Le film de la semaine : « Au fil d’Ariane »  

« Doit-on tout faire pour être heureux ? ». Robert Guédiguian répond avec une fantaisie revendiquée à cette question philosophique posée, cette année, à certains candidats au baccalauréat. Le cinéaste offre, en effet, à celle qui est à la fois sa comédienne fétiche et son épouse depuis trente ans, Ariane Ascaride, une aventure cinématographique nouvelle à la mesure d’une exigence de bonheur présente dans tous les films tournés ensemble. Ainsi « Au fil d’Ariane », à travers la libre échappée d’une femme délaissée au soir de son anniversaire, nous propose un étrange voyage collectif au pays des merveilles, une belle utopie de fraternité universelle.

 

Ariane sort de sa cuisine

 

La caméra nous fait pénétrer dans des images numériques, blanches et froides, d’immeubles cubiques jusqu’à nous rapprocher de la pimpante Ariane en train de fabriquer un gâteau d’anniversaire géant dans sa cuisine aux couleurs vives. Livraisons de fleurs et messages d’excuses des proches sur le répondeur achèvent de faire vaciller cet instantané du bonheur. La femme qui fait tache n’a pas sa place dans cet univers aseptisé. Au soir d’un anniversaire solitaire, elle décide de prendre la poudre d’escampette, en laissant les bougies allumées sur l’immense pâtisserie rose. Direction : le port de Marseille à bord de sa petite automobile. Et c’est le début d’un enchaînement de situations impromptues : nous la verrons se laisser « enlever » par un jeune à bord d’une vespa, réconforter par un chauffeur de taxi mélomane, misanthrope et amoureux des chats, trouver refuge auprès d’une bande hétéroclite gravitant autour du café l’Olympique, dirigé par un patron bourru et fan des chansons de Jean Ferrat.

Emportés dans le tourbillon rapide des événements, nous ne nous étonnons guère de voir l’héroïne sécher ses larmes en quelques secondes après la perte de sa carte de crédit arrachée par des inconnus en moto, sous l’effet bénéfique de la musique de Schubert programmée par le taximan philosophe ; ni de la retrouver, fraîche et reposée, après une nuit de sommeil dans une barque, en train de faire la conversation à une tortue douée de la parole (et qui a la voix de Judith Magre) ; ni de la découvrir avec une nouvelle tenue en train de faire le service, au pied levé, dans un petit restaurant en plein air…

 

Ariane fait escale au bord de la mer

 

Le voyage fantasque d’Ariane la mène en effet au bord de la Méditerranée dans une calanque où niche un lieu de restauration pour touristes retraités et autres visiteurs peu fortunés. D’abord cliente supposée puis serveuse occasionnelle, elle trouve là une sorte de nouvelle famille où se mêlent les générations, les origines et les conditions. Déjouant les certitudes affichées et les affirmations tranchées, Ariane, dans la naïveté et l’innocence d’une attitude dénuée de préjugés, largue les amarres, se libère et ouvre à toute la bande un champ de liberté. Entre la laideur d’une nature défigurée par les usines proches et le sublime de l’horizon marin, nous assistons à une pêche miraculeuse, une tempête pleine de dangers, une expédition clandestine et nocturne dans un musée d’histoire naturelle en réfection…Cette fois, la fantaisie ne s’interdit rien, le cinéaste et le dramaturge Serge Valetti, co-auteur du scenario, s’affranchissent des contraintes de la vraisemblance, entraînant dans leur sillage la troupe de comédiens, visiblement galvanisés : les complices de toujours (Jean-Pierre Darroussin, Jacques Boudet, Gérard Meylan), comme les nouveaux venus (Anaïs Demoustier, Adrien Jolivet, Lola Naymat ou Yousouf Djaoro).

 

Par des allusions ou des citations visuelles de cinéastes amoureux de la Méditerranée comme Godard, Fellini ou Pasolini, Robert Guédiguian ose tous les hommages dans la fabrication de cet « impromptu » qui résonne aussi comme une ode à sa muse. Ariane Ascaride, entre commedia dell’arte et fausse improvisation clownesque, explore, avec une joie communicative, toutes les potentialités de l’art dramatique.

 

Ariane chante et danse sur scène

 

Elle parvient à incarner le rêve formulée à voix haute au cours de l’aventure, celui « de chanter en public devant tout le monde ». Et face à des spectateurs enthousiastes, elle est là, à la manière de Liza Minelli en guêpière scintillante dans « Cabaret », chantant et dansant « Comme on fait son lit on se couche de Bertold Brecht et Kurt Weil, dans le théâtre antique du Frioul. « Que serais-je sans toi qui vint à ma rencontre … ?» demande le poète Aragon chanté par Ferrat. C’est aussi la question que le cinéaste pose à l’être aimée, la compagne de création et la camarade de combat avec ce dernier opus dans lequel l’appel à l’engagement se dissimule sous les bizarreries et la légèreté formelle. Robert Guédiguian conçoit ce 19ème film comme « un rêve » […], « une invitation à réinventer une fraternité qui soit universelle […]. Et il ajoute : « Je continue à penser que, pour qu’il y ait un monde nouveau, il faut d’abord le rêver ». A sa manière, farfelue et ludique, « Au fil d’Ariane » contribue à cette entreprise de longue haleine.

 

Samra Bonvoisin

 

« Au fil d’Ariane », film de Robert Guédiguian, sortie en salles le 18 juin

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 18 juin 2014.

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