ORME 2014 : Quand le collège connecté questionne le temps  

Le Collège de la Belle de Mai, à Marseille, est un collège classé « Éclair ». Avec 22 autres collèges en France, il constitue l’un des sites pilotes du Ministère de l’Éducation Nationale pour « faire entrer l’École dans l’ère du numérique » et développer les usages pédagogiques du numérique. L’un des objectifs clairement énoncés par le Ministère pour ces expérimentations est d’encourager l’émergence des pratiques innovantes, pour développer davantage de participation et de motivation chez les élèves, de les rendre acteurs de leur apprentissage, de permettre aux enseignants de construire des enseignements différenciés, attractifs et enrichis et enfin de favoriser la réussite de tous en proposant un plus grand accès aux ressources pédagogiques. C’est un défi a priori réussi pour le Collège de la Belle de Mai, qui présente son projet d’astronomie aux Rencontres de l’Orme 2014.

 

Comment voit-on que le temps passe ?

 

 Cette question est posée en début de chaque année aux petits élèves arrivant au Collège de la Belle de Mai à Marseille, en classe de « 6ème astronomie », ainsi qu’à ceux d’une classe de CM1 de l’école Révolution et d’une classe de CM2 de l’école Cadenat. La promotion 2013-2014 a mené des recherches par groupe pour tenter de résoudre l’énigme : en essayant d’y répondre, ce ne sont pas moins de 22 autres questions qui se sont présentées aux élèves ! Quel casse-tête ! Tout naturellement, l’équipe des enseignants motivés et soudés qui participent au projet ont suivi les élèves là où ces derniers les entraînaient, sans privilégier telle ou telle piste à l’avance…

 

Le numérique : un outil pour mettre en œuvre une démarche d’investigation scientifique

 

A partir du questionnement de base sur le temps et l’astronomie, les collégiens et écoliers participant à ce projet ont commencé par observer les phénomènes qu’ils cherchaient à expliquer, notamment le mécanisme des saisons. Ils ont ainsi modélisé la position et le déplacement du Soleil dans le ciel, observé la faune et la flore et relevé des données précises susceptibles de pouvoir caractériser les saisons afin de mieux les étudier. Pour ce faire, ils ont appris à utiliser une console VTT (Visualisation Traitement Transfert), un appareil avec différents capteurs, qui leur a permis de mesurer trois paramètres : la température, l’humidité et la luminosité. Ils ont ensuite essayé de traiter les données recueillies afin de trouver celles qui caractérisaient le mieux les saisons. Ce travail a été effectué dans un premier temps sur papier, ce qui a permis aux élèves de découvrir la notion de moyenne et de comparer différents modes de représentation des données utilisés en science (tableaux, histogramme et graphique cartésien). Dans un second temps, lorsque la quantité de données est devenue plus importante, les élèves ont utilisé les outils numériques pour en faire le traitement. L’un des avantages du Collège connectée est d’avoir davantage de moyens pour pouvoir se procurer du matériel et des équipements plus poussés. A plusieurs reprises dans l’année, les élèves de 6ème ont également accueilli des élèves de CM1et de CM2 : dans le cadre de tutorats, ils leur ont appris à manipuler les outils numériques du collège afin de partager avec eux leurs découvertes et ont réalisé des observations communes en automne et en hiver dans le jardinet du collège.

 

Après cette phase de prise de données et d’observations est arrivée la phase des premières expérimentations et des débats : six hypothèses ont émergé pour tenter d’expliquer pourquoi il fait plus froid en hiver et plus chaud en été. Les élèves, par groupe, ont ensuite imaginé et réalisé des protocoles expérimentaux visant à valider ou invalider leurs hypothèses, par exemple à l’aide d’un globe terrestre et d’une lampe représentant le soleil. A noter : une heure de cours par semaine était entièrement réservée à ce projet, puis chaque enseignant a rajouté sa touche pendant ses propres heures d’enseignement : expériences scientifiques en SVT, rédaction d’un livre numérique, du diaporama de présentation du projet et de contes sur l’astronomie - mis en musique dans le cadre d’un partenariat avec un groupe de percussionnistes - en Français, conceptualisation et fabrication d’un instrument de mesure de la hauteur du Soleil dans le ciel en technologie, calculs, traitement des données, découverte de la notion d’angle, de proportion, de pourcentage, modélisation géométrique de cet instrument de mesure en mathématiques,…

