des départements limitrophes, qui devraient cette année encore profiter des différentes activités. Des visiteurs de tous horizons, rarement spécialistes, attirés surtout par le programme d'activités culturelles qui ponctue les conférences. Un programme débuté en amont des Rencontres, dès la semaine prochaine, à l'initiative du Forum Diderot et de la Municipalité.

 

Philosophie populaire ou colloque universitaire ?

 

Difficile pour les Rencontres, de trouver le ton juste pour des publics si différents ? « Les visiteurs ont trouvé les conférences un peu trop compliquées, remarque Thomas Damoiseau. Nous allons essayer d'ouvrir à des interventions plus accessibles au grand public. » Car le programme et les intervenants, choisis par le Comité scientifique sous la responsabilité de la Dgesco, tiennent d'une exigence intellectuelle de haut niveau et ne s'adressent guère à un public d'amateurs débutants : universitaires triés sur le volet, ils interviennent sur des thèmes canoniques du programme d'enseignement selon les exigences ardues de la discipline. La vérité en 2011, la liberté en 2012, matière et esprit, en 2013 et l'Histoire en 2014 : le programme semble bien au contraire se resserrer vers des thèmes de plus en plus techniques. Peut-on vraiment concilier les éclairages pointus de la recherche universitaire et l'impératif hérité de Diderot de « Rendre la philosophie populaire » ?

 

Le programme scientifique

 

Pour éclairer les différentes dimensions de l'Histoire d'un point de vue philosophique, une conférence inaugurale de Paul Mathias, Doyen du groupe philosophie de l'inspection générale, ouvrira le colloque : l'Histoire en question, qui permettra de poser les principaux problèmes soulevés par la notion. La soirée sera ensuite partagée entre François Hartog, directeur d'études à l'EHESS, qui se penchera sur l'Histoire : les avatars d'un très vieux nom, et Christophe Bouton, professeur à l'Université Bordeaux-Montaigne, « Ce sont les hommes qui font l'histoire » : action et événement historique. Viendront le jour suivant les questions du déterminisme et de la contingence, des herméneutiques, de la contextualisation, de l'historien, des historicités  ainsi que des croyances démocratiques.  Claudine Tiercelin clôturera les Rencontres, le dimanche 21 septembre, par une conférence sur Nature et histoire. En parallèle, des séminaires destinés aux professeurs de philosophie auront lieu sous forme d'ateliers de travail.

 

Flâneries et aventures culturelles

 

Pour tous ceux qui préfèrent une approche plus dilettante, les activités culturelles proposées par la ville de Langres s'ouvriront dès le 11 septembre par un spectacle de théâtre-débat sur les dérives extrémistes d'un jeune homme fasciné par la nazisme. Viendront ensuite un spectacle sur Napoléon (proposé par le Canopé de Chaumont), un apéro-philo sur la mémoire et l'oubli, et tout un panel d'activités conçues pour accueillir l'amateur encore profane (soirée jeux philo,  débat philo-rap, université populaire, ciné-débat, récits, ateliers, etc.) Un programme varié et très avenant où chacun devrait pouvoir trouver son moment de bonheur. Côté fidélité au philosophe, on retrouvera à Langres le Musée des Lumières qui lui est consacré Inauguré en octobre 2013, pour le tricentenaire de la naissance du philosophe, le site permet de se familiariser avec l'esprit des Lumières et de l'Encyclopédie à travers une dizaine de salles d'exposition, où l'on pourra trouver un exemplaire original de l'Encyclopédie ainsi que des ateliers pour les enfants et les scolaires. Outre l'espace pédagogique, il propose un « laboratoire des idées » et un café pédagogique.

 

Un rendez-vous qui devient un classique, pour les philosophes, et dont on retrouvera les contenus en ligne sur le site Eduscol, afin de faire partager aux élèves les nouvelles approches problématiques développées durant ces journées, sous l'égide des meilleurs spécialistes.

 

Programmes des conférences.

 

La construction du roman national, par François Hartog. Histoire, action et événement (le statut de l’action en histoire), par Christophe Bouton. Histoire et causalité(s) par Jean-Matthias Fleury et Isabelle Drouet. Histoire et herméneutique, par Denis Thouard et Sabrina Loriga . Histoire, texte, document par Christian Jouhaud. L’histoire et l’historien, par Florence Hulak. Philosophies de l’histoire, par Bertrand Binoche. Les leçons de l’histoire, par Jean-Baptiste Rauzy. Clôture : Histoire et nature, par Claudine Tiercelin

 

Programmes des séminaires.

 

1848 : Regards croisés, Tocqueville et Marx.

 

Responsable : Arnaud Tomes, professeur en classes préparatoires, lycée Fustel de Coulanges,

académie de Strasbourg

 

La Révolution de 1848 marquerait le passage radical du contrat social à la philosophie d l'histoire, chez les penseurs politiques. Le processus révolutionnaire s'y radicalise dans une société transformée par l'industrialisation. Cette ère nouvelle de l'action politique ont comme penseurs Tocqueville et Marx. L'un se souvient de Montesquieu – « il faut éclairer les lois par l’histoire et l’histoire par les lois », l'autre de Hegel : « le temps est l’être-là du concept ».  Le séminaire croisera deux regards non convergents pour tenter de comprendre comment on peut penser l’histoire au plus près de l’événement. « Les espoirs de Tocqueville comme de Marx seront démentis par le coup d’Etat du 2 décembre. Pas leurs pronostics. Surtout, par-delà la « catastrophe » ou « l’épilogue » de ce drame qui tient de la tragédie et de la comédie, Marx et Tocqueville auraient pu écrire un grand dialogue sur la signification de 1848 : elle est immense pour chacun, et révèle deux intuitions incompatibles mais incontournables. Les Souvenirs de Tocqueville, le Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte seront lus parallèlement. » 

Comment déterminer le sens d’un événement historique ? Le philosophe peut-il penser l’événement sans le faire entrer dans une grille de lecture préétablie ? Ne cède-t-il pas à la tentation de se faire moraliste ou prophète ?  Quelle est la signification de la révolution dans l’histoire ? Est-elle ce moment où émerge quelque chose de radicalement nouveau ou n’est-elle que l’effet de surface de structures autrement profondes ? La guerre civile, de son côté, est-elle « le pire des maux » ou bien, parfois, « la guerre la plus juste » ? se demanderont les intervenants.

