Les cadres et le numérique 

Personnels d'encadrement, cadres, dirigeants, toutes ces personnes qui ont des responsabilités dans les organisations, les institutions sont impliquées dans toutes les décisions qui amènent au développement du numérique. Dans les établissements d'enseignement, mais aussi dans les structures institutionnelles, ou politiques locales, départementales, régionales, nationales, voire internationales, ces personnels sont déterminants pour la mise en place du numérique. Cela signifie que leur action entraîne systématiquement des effets qui se prolongent jusque dans le quotidien des enseignants, des élèves, des personnels, parfois aussi des parents d'élèves. La question que chacun peut légitimement se poser est de savoir s'ils ou elles sont compétent(e)s pour faire des choix pertinents, voire plus simplement s'ils ou elles ont les connaissances suffisantes des choses pour lesquelles des décisions sont prises.

 

Etrangement dans le "Référentiel  national  des  compétences  professionnelles  des  personnels d’encadrement pour le déploiement d’une politique numérique" (de 2009), aucune maîtrise personnelle des moyens numériques n'est présente, ni comme prérequis, ni comme partie d'un domaine. Le référentiel comporte trois grands domaines, pour 25 compétences, intitulés : A. Concevoir et réunir les conditions pour mettre en place une politique numérique.

B. Assurer la généralisation des usages professionnels des technologies numériques.

C. Evaluer les politiques numériques et la généralisation des usages professionnels des technologies numériques.

 

Comment imaginer que quelqu'un qui décide ne soit pas lui-même en mesure de percevoir, au moins pour lui-même, ce que signifie la pratique du numérique ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit, les cadres peuvent décider sans avoir cet élément essentiel de compréhension. On rétorquera que le responsable n'est pas spécialiste de tout ce dont il est responsable et qu'il peut s'appuyer sur des compétences pour prendre les décisions. Malheureusement plus de trente années d'expérience à propos du numérique en éducation montrent que le passage par l'action personnelle approfondie, l'usage avancé, est un élément essentiel d'analyse de ce qui se passe. Plusieurs arguments viennent renforcer cette conviction : d'une part les objets techniques numériques ont des caractéristiques visibles et d'autres moins immédiatement perceptibles. Or ce sont les deuxièmes qui sont souvent tues et qui pourtant déterminent ce que l'on peut en faire. Ainsi les tablettes, comme les ENT, sont les surfaces visibles. Mais dès que vous vous penchez sur les utilisations, il y a des questions techniques comme les fonctionnalités et leur paramétrage, le contrôle et la sécurité, le pilotage des flottes d'appareils etc. qui ne peuvent être ignorées et surtout qui ne s'apprennent pas sans un minimum de compréhension fine, même si ce sont des choses qui n'apparaissent que rarement dans les pratiques. D'autre part, les écarts entre les arguments de vente et les réalités d'usage sont très difficiles à percevoir sans un minimum de connaissances. Les vendeurs le savent bien qui courtisent d'abord les responsables, eux même s'entourant de spécialistes pour prendre leur décision, ce qui est une bonne chose, mais ne peut suffire.

 

On dit souvent, expérience à l'appui, que le meilleur ouvrier de l'atelier ne fait pas le bon contremaître. Mais pour autant le contremaître doit pouvoir dialoguer aussi bien avec le client qu'avec l'ouvrier. Et c'est ce dialogue qu'il faut que le cadre puisse réellement mener. Et pour conduire se dialogue, il faut qu'il dépasse les connaissances de surface. Le cadre est quelqu'un qui délivre une parole importante. A ce titre, elle doit être assurée, argumentée, étayée et surtout comprise. L'entourage du cadre sait bien que s'il est incompétent il va le manipuler pour obtenir ce qu'il souhaite. Quand le cadre s'entoure de conseil, se fait réellement assister c'est un moindre mal, et d'ailleurs parfois c'est l'occasion pour lui ou elle de se former. Quand le cadre a une culture de base des objets dont il décide, c'est encore mieux, car il peut aussi maîtriser son entourage.

 

La formation des personnels d'encadrement ne peut se concevoir sans un travail au, par et avec le numérique. Or ce qui est essentiellement proposé c'est un travail "sur" le numérique. Heureux quand même qu'il y ait des modules de formation qui se mettent en place actuellement, dirigé vers les cadres, et qui les "baigne" dans la pratique effective du numérique, mais encore bien modestement. D'ailleurs l'analyse de leurs discours (et parfois de leurs pratiques) montre que nombre d'entre eux sont loin de comprendre les environnements numériques dans lesquels ils évoluent. Faut-il donc qu'ils aient le C2i voire le C2i2e ? Ce n'est pas écrit.

 

Un point important qu'il ne faudrait pas négliger, celui des compétences informationnelles, communicationnelles. Elles sont directement liées aux compétences numériques, car ce sont souvent les mêmes dispositifs qui sont actifs. Là encore l'ingénierie informationnelle et communicationnelle, voire même organisationnelle autour du numérique n'est pas solidement nommée. A la base de l'architecture numérique de l'établissement, le personnel d'encadrement aurait à gagner à développer ses connaissances et ses compétences dans ces domaines, s'il veut passer de la vitrine à l'action. Car l'un des vecteurs identifié du développement du numérique en éducation c'est la politique numérique de l'établissement. Encore faut-il que celui ou celle qui la pilote maîtrise suffisamment ce dont il est en charge.

 

Dans les intitulés de ce référentiel, on ressent que le personnel d'encadrement est chargé de mettre en place des actions qui sont décidées ailleurs, de les évaluer, mais pas d'en être un acteur impliqué autrement que dans le pilotage distant. Fort heureusement certain(e)s ont bien repéré qu'il y avait là un manque... qu'ils ont pu combler selon leur propre investissement. S'il y a un dernier maillon faible dans la stratégie pour l'entrée de l'école dans l'ère du numérique, c'est probablement celui-là, la culture numérique des cadres. Et ces personnels ne sont pas uniquement ceux qui exercent à l'échelle de l'établissement, mais aussi dans les rectorats, les services complémentaires (CANOPE ex CNDP) mais aussi dans les services des collectivités territoriales qui jouent aussi un rôle important. Il est probable que si certains avaient été mieux formés au numérique il n'y aurait pas eu autant d'erreur de "casting" numériques... Il ne suffit pas d'impulser, il faut conduire l'action...

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 27 juin 2014.

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