 

Tous ces efforts conjoints ont aidé les élèves à décider de la validité de chaque hypothèse dégagée à partir de la phase d’expérimentation (Trois hypothèses sur six demeuraient) et les ont amenés à retenir la température comme grandeur caractéristique des saisons. Pour expliquer la variation de la température, ils se sont penchés dans un premier temps sur le phénomène de la variation de la durée des jours au cours de l’année. Durant l’atelier d’astronomie, les élèves sont allés sur le site « http://www.ephemeride.com/ » afin de réaliser un relevé de durées des jours dans plusieurs villes du monde. Une deuxième série d’expériences à alors eu lieu, afin d’étudier la position du soleil dans le ciel. En mathématiques, les élèves ont réalisé la modélisation d’un instrument pour mesurer la position du soleil dans le ciel grâce aux angles plutôt qu’aux distances puis en technologie, cet instrument a été construit. Les relevés se sont donc poursuivis en même temps que des recherches sur le net étaient menées pour connaître la distance entre la Terre et le soleil à différents moments de l’année.

 

Comment donner du sens aux apprentissages ?

 

Au final, les élèves ont réussis à poser quelques conclusions scientifiques leur permettant de répondre à leur questionnement de départ mais continuent de se poser des questions, qui feront l’objet d’une poursuite du projet l’an prochain, en 5ème. Ainsi les élèves ont-ils mené un grand projet transversal et pluridisciplinaire pendant lequel ils ont été motivés et acteurs de leur apprentissage, au cours duquel ils ont appris à faire des relevés, étudier des variations, des distances et des mesures, calculer des moyennes et des pourcentages, comparer des données, rédiger des comptes-rendus et des contes sur le thème de l’astronomie, créer un livre numérique et un diaporama,… tout en donnant du sens à ces enseignements qui peuvent apparaître trop abstraits si amenés de manière traditionnelle et frontale. En effet, les élèves voient très exactement les applications concrètes et pratiques de ce qu’ils apprennent et comprennent que ça peut leur servir.

 

 

Guilhem Deulofeu : A quoi sert un collège connecté ?

 

Professeur de mathématiques de la classe qui mène ce projet,  Guilhem Deulofeu témoigne des aspects positifs des collèges conectés.

 

Qu’est-ce que le collège connecté ?

 

 C’est un collège qui a accès à une connexion très haut débit au niveau de l’Internet et dans lequel il y a des « e-classes » : des chariots contenant des jeux d’ordinateurs portables, des salles équipées de vidéoprojecteurs. L’équipement informatique y est poussé, beaucoup plus poussé que dans les autres collèges. En plus de l’aspect technique, il y a surtout un aspect formation, un accompagnement des équipes, la participation active à des formations disciplinaires et transdisciplinaires pour utiliser les outils numériques à des fins pédagogiques.

 

Comment est venue l’idée de ce projet « astronomie » ? Quelles démarches avez-vous mises en œuvre pour monter le projet ?

 

Tout est parti du concept de liaison école/collège. L’idée c’est de faire travailler à la fois des élèves de primaire et de collège sur un thème transversal qui mixe les disciplines. Ce projet a permis à plusieurs disciplines de collaborer : les mathématiques bien sûr, le français, la SVT, la technologie, l’histoire et la géographie. C’est un gros travail d’équipe pour les enseignants. Il s’agit de fédérer à la fois des professeurs des écoles (à qui on demande beaucoup d’investissement) et des professeurs de disciplines différentes qui acceptent de mettre leur enseignements au service d’un même projet.

