Un colloque pour interroger le succès des systèmes éducatifs d'Asie  

Le Centre International d’Etudes Pédagogiques (CIEP) réunit du 12 au 14 juin un colloque international, organisé par le Revue internationale d'éducation de Sévres, sur le thème de "l’Education en Asie en 2014 : Quels enjeux mondiaux ?" La première journée était consacrée aux conférences plénières, elle sera suivie d’une journée entière d’ateliers. Le dernier jour est consacré à la synthèse des travaux.

 

François Perret, directeur du CIEP, ouvre le colloque en rappelant la triple mission du centre : « faire connaître, interroger, donner envie d’agir ». Marc Rolland, délégué des relations européennes, internationales et à la coopération au Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche rappelle quant à lui que les relations entre l’Europe et l’Asie ne sont pas toujours celles de la compétition comme pourraient donner à croire les évaluations internationales comme PISA. A titre d’exemple, il donne la forte coopération entre la Chine et la France à travers l’essaimage du programme La Main à la Pâte en Chine..

 

Les défis éducatifs d’une Asie hétérogène

 

 Gwang Jo Kim directeur du bureau Asie-Pacifique de l’UNESCO esquisse les tendances émergeantes en Asie et les politiques qui y apporteraient des réponses. Il commence par rappeler qu’il existe des « Asies » hétérogènes à tous les niveaux : scolarisation, développement économique, configuration démographique. La situation de l’Asie du Sud Est est la plus fragile : l’explosion démographique des jeunes crée des défis en matière d’éducation et d’emploi. Il dégage néanmoins quelques constantes : l’émergence d’une classe moyenne de plus en plus nombreuse et exigeante en matière d’éducation, des efforts accrus pour une plus grande coopération régionale.

 

Pour le représentant de l’UNESCO, l’Asie a besoin d’adapter le système éducatif aux enjeux du XXIe siècle en favorisant la transversalité et la formation tout au long de la vie. Si l’Asie a enregistré de grands progrès en matière d’éducation pour tous, les défis en matière de petite enfance et d’illettrisme des adultes restent important dans de nombreux pays comme au Pakistan.

 

Gwang Jo Kim avance plusieurs hypothèses expliquant les performance de plusieurs pays asiatiques aux évaluations internationales PISA, PIRLS et TIMSS. Du point de vue de la tradition culturelle il souligne les facteurs suivants : l’existence d’une longue tradition de méritocratie, la valorisation de l’éducation, le respect dû aux métiers de l’enseignement et l’accent sur les compétences non-cognitives et les compétences transversales. D’un point de vue systémique et de politique éducative il relève les éléments suivants : l’adoption de transitions graduelles et non brusques, une socle scolaire très solide, le recours aux technologies pour améliorer l’accès à l’éducation, un système éducatif intégré afin de garantir sa pertinence et sa durabilité. Enfin, il met l’accent sur un aspect bien particulier : les politiques éducatives asiatiques ne sont pas importées et adaptées mais les approches innovantes émergent des contextes nationaux et locaux. Sa conclusion est un appel à la collaboration internationale et à l’adoption d’un système qui vise le bonheur des enfants et non la performance à tout prix.

 

Mark Bray : réflexions épistémologiques sur les études comparatives dans le domaine de l’éducation.

 

 Mark Bray est professeur et directeur du centre de recherche en éducation comparée à l’université de Hong Kong. Le point de départ de sa présentation est un questionnement méthodologique : de quelle Asie allons-nous débattre ? Quels sont les axes de comparaison ?

Il rappelle que les études comparatives en éducation privilégient cinq contextes : culturel, politique, historique, géographique et économique. Pour chacun de ces contextes, le chercheur s’interroge sur ses limites, les frontières de ses concepts et quelles unités d’analyse recouvre-t-il.

 

Les problématiques mises en jeu par Marc Bray quant aux enjeux éducatifs en Asie et soumises aux débats dans les ateliers sont au nombre de cinq : 1) comment la mondialisation altère l’héritage colonial 2) l’écart de croissance entre les différents pays asiatiques 3) les complémentarités et les tensions générées par les différences religieuses et culturelles 4) la diversité du rôle du secteur public et du secteur privé, de plus en plus mélangés 5) les retombées négatives ou inattendues de certaines politiques éducatives. Le chercheur conclue en s’interrogeant sur les leçons que peut tirer l’Europe et appelle à la prudence : il ne s’agit pas d’opérer un transfert des politiques et des modèles éducatifs.

