Selon Le Figaro, près de 40 000 jeunes auraient signé une pétition dénonçant le sujet de maths du bac S comme trop difficile. Un sujet pourtant "presque sans surprise". C'est que cette polémique parle d’autre chose que d’un sujet de bac. Il est en fait question de l'identité de la série S.
Plus de dix ans après l’effectivement désastreux sujet de mathématiques au bac S 2003, revivons-nous une situation analogue ? Il convient d’abord de resituer ces sujets relativement aux évolutions de programme. En 2003, ce bac était le premier à porter sur les nouveaux programmes élaborés depuis 2000 par le Conseil National des Programmes, instance plurielle qui avait proposé des évolutions notoires dans l’écriture et les contenus. Or, le sujet d’alors a proposé aux candidats un problème (sur 11 points) très inhabituel, contextualisé (il s’agissait d’une thématique de biologie), comportant un nombre important de paramètres. Même s’il n’était pas difficile du fait des calculs ou des notions nécessaires, son caractère déroutant en a fait une réelle catastrophe pour un bon nombre de candidats. Le barème a, bien sûr, tenu compte de la situation, et, in fine, si les candidats n’ont pas été lésés, c’est la doyenne de l’Inspection Générale qui a, semble-t-il, fait les frais de cette mésestimation.
Cette année, rien de tel, hormis le fait que le sujet est effectivement un peu plus délicat que ceux de la session 2013. Or, en 2013, le bac portait à nouveau sur de nouveaux programmes, comme en 2003. On comprend donc bien que, dix ans après, le souvenir d’un précédent fâcheux n’étant pas effacé, les rédacteurs de sujets aient joué la prudence, eu égard au fait que l’enseignement d’un nouveau programme ne se bonifie qu’au fil des années ! Il n’y a rien d’étonnant non plus à ce que, parmi les sujets 2014, certains soient un peu plus difficiles que les précédents. Par exemple, pour le sujet d’Amérique du Nord donné le 30 mai 2014, a été proposé un exercice dont une finalité était de construire une section d’un cube, sans utiliser les outils de géométrie repérée qui sont ceux de la classe de TS : nulle polémique ne s’en est pourtant ensuivie. Dans le sujet de métropole qui fait polémique, au lieu d’avoir une seule question un peu délicate comme dans les sujets 2013, il s’en est trouvé plusieurs. Mais les difficultés étaient plutôt de l’ordre du décryptage de l’énoncé et de son analyse, que dans les calculs ou les compétences requises, qui sont tout à fait dans les contenus et l’esprit des programmes. A contrario, pour ce sujet, hors spécialité, aucune question ne relevait de l’algorithmique, qui, de par sa nouveauté, pose encore problème à nombre d’élèves : par cet aspect, on aurait ainsi pu plutôt le qualifier de facile…
Quant à la « question de cours » de l’exercice sur les complexes, elle n’a rien de scandaleux, puisque les deux démonstrations demandées sont simples et figurent dans tous les cours de TS de France et de Navarre… Elles avaient d’ailleurs déjà été proposées telles qu’elles (aux notations près) dans le sujet donné en métropole en juin 2010, sans susciter l’ombre d’une polémique. Que la question de cours demandée soit intitulée « restitution organisée de connaissances », pourrait certes paraître un peu surprenant (au moins pour les enseignants), car cette terminologie était celle des programmes précédents, alors que les programmes actuels parlent plutôt de « démonstrations exigibles » pour pointer les preuves difficiles qui nécessitent des candidats une nécessité d’apprentissage spécifique ; mais rien n’interdit aux rédacteurs de sujets de requérir des preuves simples que le candidat peut retrouver par lui-même avec une maîtrise correcte des outils enseignés : c’est le cas des deux preuves demandées.
Enfin, il faut savoir qu’en mathématiques comme dans d’autres disciplines, les barèmes sont testés sur des copies d’enseignants (avant), puis d’échantillons d’élèves (après l’épreuve) et adaptés en fonction de la réalité des contenus.
La réaction véhémente d’un nombre certain d’élèves pointe de fait les aberrations de notre système d’enseignement en lycée général. Les filières n’en finissent plus de mourir (en L), ou d’hésiter sur leur devenir (en ES). La filière S est donc devenue la filière par défaut de l’enseignement général en lycée. On y retrouve ainsi, en proportion non négligeable, des élèves sans goût aucun pour les sciences, qui, pour les uns, y sont venus faute d’avoir les qualités d’écriture requises par un bac ES, et, pour les autres, n’y sont là que par l’ouverture réelle que donne la filière S après le bac. N’appréciant guère les sciences, répugnant à y passer le temps d’étude requis, beaucoup subissent ces disciplines durant leurs années de Première et de Terminale, finissent par avoir ce bac… et s’empressent d’embrasser des études d’où les sciences sont absentes. La suppression des filières de l’intéressant projet proposée par X. Darcos en 2008, enterrée du fait des frilosités immobilistes, reste à faire, et est toujours davantage une nécessité. Quel ministre sera assez diplomate, et assez audacieux pour faire ce saut ?
Didier Missenard (enseignant en TS)