 

Ensuite, il y a un gros travail didactique à réaliser pour arriver à trouver une thématique que l’on peut transposer sur les niveaux d’enseignement concernés er qui peut donner lieu à une démarche d’investigation intéressante. Le support théorique sur lequel on s’appuie est la théorie anthropologique du didactique, qui postule que l’enseignement doit se construire autour de questions (c’est une vision bachelardienne de l’enseignement des sciences) : il faut poser des questions riches aux élèves pour qu’ils puissent les décliner, produire leur propre questionnement et mobiliser une démarche d’investigation motivée qui les amènera à chercher, construire du savoir et progresser. On essaie d’articuler cette organisation de l’enseignement avec une vision plus pragmatique qui nous semble particulièrement adaptée à nos élèves et qui est inspirée de la méthode développée par John Dewey dans son école expérimentale, fondée à Chicago à la fin du XIXème siècle. Ainsi, chaque année, les élèves enquêtent sur des problèmes complexes et concrets à partir de la même grande question : comment voit-on que le temps passe ? On regarde alors les questions communes révélées par les débats qui sont animés dans chacune des classes, les CM1, les CM2 et les 6ème. L’équipe enseignante va alors là où vont les élèves : en fonction de leurs questions communes, on lance le projet. Cette année 22 questions ont été posées par les élèves à l’issue de ces débats et elles nous ont amenés à l’étude des saisons, mais l’an prochain et l’année d’après, le projet se poursuivra et les élèves pourront alors enquêter sur d’autres objets, la lune et/ou le soleil par exemple. Ce qui est important, c’est que c’est un projet qui perdure, qui se construit sur la continuité.

 

Quelles sont les apports de ce projet pour les élèves ? Quelles réussites avez-vous pu observer ?

 

D’un point de vue qualitatif, on peut noter une très grosse valorisation du travail fourni par les élèves et de leurs apprentissages (restitution à sept ou huit reprises dans l’année, notamment pour des concours) qui les encourage beaucoup à poursuivre leurs efforts. Il y a de très belles réussites, par exemple, dans le fait de faire travailler les compétences des élèves à l’oral, compétences qui sont habituellement peu valorisées  dans notre système éducatif français.

 

Ce type de projet est donc très pertinent dans un milieu où les enfants sont issus de milieux sociaux fortement défavorisés. C’est tout le rapport à l’école, au savoir et à la culture qui est modifié : les élèves trouvent du sens au travail qu’on leur enseigne, ils ont besoin de se rendre compte que ça peut leur apporter quelque chose. Dans un tel milieu, le besoin de pragmatisme des élèves est à nourrir. Leur montrer que ce qu’on leur enseigne à une réelle utilité - à court terme (nourrir leurs besoins pragmatiques) et aussi à long terme (réinvestissement dans la « vraie » vie : les compétences travaillées seront réutilisées plus tard dans le milieu du travail dans le cadre de la présentation d’un projet ou de son compte-rendu par exemple) – est une véritable nécessité.

 

D’un point de vue quantitatif, on peut voir qu’au niveau de la maîtrise de la langue, les élèves ont quand même été capables de rédiger un livre numérique de 80 pages sur le projet ainsi qu’un recueil de contes d’une trentaine de pages de manière collective ! Sachant que leurs livres seraient lus par d’autres personnes, les élèves ont eu de l’ambition pour ce qu’ils ont écrit en termes de corrections, d’exigence et de qualité,… L’idée c’est de leur dire qu’on ne peut montrer que quelque chose d’excellent. Donc nous aussi, en tant qu’enseignants, nous avons eu de l’ambition pour les élèves et nous avons été exigeants avec eux : il n’y a pas de « sous-culture » et il ne doit pas y en avoir sous prétexte qu’on est dans un milieu défavorisé !

 

Au niveau mathématique, les élèves ont abordé des notions relativement complexes comme la comparaison de variations de différentes grandeurs, ils ont mis en œuvre des raisonnements inductifs et déductifs riches et se sont montrés capables de restituer l’ensemble lors des diverses présentations du projet. Cela tend à montrer la robustesse de leurs apprentissages. Néanmoins, en termes disciplinaires, les apports sont très difficiles à quantifier de manière fiable et objective. Qu’est-ce qui relève de la motivation des enseignants, du projet, de l’effet de groupe, du travail réalisé de manière « classique » dans les cours, de l’effet pygmalion ? De mon point de vue, on ne peut pas isoler et quantifier les progrès réalisés par les élèves grâce au projet au niveau de chaque discipline.

 

Propos recueillis par Alexandra Mazzilli

 

Pour en savoir plus

Visite dans un collège connecté

 

Par fjarraud , le lundi 02 juin 2014.

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