 

L’Asie abrite la moitié de la jeunesse mondiale

 

Laurent Carroué est inspecteur général et géographe. Il rappelle les données démographiques à même de donner des clés de compréhension pour les défis éducatifs qui attendent l’Asie. L’Asie de l’est est en voie de stabilisation démographique ce qui n’est pas le cas de l’Asie du sud, notamment de l’Inde dont la population est en passe de dépasser celle de la Chine. Il rappelle que les conquêtes des Amériques ainsi que les conquêtes coloniales ont représenté une réponse à la transition démographique en Europe. La mobilité impériale est interdite aujourd’hui à l’Asie, les enjeux de développement sont de ce fait entièrement endogènes et engendrent des tensions internes sociales, économiques et entre Etats. Les risques les plus élevés sont évidemment du côté de l’Asie du sud qui est au summum historique de sa population alors que l’alphabétisation demeure un enjeu majeur dans de nombreux pays de la région.

 

Il rappelle aux chercheurs présents spécialistes en éducation qu’ils se pencheront lors de leurs travaux sur 53% de la jeunesse dans le monde en 2015 et 42,5 en 2050 ! Les demandes en éducation sont énormes et la tension sur les systèmes éducatifs inédites. M. Carroué suggère que les éléments de réponse ne sont pas uniquement quantitatifs. Il préconise une réflexion portant sur la restructuration qualitative : formation permanente et innovation en éducation.

 

Les résultats des pays asiatiques aux évaluation PISA 2012

 

 En clôture de la première journée, Jean-Marie de Ketele, professeur émérite à L’Université catholique de Louvain s’est penché sur les résultats des pays asiatiques aux évaluations PISA 2012. Shanghai, Singapour, Hong Kong, Taïwan, Corée du Sud obtiennent les meilleurs classements et ont les systèmes les plus équitables. A titre d’exemple en maths, 25,1 des élèves de Shanghai sont surperformants et seulement 2,7% ont de faibles résultats. Le Vietnam se situe dans la moyenne en maths et parmi les plus performants en lecture et sciences.  La Thaïlande, la Malaisie et l’Indonésie enregistrent des scores inférieurs à la moyenne. De plus les trois grandes évaluations internationales, PISA TIMSS et PIRLS ont des résultats concordants. La conclusion s’impose : les épreuves sont concordantes, il existe un groupe de 7 pays asiatiques dont le système éducatif est particulièrement efficace et équitable. Pour expliquer cela, M. Ketele met en exergue quelques covariances, notamment l’indice de fécondité : plus il est faible meilleurs sont les résultats. De même pour la proportion de population rurale, de la part de l’agriculture comparée à celle des services dans l’économie du pays, le PIB, le soutien familial et le recours à l’école de l’ombre et enfin l’espérance de vie scolaire.

 

M. Ketele met en garde contre une lecture rapide de ces évaluations et invite à s’interroger sur ce que PISA n’évalue pas et rappelle qu’à caractéristiques socio-économiques semblables, la France n’a ni le même niveau d’efficacité ni le même niveau d’équité. M. Ketele conclue en faisant appel non à l’excellence exclusive et à l’effet de compétition créé par PISA mais à l’excellence inclusive et à préserver l’équité des systèmes. L’un des effets pervers de PISA est d’exacerber la compétitivité au détriment de l’équité et de renforcer le recours à l’éducation de l’ombre. Enfin, il demande à ce que la mission première des éducateurs soit celle définie par l’UNESCO « éduquer à la fonction de veille et d’éveil ».

 

Ange Ansour

 

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Marc Bray : Faut-il avoir peur de l’école de l’ombre ?

 

C'est une particularité des systèmes éducatifs asiatique : l'école de l'ombre, les cours particuliers privés, y est très répandue. Quels effets cela a -t-il sur l'éducation ? L'Europe, qui connait une forte croissance des ce s cours privés, doit-elle se protéger ?

 

L’école de l’ombre, celle des cours particuliers, supplémentaires, dispensés par des professeurs ou des entreprises occupe une place croissante dans les débats en éducation. Qui sont les plus gros consommateurs et pourquoi ?