 

L'art d'hériter

 

Responsables : Julien Beigbeder, professeur, lycée Docteur Lacroix, académie de Montpellier ;

Véronique Fabbri, IA-IPR, académie de Montpellier ; Rhizlane Maachi, professeur, académie de Montpellier

 

L’histoire suppose une transmission et une réception qui la cultive et la continue. Le XXème siècle est marqué par une crise radicale des conditions de la transmission, analysée par Simmel, Valéry, Benjamin ou encore Arendt. Si on attribue en général cette cerise à des causes externes, économiques et industrielles, les auteurs du séminaire y voient plutôt  une « crise des relations intergénérationnelles, fort ancienne, mais qui est peut-être plus que jamais décisive. » Arendt analyse le parcours de Benjamin comme marqué par une telle crise, dans l’impossibilité de réaliser les rêves de réussite intellectuelle et artistique que la bourgeoisie d'affaires nourrissait pour ses enfants, et à jamais irréalisable. Il resterait quelque chose de cet inaccomplissement dans les générations actuelles, obérant la possibilité d'un héritage à donner comme à recevoir.

De cette attitude au regard de l'héritage semble émaner une posture intellectuelle d'esthète curieux plutôt que d'héritier, tournée vers l'appréciation  du singulier et de l'inclassable plutôt que de la passation et de la continuité. Cette attitude qu'Arendt décèle chez Benjamin se prolongerait dans son œuvre propre, prenant forme d'une vision de l'éducation tournée vers le passé sans prétention à l'emprise sur l'avenir. Les questions du séminaire porteront sur « l’idée de « sauvetage » qu’implique l’art d’hériter, et sur la possibilité d’une philosophie, d’une politique et d’une éducation qui se refusent à penser la dimension de l’avenir autrement que comme imprévisible et inconnaissable. »

 

L'histoire à l'âge classique

 

Responsables : Nicolas Dubos, professeur, lycée d’Ivry/Sciences-Po Paris/SPH Bordeaux III ; Nicolas Piqué, maître de conférences, ESPE de Grenoble

 

La place de l'histoire en philosophie ne commence pas avec les philosophies de l'Histoire, entendent montrer les auteurs de ce séminaire. Elle est présente dès le XVIIème siècle dans les systèmes rationalistes de Hobbes, Spinoza ou Leibniz. « Comment ces auteurs pensent-ils l’inscription de leur philosophie dans le temps historique ? Quels peuvent être les rapports à l’histoire de penseurs qui conçoivent la philosophie comme un dépassement de la connaissance empirique ? De quelles histoires ont-ils besoin et comment pensent-ils leurs articulations dans l’espace de la connaissance ? » se demanderont les intervenants de ce séminaire.

 

L'histoire globale

 

Responsable : Henri Commetti, professeur, lycée Pierre de Fermat, académie de Toulouse

 

L’histoire reste marquée par l’asymétrie selon laquelle elle a d'emblée traité, des cultures et des sociétés. «  N’y aurait-il pas d’autre histoire que l’histoire de l’universalisation de l’histoire de l’Europe, procédant ainsi et en quelque manière par définition, à ce vol de l’histoire qui sert de titre au dernier ouvrage de J. Goody ? » demanderont les intervenants de ce séminaire. D'autres discours historiques (subaltern studies, postcolonial studies,connected history, global history, world history) développent des approches nouvelles face au propos unilatéral d'une Histoire universelle centrée sur le capitalisme européen. Les intervenants de ce séminaire se proposeront de déployer la complexité de quelques questions.

L’histoire-monde peut-elle se constituer en rivale de l’histoire universelle alors même qu’elle en déconstruit les présupposés principaux et qu’elle entend rompre avec le principe même d’un récit global ?  Reviendrait-elle à un économisme historiographique ? Serait-elle, au rebours même de ses intentions fondatrices, la nouvelle idéologie historienne d’un monde technologisé ? Elle invite à réinterroger l’histoire du capitalisme et de l’industrialisation en insistant sur la relativité des expériences, la plasticité du mode capitaliste de production et la contingence des trajectoires, trop rapidement dites « de développement ». La théorie de la modernité peut-elle  alors apparaître comme une des multiples versions de  la doxa européocentriste ? Quelles alternatives de compréhension se proposer ?

 

Jeanne-Claire Fumet

 

Rencontres philosophiques de Langres. Les 10, 20 et 21 septembre 2014. Entrée libre aux conférences et activités culturelles, sur inscription académique pour les séminaires destinés aux enseignants (hébergement et transports à prévoir à l'avance, les capacités locales d'hébergement sont limitées).

 

Renseignements et informations

Contact : info@rencontresphilosophiqueslangres.fr

Programme détaillé des séminaires et intervenants sur Eduscol

 

Par fjarraud , le lundi 08 septembre 2014.

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