 

 Marc Bray : Les champions asiatiques sont : la Corée du Sud, le Japon et Taïwan. L’école de l’ombre gagne très rapidement du terrain en Chine. En Europe, la Grèce, Chypre et Malte sont sur le podium mais la France est en train de les ratrapper. Les raisons en sont multiples. En Asie de l’est, il s’agit de pays riches où une bonne éducation est recherchée et le recours aux leçons particulières massif. En Asie du Sud, le système éducatif est déliquescent et les enseignants dispensent eux-mêmes des cours particuliers. Dans les pays asiatiques issus de l’ex-URSS, les cours particuliers ont toujours existé mais étaient clandestins. Avec l’acceptation du marché, cette pratique a perduré et est devenue ouverte. En Europe, les salaires des enseignants se sont effondrés avec la disparition de l’URSS, les enseignants étaient obligés de donner des cours particuliers pour subvenir aux besoins de leurs familles et la société dans son ensemble a accepté ce fait.

 

La situation est particulièrement perverse en France : le gouvernement encourage lui-même l’école de l’ombre grâce aux abattements fiscaux avantageux. Seuls les riches paient des impôts et bénéficient de ce système, les familles pauvres sont exclues de ce système et leurs enfants ne bénéficient pas de cours particuliers. En agissant ainsi, le gouvernement reconnaît et légitime l’école de l’ombre.

 

Quelles sont les facteurs à l’origine de ce phénomène croissant ?

 

La confiance se trouve érodée. L’anxiété parentale est le fond de commerce des entreprises pourvoyeuses de cours de soutien qui l’entretiennent et nourrissent la défiance vis-à-vis des écoles. Le discours typique est celui de la responsabilisation des parents « votre fille a besoin d’un soutien vous devez le faire pour elle, donnez-nous quelques euros et nous nous en chargeons. » Cette anxiété trouve son origine donc en partie dans le discours de ces entreprises mais également dans la mondialisation. Auparavant, les familles n’avaient pas le sentiment que la compétition se jouait au-delà des frontières nationales. Les évaluations comparatives internationales entretiennent cette anxieté parentale.

 

Existe-t-il une corrélation entre essor des écoles privées et essor de l’école de l’ombre ?

 

Pas tout à fait, les écoles privées n’endiguent en rien le recours aux cours particuliers bien au contraire. Les clients des entreprises de cours de soutien sont souvent inscrits dans des écoles privées. Souvent ils sont issus de familles favorisées à même de payer les frais supplémentaires.

 

Quel impact et leçons pour l’Europe et la France ?

 

Plus le nombre d’enfant bénéficiant d’une éducation parallèle croît, plus cela devient la norme et plus de familles y ont recours. Par exemple à Hong Kong 58% des élèves ont recours aux cours particuliers à la fin du collège et cette proportion atteint les 72% à la fin du lycée ! Par conséquent, ceux qui n’en bénéficient pas deviennent nerveux et intègrent le système aussi. On arrive ainsi à un point de basculement.

 

Cela a un effet pervers : les élèves respectent moins les enseignants des écoles et ces derniers, constatant que leurs élèves se tournent ailleurs pourraient relâcher leurs efforts et s’appuyer sur le secteur privé. Un cercle vicieux s’installe.

 

Ce phénomène de l’école de l’ombre est vieux et bien installé en Asie. De ce fait, l’Asie pourrait délivrer un message à l’Europe : évitez que cela fasse partie de la culture, découragez cette école de l’ombre. On peut partager l’Europe en quatre groupes : le sud où il est trop tard, le marché des cours privés est bien ancré. L’Europe de l’est : pour les raisons historiques déjà expliquées, le phénomène est accepté par la société. En Europe de l’Ouest : il n’est pas encore trop tard, il faut agir vite. Dans les pays scandinaves, les parents font confiance aux enseignants et à l’école, c’est un bon endroit pour être un écolier, alors protégez ce que vous avez de bien ! Une arme efficace est la réglementation de ces cours particuliers. C’est une tâche à laquelle il faut s’atteler.

 

Propos recueillis par Ange Ansour

 

Site de Marc Bray

Comparative education research centre university of hongkong

 

 

Par fjarraud , le vendredi 13 juin 2014.

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